Désobéissance civile, rébellion et l’“ennemi principal”

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Les conditions générales ne cessent de se tendre, avec l’intégration de plus en plus grande entre les troubles internes du système, les réactions populaires sous diverses formes, les tensions nées d’incidents comme le oil spill du Golfe du Mexique.

• Nous citons la conclusion, avec quelques mots formant un programme, soulignés par nous, d’un texte de Chris Hedges, de Truthdig.com (le 19 juillet 2010), consacré à ces diverses crises (oil spill, climat, etc.). Son constat est que nous sommes prisonnier du corporate power dont le destin semble nous entraîner vers la destruction du monde.

«The leaders of these corporations now determine our fate. They are not endowed with human decency or compassion. Yet their lobbyists make the laws. Their public relations firms craft the propaganda and trivia pumped out through systems of mass communication. Their money determines elections. Their greed turns workers into global serfs and our planet into a wasteland.D>

»As climate change advances we will face a choice between obeying the rules put in place by corporations or rébellion. Those who work human beings to death in overcrowded factories in China and turn the Gulf of Mexico into a dead zone are the enemy. They serve systems of death. They cannot be reformed or trusted.

»The climate crisis is a political crisis. We will either defy the corporate elite, which will mean civil disobedience, a rejection of traditional politics for a new radicalism and the systematic breaking of laws, or see ourselves consumed. Time is not on our side. The longer we wait, the more assured our destruction becomes. The future, if we remain passive, will be wrested from us by events. Our moral obligation is not to structures of power, but life.»

• David Spero, activiste et dirigeant écologiste californien, publie le 15 juillet 2010 un vif plaidoyer sur The Dissident Voice, engageant la gauche dissidente et activiste à s’allier à la droite dissidente et activiste (Tea Partycorporate power, etc. Quelles que soient les réserves, surtout d’ordre sémantique sinon obsessionnelle, il s’agit de déterminer l’“ennemi principal”, – et lorsqu’il est d’une telle taille, et aussi déterminé à la destruction du monde, il n’y a pas une seconde à perdre.

@PAYANT Ces deux exemples nous paraissent caractéristiques de l’évolution de l’état d’esprit aux USA. Le oil spill du Golfe du Mexique a joué un rôle majeur pour cela. Désormais, l’état d’esprit évolue potentiellement selon une logique dont le terme est la rébellion, voire la révolte armée. Spero présente le cas de certaines milices dites “suprématistes”, examine leur programme, le juge parfaitement conformes aux normes que tout citoyen doit défendre, et pose la question de savoir qui représente l’oppression, la destruction nihiliste, la subversion même, – ces milices ou Blackwater, dont l’U.S. Army sous-traite les services de tortures et d’assassinats “légaux” ? La réponse est évidente et Spero fustige la gauche dissidente dans son impuissance à se débarrasser de ses mots d’ordre obsessionnels et de sa loyauté impuissante envers un parti démocrate et un Obama qui sont les exécutants serviles du système.

Hedges, qui représente une voix importante à cause de la position qu’il occupe dans le site très influent Truthdig.com, lance un véritable appel à la sédition, qui rappellerait, pour le mouvement noir des années 1960, celui des Black Panthers. Cette fois, il s’agit d’un appel à tous les dissidents du système (Hedges a déjà écrit qu’il était favorable à une union de la dissidence de droite et de la dissidence de gauche). L’incapacité de l’opposition dissidente à peser sur l’orientation des partis traditionnels, tous absolument corrompus par le corporate power, conduit désormais vers des positions radicales, non seulement dialectiques, mais activistes, et même armés.

Ce qui est en train de se passer peut être résumé à deux points fondamentaux.

