Désordre, déstructuration, et effondrement du Système

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Déstructuration et effondrement du Système

15 juin 2011 — Les signes nombreux de désordre dans la politique et les relations internationales se multiplient. Bien entendu, l’appréciation officielle, les analyses, ne varient pas d’un pouce et continuent à s’appuyer sur des notions extraordinairement obsolètes de géopolitique et de perception des intérêts des uns et des autres (nations, groupes de nations, organisations internationales, etc.) basés sur les habituelles références :

• la disposition de la force, essentiellement militaire avec l’ajout des pressions de domaines complémentaires de force, essentiellement par le système du technologisme ;

• les pressions d’un moralisme à la fois fondamentaliste et tactique, dont le meilleur sinon le seul exemple se trouve dans l’éventail des conceptions terroristes du bloc américaniste-occidentaliste (BAO), sous la forme du patchwork habituel des droits de l’homme, de la démocratie, etc. ;

• les illusions entretenues sur l’avantage de contrôler exclusivement des accès à des sources de matières premières énergétiques, alors que ces matières premières sont au centre de plusieurs crises potentielles extrêmement proches d’une part, et que leur répartition déséquilibrée (justement par la recherche, même brutale et de plus en plus brutale de leur contrôle exclusif), est source de déséquilibres en constante aggravation et de modèles divers de casus belli. A notre sens, il est très probable que les conséquences catastrophiques de cette recherche du contrôle de l’accès exclusif apparaîtront avant même que ces contrôles soient réalisés, notamment avec les crises eschatologiques directement liées à ces questions.

Les directions politiques et leurs divers appendices n'ont pas encore sérieusement pris la mesure, ni même ne l'imaginent, de plusieurs phénomènes que nous avons classé depuis un certain temps sous la rubrique de l’“eschatologisation” (des crises, en général). Cela concerne aussi bien les événements catastrophiques naturels, dont aucun autorité n’a encore une perception stratégique comme d’un facteur eschatologique déstructurant, alors que la psychologie a largement intégré que ces événements font partie de la crise climatique, ou crise environnementale, ou “crise de l’univers” ; il doit en résulter un formidable développement du sentiment psychologique de l’insécurité qui doit peser sur toutes les réactions publiques exprimées désormais massivement par la disposition de ce qu’on nomme “les réseaux” organisés par le système de la communication dans son rôle de Janus.

De même, le phénomène de la chaîne crisique, dans les pays arabes et musulmans et en extension vers d’autres régions, n’a pas été interprété selon ce qu’il est, – un mélange de la conséquence de la disposition anarchique des capacités du système de la communication et d’une volonté anarchique, voire nihiliste ou utopique (ce qui revient au même), de changement. On ne perçoit plus combien cette volonté anarchique n’est nullement déstructurante au premier degré, puisqu’elle attaque des pouvoirs et des establishment au pouvoir qui sont eux-mêmes nihilistes ; dans ce cas, il suffit d’accepter la formule algébrique (“moins + moins = plus”) pour voir combien ces mouvements révèlent indirectement, hors du contrôle de ceux-là même qui le déclenchent, des poussées de désordre objectivement structurant parce qu'ils mettent en péril l’équilibre le Système.

Nulle part, on ne voit se constituer un sentiment ou la perception de la nécessité d’une dynamique collective dans les mouvements de crise ou de désordre, qui appellerait à des révisions de politique dans un sens d’une plus grande coopération. On parle moins ici des grands organismes internationaux, qui sont conçus selon des appareils législatifs relevant d’autres époques où la situation générale était contrôlée, que des diverses puissances souveraines et légitimes, telles que pourraient les exprimer leurs directions politiques si celles-ci en avaient l’idée et la volonté. Bien entendu, l’absence de ces idées et de ces volontés est complète.

(Lorsque nous faisons cette différenciation entre organisations internationales “globales” et puissances souveraines, nous pensons même à des problèmes comme celui du réchauffement climatique. Même pour cette question qui est universelle par définition, l’accord entre des groupes de puissances souveraines devrait être la procédure obligatoire avant d’aller devant une assemblée comme l’ONU, qui deviendrait alors pour une grande part une chambre d’enregistrement.)

Outre les questions proprement eschatologiques (la crise de l’environnement), il existe des situations crisiques plus immédiatement perceptibles, plus précisément malléables politiquement. Elles devraient être le premier terrain d’exercice de cette coopération et elles montrent l’exact contraire, en étant des champs d’affrontement, de concurrence, des exercices de conquête et d’hégémonie, etc. Elles se transforment systématiquement, presque dans leur complète totalité, en échecs misérables, catastrophiques et géniteurs de situations pires encore. Les acteurs politiques menacés par le désordre sont objectivement de formidables moteurs turbo accélérateurs du désordre.

On cite ici deux situations stéréotypiques de ce cas, qui constituent désormais l’essentiel, sinon le quotidien de l’extension de la crise politique.

