Désenchantement européen

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La crise du gaz entre la Russie et l’Ukraine, avec l’UE indirectement comme victime de la querelle, commence à faire des dégâts dans la politique d’expansion inspirée par la politique agressive et idéologique des USA de GW Bush ces dernières années. Il faut parler d’un véritable désenchantement qui se répand très rapidement dans les milieux européens. «Le comportement de l’Ukraine, particulièrement celui du président Ioutchenko, avec les conséquences dans nombre de pays de l’UE, ressemble bien à la goutte d’eau qui fait déborder le vase, nous dit une source européenne. Cette affaire joue un rôle de catalyseur dans un mouvement remarquable de changement d’opinion. Du coup, beaucoup de choses contenues sont en train de ressortir, notamment les positions extrêmes où le soutien à la Géorgie et à l’Ukraine a placé les milieux européens l’année dernière.»

Cette évolution est notamment caractérisée par la déclaration du président du Parlement européen, Hans-Gert Poettering, disant à Reuters mardi: «Si le gaz est bloqué en Ukraine, cela va sérieusement compromettre les relations entre l’Ukraine et l’UE. Ce n’est pas dans l’intérêt de l’Ukraine de faire cela.» Désormais, les milieux européens admettent que la crise a été surtout la conséquence de l’affrontement entre Ioutchenko et sa première ministre Timochenko, notamment avec la décision du président ukrainien de mettre son veto à un accord sur le prix du gaz conclu au Nouvel An entre Timochenko et Poutine. «L’appréciation générale dans les milieux européens, dit notre source, c’est que c’est la vindicte personnelle qui a fait capoter cet accord et conduit la crise dans sa phase aiguë. La querelle personnelle entre les deux dirigeants empoisonne la vie politique en Ukraine et bloque tout effort d’amélioration de la vie politique et de la situation économique du pays.» Les liens de Ioutchenko avec la compagnie RosUkrEnergo, qui sert d’intermédiaire dans la vente du gaz russe à l’Ukraine, sont également mis en cause. Ces constats contribuent notablement à considérer d’une façon de plus en plus méfiante et hostile tout le processus de rapprochement structurel de l'Europe avec l’Ukraine, à moins d'un changement politique intérieur essentiel en Ukraine. Cette appréciation devrait avoir des conséquences au niveau des liens de l’UE avec l’Ukraine, mais également à l’OTAN, où la question du rapprochement, voire de l’entrée de l’Ukraine dans l’OTAN risque de ne plus être considérée avant longtemps.

L’irritation née du comportement ukrainien (Ioutchenko) durant cette crise du gaz s’étend désormais à une rancœur découverte contre le président de la Géorgie Saakachvili, notamment pour son comportement lors de la crise du 7 août 2008. D’une façon générale, la thèse de la responsabilité géorgienne dans cette crise a été acceptée, et le comportement du président géorgien apprécié à cette mesure. Cette appréciation tend désormais à s’inscrire dans un processus général de remise en cause de la politique générale des liens de l’Europe avec ces pays (Ukraine, Géorgie), qui devrait parallèlement toucher les relations de l’UE avec la Russie dans un sens positif puisque les deux choses sont liées d'une façon antagoniste; un refroidissement des relations de l’UE avec la Géorgie et l’Ukraine entraînerait automatiquement un réchauffement des relations avec la Russie.

Dans la logique de cette remise en cause, il y a également celle du rôle des USA en Europe de l’Est, ce que l’on pourrait nommer “l’agenda neocon”, qui s’est manifesté massivement depuis plusieurs années (quasiment depuis 2002) par un activisme semi-officiel, utilisant soit des canaux officiels, soit des fondations privées (Soros), soit des canaux d’influence privés avec notamment le rôle tenu par Bruce Jackson. Aujourd’hui, la critique est devenue générale. «Désormais, l’appréciation se fait à visage découvert, alors que jusqu’ici les choses étaient plutôt suggérées à mots couverts. On n’hésite plus à apprécier que le rôle des USA, sous la forme de l'action des néo-conservateurs, d’instituts, etc., est une véritable catastrophe pour la situation en Europe, pour l’antagonisme avec la Russie, etc.»

Bien entendu, cette prise de conscience générale a un rapport direct avec le départ de GW Bush dans la mesure où la crise du gaz correspond effectivement, chronologiquement, à ce départ. Cette coïncidence de date constitue une occurrence remarquable, parce qu’elle permet effectivement d’élargir la critique anti-ukrainienne à une critique générale de la politique des pays anti-russes les plus activistes d’Europe de l’Est, puis à une critique de la politique US en Europe depuis 2002. On peut prévoir que ce courant révisionniste profond pourrait s'élargir et affecter l’ensemble des questions en suspens dans ce cadre de tension, notamment le projet US d’installation du réseau anti-missile (BMDE) en Tchéquie et en Pologne. (A cet égard, la position de la Théquie, présidente en exercice de l’UE, risque de devenir plus délicate dans les prochains mois, et toute sa présidence encore plus compromise qu’elle n’était.) Plus largement encore, et d’une façon qu’on comprend aisément comme fondamentale, cette évolution doit affecter les relations de l’Europe avec les USA, les Européens se trouvant de plus en plus inclinés à demander aux USA de modifier cette politique héritée de l’époque Bush; ils pourraient trouver éventuellement une oreille complaisante du côté de l’administration Obama, dont l’une des tendances serait de rechercher de meilleures relations avec la Russie.

Ce mouvement général rencontre une nécessité qui s’impose de plus en plus, – sans qu'il y ait un rapport direct de cause à effet entre ceci et cela: concentrer toutes les forces possibles dans la lutte contre la crise systémique générale, économique et autre, qui bouleverse toutes les données depuis le 15 septembre 2008. Ce constat, pour ce cas de la situation européenne, vaut aussi bien pour l’UE que pour les USA, et renforce d’une façon structurelle la situation ouverte par le cas conjoncturel de la “crise du gaz”. D’autre part, cette “crise du gaz” a également un rapport avec la crise systémique, en touchant une matière économique sensible (l’énergie) et cela doit renforcer encore le tournant général constaté ici. Nous sommes en train de passer de l’ère idéologique extrémiste et subversif de l’administration Bush, des arguments idéologiques sollicités (démocratie, droits de l’homme, etc., utilisés comme machine de guerre anti-russe), aux nécessités de lutte contre la crise, qui va conduire à certains rapprochements et solidarité nécessaires, – dans ce cas, entre l’Occident et la Russie, aux dépens des facteurs devenus secondaires d’actions idéologiques (“agenda neocon”) et de pays annexes (Ukraine, Géorgie) à qui il a été permis jusqu’ici de tenir un rôle subversif important. Un rapprochement avec les USA, mais dans un sens inverse de ce qui était envisagé jusqu'ici, c'est-à-dire dans le cadre d'une politique d'apaisement des tensions dans le bloc Europe de l'Est-Russie, est aussi possible.


Mis en ligne le 15 janvier 2009 à 05H51