• L’idée de l’“ennemi principal” progresse. La thèse de l’“ennemi principal” est une thèse marxiste, et, principalement, vietnamienne. C’est ainsi qu’en 1945 Ho Chi-minh justifia son rapprochement avec les Français parce qu’il craignait une invasion et une conquête du Vietnam par la Chine, qui se disait ami du Vietnam. Ho avait compris qu’il fallait distinguer son “ennemi principal” et tout faire pour le vaincre, y compris s’allier avec des adversaires idéologiques ou autres. Aujourd’hui, la situation est infiniment plus claire, tant la grossièreté, la puissance, l’absence de dissimulation de ses buts mortifères et déstructurants de l’“ennemi principal” sont évidents. A terme très court, le choix n’en est pas un. La dynamique irrésistible va dans le sens d’une alliance entre les dissidents des deux extrêmes tant l’action de l’“ennemi principal” ne laisse aucun choix. Toutes les péripéties diverses, les tergiversations de certains vis-à-vis de BP, le romantisme de gauche vis-à-vis de BHO, sont des épiphénomènes appelles à disparaître devant l’ampleur de la pression en très rapide augmentation du danger.

• L’opposition, devenue contestation, doit irrésistiblement conduire à la résistance, d’abord désobéissance civile, ensuite lutte armée, et cela dans un processus très rapide. Il est bien possible que les futures actions de terrorisme et de guérilla se développent aux Etats-Unis même, parallèlement à d’éventuels mouvements centrifuges d’éclatement en raison de l’attitude du centre vis-à-vis des Etats. Ce dernier point constitue une occurrence particulièrement explosive. Lorsque Patrick J. Buchanan décrit le cas de l’Arizona (le 13 juillet 2010 dans The American Conservative), il décrit un président des USA qui prend parti pour le Mexique contre un Etat de l’Union, il observe qu’une possible intervention des troupes fédérales dans telle ou telle circonstance constituerait un cas où le gouvernement serait en tort par rapport à la Constitution, et justifierait une réaction de l’Etat. A la lumière de possibles développements comme la mobilisation de milices de l’Arizona pour défendre les frontières de l’Etat et d’une possible réaction du gouvernement fédéral, on imagine aisément sur quelle situation on pourrait déboucher.

Contrairement aux analyses générales des stratèges de la géopolitique de séminaire, le véritable point d’explosion antisystème pourrait bien se révéler les Etats-Unis eux-mêmes, où la conscience politique se développe en même temps qu’un accroissement de l’armement de groupes divers, dans un pays où l’acquisition d’armement est chose aisée. L’argumentation de Spero est impressionnante lorsqu’il cite le cas de la milice Oath Keepers (OK), formée d’anciens soldats, et dont les buts affichés sont jugés par lui en complet accord avec la Constitution qui, elle, est constamment violée par des groupes officiels, soit militaires, soit paramilitaires ; et il a ces remarques à propos du comportement de forces régulières et des auxiliaires de Blackwater après l’ouragan Katrina et en d’autres occasions : «Note that many of the things OK members refuse to do are already being done by the military and police, for example after hurricane Katrina, at political protests, and during the drug wars. I don’t know about you, but I’d rather have those guys in my neighborhood than a gang of armed men who will follow orders mindlessly. Better Oath Keepers than Blackwater or the local SWAT team!...»

L’état d’esprit est singulier, voire extraordinaire, car il implique l’évolution vers l’acceptation d’une hypothèse de lutte armée contre les autorités politiques et du corporate power, – lequel, comme on l’a vu et on continue à le voir avec BP dans la catastrophe du oil spill, se conduit selon des normes militaristes inspirées du comportement des forces US depuis 9/11. La question de la lutte armée est désormais la prochaine étape qu’il faut envisager, dans la situation présente aux USA. Cette remarque découle du fait que toutes les autres formes de contestation, de résistance et de dissidence n’ont jusqu’ici donné aucun résultat. L’enjeu devient désormais trop important, parce qu’il touche la sécurit même des communautés et des individus, non seulement leurs droits constitutionnels, mais leur cohésion sociale, et leurs vies mêmes.


Mis en ligne le 19 juillet 2010 à 11H37