• D’abord, les situations de désordre interne qui s’inscrivent dans le cadre dynamique de ce que nous nommons la chaîne crisique, qui est par essence insaisissable et imprévisible, même si des acteurs étrangers favorisent par des soutiens secrets telle ou telle déstabilisation dans tel ou tel pays (preuve supplémentaire de l’irresponsabilité de ces centres de pouvoir extérieurs, totalement inconscients des effets de leurs actions, agissant par automatisme, – comme la CIA avec les opposants égyptiens avant les troubles de janvier-février 2011, – mais disposant, en tant qu’appendice du système du technologisme, de moyens de puissance considérable ; leur action ne fait qu’accroître, finalement, la puissance des mouvements insaisissables et imprévisibles, même contre eux et surtout contre eux, qu’ils déclenchent). Ces situations, une fois déclenchées, une fois emportées dans une dynamique incompréhensible pour les bureaucraties extérieures, sont l’objet, après un temps d’affolement et d’incompréhension qui permet au mouvement de prendre racine, de pressions diverses où des forces extérieures, revenues de leurs surprises, agissant autant par le poids du système du technologisme que par la subversion du système de la communication, essaient à nouveau de faire avancer leurs intérêts. Le résultat est un accroissement de la confusion, de l’incertitude, une non-stabilisation endémique qui militent même contre les tentatives de certaines forces du Système tentant de rétablir le pouvoir intérieur. Avec les troubles chinois, ceux qu’on enregistre en Europe, ceux qu’on envisage aux USA, cette situation de chaîne crisique doit encore s’étendre, avec toujours les mêmes ingrédients diversement déstabilisateurs.

• Il y a les cas des interventions (Libye, éventuellement Syrie). Là, c’est encore un degré supplémentaire dans l’aveuglement des forces des divers acteurs, centres de pouvoir, bureaucraties, et là, exceptionnellement, les directions politiques au premier rang qui semblent en général emportées par la contagion d’une excitation parfois hystérique de la psychologie, sous l’action des stimuli habituels agissant comme des drogues fascinatoires (démocratie, droits de l’homme, etc.). Le résultat est une formidable confusion, où l’on trouve des combattants d’al Qaïda aux côtés des forces de l’OTAN réduites aux acquêts de l’un ou l’autre Président/Premier ministre emporté par la fièvre du “chef de guerre”. («La Libye est le seul pays du ‘printemps arabe’ dans lequel le risque islamique s'accroît», dit un groupe d’experts retour de la zone CNT en Libye.) La psychologie exposée est celle d’une formidable faiblesse, car, aujourd’hui, le déclenchement d’une guerre est paradoxalement, de la part des dirigeants politiques, le signe de la faiblesse psychologique, de la lâcheté du caractère et de l’aveuglement de l’intelligence. Entretemps, les forces militaires engagées sont à bout de souffle et les généraux (ou les amiraux dans le cas de la Royal Navy, qui remporta in illo tempore la bataille de Trafalgar) apprennent à hisser le drapeau blanc, non à l’intention de l’ennemi, mais à l’intention de leurs pouvoirs civils et de leurs ministères des finances. Le résultat est que tel ou tel conflit exacerbe les crises intérieures de ceux qui se sont crus transformés en conquérants tandis que la guerre devient une enquête permanente pour savoir qui est avec qui et qui est contre qui. La diplomatie en sort en aussi mauvais état que les armées des conquérants, qui cède également à la narrative “droitdel’hommiste” du parti des salonnards.

Résultats : désordre, désordre, désordre… Personne n’a la moindre idée de ce que pourrait être une “stratégie de sortie“ dans des conflits qui ont été engagés sans “stratégie d’entrée”. Le concept de “stratégie”, avec son cortège de rationalité claire et ordonné, semble désormais une sorte de “paradis perdu” de la pensée politique et militaire. Ainsi en est-il aujourd’hui…

Ici, il est important de comprendre, avant de passer au second volet de notre analyse, que nous avons parlé du point de vue de l’intérêt du Système dont tous ces domaines font plus ou moins partie, d’une façon plus ou moins consentante. Maintenant, nous allons passer à un point de vue plus “objectif”, c’est-à-dire paradoxalement plus partisan de notre point de vue, marqué par notre évidente et fondamentale hostilité au Système. On comprend alors que les notions de nations, d’autorités souveraines, d’organisations internationales, qui faisaient plus haut partie de notre raisonnement, disparaissent à ce point, comme par un coup de baguette magique, intégrées dans une masse formidable, informe et contradictoire nommée “Système”.

L’auto-déstructuration du Système en mode turbo

D’un autre côté, donc… Qu’est-ce que cette confusion, cette “anarchie intellectuelle” (d’un intellect si bas, par ailleurs) nous signalent ? Il ne s’agit de rien d’autre que de l’extension massive et très rapide du désordre entraîné par la poussée puissante du Système. Nous en sommes donc au stade où le Système, qui est au summum de sa surpuissance, a largement et parallèlement entamé son processus de destruction de sa propre structure (“sur-structure”) ; il s’agit de travaux pratiques intensifs des processus dont nous présentons l’évolution théorique dans le numéro du 10 juin 2011 de dde.crisis et dans la présentation que nous en faisons ce 13 juin 2011.

