Deus ex machina relance la crise Snowden/NSA

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Deus ex machina relance la crise Snowden/NSA

Alors que la phase paroxystique de la crise syrienne accaparait beaucoup l’attention, la crise Snowden/NSA se poursuivait. A cet égard, on pourrait parler de résilience tant cette crise persiste et même s’installe dans la vie quotidienne des USA. Il nous paraît évident que la crise Snowden/NSA, à partir du moment où elle est devenue spécifiquement US, avec les révélations concernant la surveillance des citoyens US (à peu près à partir de la mi-juillet), a constitué une puissante et permanente intervention de communication.

Notre appréciation, comme hypothèse, est que la crise Snowden/NSA dans son “activisme” touchant la majorité de la population aux USA, a fortement préparé les psychologies à la phase paroxystique de la crise syrienne, à partir du 21 août, dans le sens de la manifestation très rapidement imposante d’une opposition aux frappes contre la Syrie et, plus généralement, de l’affirmation d’un sentiment anti-interventionniste, voire neo-isolationniste. Cela vaut aussi bien pour les parlementaires eux-mêmes, particulièrement à la Chambre des Représentants, et le lien doit être fait sans hésitation entre le vote sur la NSA de fin juillet (voir le 27 juillet 2013) et l’opposition de cette même Chambre à la demande de soutien aux frappes contre la Syrie du président Obama, à partir du 31 août. C’est donc un paradoxe par rapport à ceux qui croyaient ou craignaient que la crise syrienne annulerait l’effet de Snowden/NSA. Au contraire, Snowden/NSA s’annonce sans aucun doute comme la crise la plus “structurante” (infrastructure crisique) des psychologies dans le sens antiSystème qu’ait connues les USA depuis la “crise d’identité” qui suivit la fin de la Guerre froide (voir aussi bien le 23 novembre 2003 que le 2 septembre 2005), laquelle suscita à terme la crise autour de 9/11. Snowden/NAS est bien la “crise diluvienne” identifiée le 2 août 2013. Elle joue un rôle fondamental dans la destruction des structures faussaires imposées par l’action de sécurité nationale des gouvernements successifs depuis le 11 septembre 2001, – destruction dont les effets sont apparus évidents à l’occasion de l’anniversaire de 9/11 il y a deux jours (voir le 12 septembre 2013).

• Par conséquent et fort logiquement, le détricotage de la NSA se poursuit au travers du flot régulier de révélations, et cette activité devenue une sorte de domaine spécifique et structurel du système de la communication. (Au reste, des révélations autres que venues du fonds Snowden, y compris par des canaux de déclassification officiels établis sous les pressions diverses, du public et d’associations, prennent leur place dans ce domaine.) Certaines de ces révélations constituent un renforcement remarquable de la connaissance du monstre-NSA, ou de ce qu’il y a d’“inconnaissable” dans le monstre-NSA, avec des enseignements extrêmement importants pour les domaines les plus vastes, y compris ceux de notre civilisation en général, pour le domaine de l’informatique, pour le domaine des gigantesques technostructures qui prétendent réguler et contrôler de plus en plus d’aspects de la vie courante, tout autant que de la sécurité nationale, – avec de plus en plus d’échecs et d’effets invertis à cet égard. Ainsi en est-il des révélations venues d’un flot de documents déclassifiés le 10 septembre, dont AP fait une analyse générale mais d’un réel intérêt fondamental, quasiment métaphysique si l’on veut traiter sur le fond le problème ainsi mis à jour. En résumé, ce problème est résumé par ce constat : personne n’est capable aujourd’hui de dire ce que fait la NSA, comment elle fonctionne, etc., y compris ceux qui la contrôlent prétendument. En ce qui concerne l’entité NSA, on ignore si elle “sait”, elle-même, comment elle fonctionne, car personne ne semble capable de l’interroger, – le sphinx ne répond pas ... Par voie de conséquence évidente, il apparaît que la NSA et/ou ses pseudo-dirigeants ne savent pas, et, quasiment, ne peuvent pas savoir ce que Snowden a emporté avec lui, — cela est confirmé quasi-officiellement. Ces informations suscitent alors une observation ontologique intéressante : si le torrent de révélations sur la NSA lancée par la crise Snowden/NSA constitue effectivement une sorte de processus apparenté à la lettre du phénomène du deus ex machina, on observera qu’il s’agirait moins d’un dieu sortant de la machine pour proclamer que la NSA est Dieu que pour dénoncer la prétention grotesque de la NSA à être Dieu... (AP, sur Yahoo.com, le 11 septembre 2013.)

