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108211 décembre 2002 — Un nouveau “front” à très haute visibilité pour les diverses tentatives de pénétration extérieure des USA : l'Algérie. Deux événements à cet égard :
• La visite du président algérien Bouteflika à l'OTAN, hier 10 décembre. (Bien entendu, parlant de l'OTAN, nous parlons complètement de l'Amérique. Aujourd'hui, l'OTAN a perdu toute personnalité spécifique qu'elle a pu prétendre avoir en d'autres circonstances. La direction de l'Organisation est alignée sur Washington pour ses initiatives extérieures.) La visite de Bouteflika renforce les initiatives méditerranéennes en cours de l'OTAN, pour le renforcement de liens militaires en complément d'actions américaines.
• Parmi celles-ci, l'annonce, mardi, d'une décision américaine de vendre des armes à l'Algérie, dans un article notamment publié dans le Herald Tribune. Cet article n'apporte rien de bien nouveau dans les modalités qu'il décrit, sinon l'habituelle logique d'action des Américains qui, lorsqu'il s'agit du terrorisme (dans ce cas, la volonté d'enrôler les Algériens dans la lutte contre le terrorisme), sont effectivement prêts à n'importe quelle politique déstabilisatrice. L'article lui-même souligne ce fait, en citant Guillaume Parmentier, directeur du centre d'études des États-Unis à l'IFRI («
Le principal aspect de cette décision de livrer des armes à l'Algérie est bien qu'elle semble avoir été prise sans consultation des Français, dont l'Algérie fait partie de la zone d'influence géographique et culturelle ; par conséquent, sans le moindre intérêt pour la politique française de recherche d'apaisement de la zone, notamment par le refus de livrer certaines armes à l'Algérie.
« It was unclear whether the United States had consulted France before announcing stepped up military aid to Algeria. But a spokeswoman for the Foreign Ministry said there was no reason for consultation since, “the United States is a sovereign country and so is Algeria.”
» Timothy Garden, an analyst on defense and security issues with the Royal Institute of International Affairs, said that if France had not been consulted, “it would not be helpful in terms of cooperation.” He said that Europeans in general were not in favor of selling weapons that could be used in domestic conflicts, “while America is not bothered even about Israel's use of F-16 fighters in an internal policing role.” »
Le comportement américain dans cette matière, avec la décision de livrer des armes, est clair tant il correspond à la politique US depuis le 11 septembre, qui est de n'accepter aucune restriction dans ce qui est identifié comme la lutte contre le terrorisme. Pour ce cas précis de l'Algérie, la décision US met en pleine lumière une évolution déjà fortement entamée, qui est l'effacement complet des Européens (dont la France, sans aucun doute) au profit de l'OTAN, c'est-à-dire des Américains ; ces derniers (OTAN-US), bien entendu, avec une approche complètement différente : action concernant essentiellement le militaire, les liens de sécurité, la lutte contre le terrorisme. (L'ambition européenne est beaucoup plus économique et culturelle, disons “civilisatrice”, prenant la Méditerranée pour une zone fondatrice de la civilisation européenne.)
Des sources européennes indiquent qu'il y a de nombreux appels informels actuellement, de la part des pays du Maghreb, et notamment de l'Algérie, pour obtenir que l'Europe (la France en particulier) lance de façon beaucoup plus active une coopération institutionnelle et active entre l'Europe et le Maghreb. De ce point de vue comme en nombre d'autres, l'Europe institutionnelle est de plus en plus paralysée. Elle s'engage massivement et avec des résultats dérisoires dans des zones totalement étrangères à son destin et à ses intérêts, comme l'Afghanistan certes. L'absence de logique et de bon sens de cet engagement est remarquable ; il ne répond qu'à l'entraînement conformiste de ces institutions européennes, à une politique qui n'a comme justification que d'être pro-américaine, il illustre sans ambiguïté le comportement politique des institutions européennes aujourd'hui.
Cette situation en Afghanistan contraste de façon dramatique avec l'absence d'engagement européen constructif et à long terme en Méditerranée et dans le Maghreb, malgré les orientations mises en place. « Pourtant, nous dit une source européenne, ce n'est pas l'occasion ni la nécessité qui manque. Les contacts personnels sont révélateurs. Je reçois constamment des messages de collègues algériens, des chercheurs, des experts, qui ne cessent de demander “où est l'Europe, que fait l'Europe?” Il y a un besoin et une attente peu ordinaires. » Cette même remarque est valable pour la France, déchirée par des analyses parfois trop subtiles sur les équilibres du pouvoir en Algérie, et paralysée par une campagne médiatique et virtualiste sans fin sur “la mémoire” et la culpabilité nées de la guerre d'Algérie. Cela n'a rien à voir avec la réalité franco-algérienne, et tout avec la satisfaction des salons parisiens.
Les initiatives mentionnées plus haut et qui justifient cette analyse, surtout l'initiative l'américaine, ont un avantage potentiel, tant il ne faut jamais désespérer de l'aide involontaire des Américains. Par leur brutalité et leur grossièreté, elles marquent que les ambitions US dans cette région ne sont qu'intéressées par les aspects les plus mercantiles et les plus déstabilisants : vente d'armes, coopération contre le terrorisme, acquisition de marchés, rien de plus. Elles sont comme d'habitude totalement déstabilisantes, comme le craignent même (surtout ?) les Britanniques (voir l'avis de Timothy Garden). Elles élargissent encore les voies d'action des US, en montrant qu'aucune structure en place ne sera respectée. Ici, c'est l'influence française, également ignorée par les entreprises US d'installation à Djibouti ; demain d'autres zones et d'autres influences seront concernées, et des pays comme l'Italie et l'Espagne, malgré leur alignement récent sur les USA, seront obligés d'en tenir compte. Les enjeux sont connus et sans originalité : l'influence politique et économique, les liens culturels, et, évidemment des problèmes beaucoup plus brûlants, comme l'immigration, que l'action américaine va largement contribuer dans ses multiples effets à aggraver.
La marche de la politique déstabilisatrice US continue et concerne désormais l'“extérieur proche” de l'Europe. L'avantage de ces événements est qu'avec leur brutalité ils constituent de très réels signaux d'alarme, et ils mettent les Européens devant des réalités qu'ils s'emploient en général à écarter.