Les divers événements qui se développent apparaissent insaisissables dans leurs finalités diverses, – ou dans leur finalité unique, en un sens, – à ceux-là mêmes qui occupent les positions les plus en vue dans les structures du Système. C’est notamment le cas des directions politiques, qui acceptent désormais les seuls mots d’ordre incitatoires dispensés par le système de la communication. Ils ignorent la ou les cause(s) fondamentale(s) des actuels événements, notamment la chaîne crisique en cours comme cause fondamentale directe, même s’ils ont participé à leur élaboration peut-être dès l’origine, voire avant l’origine ; ils se trouvent face à des événements déstructurés répondant au processus de destruction de la sur-structure du Système. Les désordres intérieurs divers, qui sont également sans structure organisationnelle, ne sont pas identifiés et sont simplement contenus lorsqu’ils surgissent. Ces situations montrent que les divers événements enregistrés ne sont plus des structures que le Système a pour finalité de détruire, que toutes les structures antagonistes de quelque importance sont détruites, qu’il s’agit donc maintenant d’événements qui sont la conséquence de l’action du Système, et qui concernent la destruction des éléments de la sur-structure du Système.

On sait que les divers pays où grondent les événements de la chaîne crisique et au-delà sont des pays qui avaient intégré les structures du Système. (D’ailleurs, quel pays, quelle entité peut encore y échapper ? Le Système, totalement hermétique, représente le tout dans notre “contre-civilisation”.) Il y a les cas précis, par exemple, de la Tunisie, de l’Égypte, de la Libye. (On se rappelle que DSK lui-même, “verrou” du Système “liquidé” comme l’on sait par des mécanismes du même Système, avaient accordé des appréciations de satisfaction du Système, via son FMI, pour la façon dont ces pays intégraient le réseau international de l’économie de marché.) Les autres événements de trouble interne, y compris ceux qui se déroulent en Chine, sont la conséquence directe des structures économiques qu’a imposées le Système. On trouve même des facteurs fort indirects qui participent au même mouvement, comme l’intégration forcée par les réductions budgétaires drastiques de la Royal Navy de pilotes britanniques dans l’aéronavale française, notamment sur le porte-avions Charles de Gaulle avec service opérationnel à bord de Rafale. Il doit apparaître évident qu’une telle évolution met à mal par processus d’inversion devenu vertueux (l’inversion d’une inversion mise en place par le Système) une structure politico-militaire importante du Système, qui était la quasi intégration des Britanniques dans les forces US, accentuée par des décisions de Tony Blair en 2002. Le tournant vers les forces françaises représente une réduction, voire dans son développement une probable destruction d’un élément de la sur-structure du Système (la proximité intégrationniste anglo-américaniste).

Même si des interprétations politiques, stratégiques et géopolitiques correspondant à une situation “normale” sont données après coup à ces événements, sans aucune durabilité et en général démenties par l’évolution des choses, ces appréciations politiques, stratégiques et géopolitiques qui sont courantes dans le Système (reflets du système de la technologie) sont aujourd’hui totalement obsolètes pour fournir un socle rationnel acceptable, et finalement favorable au Système. De ce point de vue, le désordre est également complet, entraînant effectivement des contrecoups vers la sur-structure du Système, et fournissant au système de la communication dans sa fonction de Janus l’occasion d’opérer dans un sens antagoniste du Système.

L’usure des forces des directions du Système est un autre facteur essentiel. La mise en cause de l’OTAN par le secrétaire à la défense Gates, avec un relais puissant dans la presse US (système de la communication) va également dans le même sens de la déstructuration du Système. Elle part d’un homme qui est psychologiquement épuisé par ses vaines tentatives de réformer le Pentagone autant que de rassembler les alliés dans des aventures extérieures démentes, et qui laisse voir cet épuisement à quelques semaines de son départ par un comportement d’intense “frustration” ; elle se poursuit par des attaques qui accélèrent la déstructuration interne de l’OTAN, elle-même accélérée par le remarquable désordre libyen suivant l’impasse afghane, et la dissolution structurelle des forces militaires de certains (le Royaume-Uni) que met à jour cette aventure ; alors que Gates, à nouveau lui, met involontairement en lumière cette déstructuration en dénonçant l’impuissance de l’OTAN en Libye… C’est ainsi que la structure otanienne, élément important de la sur-structure du Système, est menacée par sa propre dissolution interne, les vaines menaces US (les USA étant eux-mêmes soumis au même processus de dissolution interne) ne faisant qu’accélérer involontairement ce mal.

Certes, les exemples de cette sorte sont sans nombre, puisque c’est le Système dans son entièreté qui se décompose. Il suffit alors de constater que, notamment depuis 2010 et l’”eschatologisation” des événements qui ne sont plus aujourd’hui que des crises, donc depuis l’“eschatologisation” générale des crises, nous sommes entrés dans la phase maximale et ultime d’autodestruction du Système, par l’attaque du Système contre ses propres sur-structures.

Tout fonctionne selon le plan prévu…