«The surveillance machine grew too big for anyone to understand. The National Security Agency set it in motion in 2006 and the vast network of supercomputers, switches and wiretaps began gathering Americans' phone and Internet records by the millions, looking for signs of terrorism. But every day, NSA analysts snooped on more American phone records than they were allowed to. Some officials searched databases of phone records without even realizing it. Others shared the results of their searches with people who weren't authorized to see them.

»It took nearly three years before the government figured out that so much had gone wrong. It took even longer to figure out why. Newly declassified documents released Tuesday tell a story of a surveillance apparatus so unwieldy and complex that nobody fully comprehended it, even as the government pointed it at the American people in the name of protecting them. “There was no single person who had a complete technical understanding,” government lawyers explained to a federal judge in 2009. [...]

»“It appears there was never a complete understanding among the key personnel regarding what each individual meant by the terminology,” lawyers wrote in March 2009 as the scope of the problems came into focus. As a result, the judges on the surveillance court, who rely on the NSA to explain the surveillance program, approved a program that was far more intrusive than they believed... [...]

»From 2006 through early 2009, for instance, the NSA's computers reached into the database of phone records and compared them with thousands of others without “reasonable, articulable suspicion,” the required legal standard. By the time the problems were discovered, only about 10 percent of the 17,835 phone numbers on the government's watch list in early 2009 met the legal standard. By then, Walton said he'd “lost confidence” in the NSA's ability to legally operate the program. He ordered a full review of the surveillance. In its long report to the surveillance court in August 2009, the Obama administration blamed its mistakes on the complexity of the system and “a lack of shared understanding among the key stakeholders” about the scope of the surveillance... [...]

»Obama and Clapper have said the changes made in 2009 resulted in tightened controls. American data is still collected but only seldom looked at, officials said. And it is kept on secure computer servers equipped with special software to protect it from analysts looking to illegally snoop. “There are checks at multiple levels,” NSA Deputy Director John Inglis told Congress in July. “There are checks in terms of what an individual might be doing at any moment in time.”

»The same checks that protect Americans' personal data were also supposed to protect the NSA's information. Yet Snowden, a 29-year-old contractor, managed to walk out with flash drives full of the nation's most highly classified documents. The NSA is still trying to figure out, in such a complex system, exactly how Snowden defeated those checks. “I think we can say that they failed,” Inglis said. “But we don't yet know where.”»

• Un deuxième aspect dans le volet des plus récentes révélations suscite particulièrement les passion : la révélation que la NSA a transmis et transmet aux services de renseignement israéliens, selon un processus structurel sans doute développé sans que personne ne sache ce qu’il contient vraiment comme pour le reste des activités de la NSA, des données évidemment confidentielles sur les écoutes et la surveillance de citoyens US sans besoin de suspicion à leur encontre. De nombreux documents sont publiés par Glenn Greenwald et Laura Poitras dans le Guardian du 11 septembre 2013, la révélation se plaçant dans le flux central des révélations sur la NSA, c’est-à-dire la filière Greenwald-Guardian. Ces révélations sont survenues à un moment opportun, en plein épisode final de l’actuelle phase de la crise syrienne, en interférant indirectement sur cette crise au moment où la dramatisation retombait, ce qui implique une démarche extrêmement mesurée et tactiquement très habile de la part de Greenwald et du Guardian. Le groupe de promotion de la crise Snowden/NSA, agissant en tacticien consommé de la communication, a repris “la vedette” dans le système de la communication en utilisant la notoriété de communication de cette crise syrienne au moment où l’écho de communication de celle-ci s’amoindrit, en se connectant directement à elle. La mise en évidence du laxisme des USA dans leurs liens avec Israël devient un argument fortement renforcé par le climat actuel au Moyen-Orient, et montre cette habileté opérationnelle de l’utilisation d’une crise (syrienne) dont certains jugent pourtant qu’elle a été lancée dans sa phase actuelle, notamment pour étouffer la crise Snowden/NSA.

... Ce qui est d’ailleurs la thèse à nouveau avancée, et là d’une façon très offensive et bénéfique pour le flux des révélations Snowden/NSA, par les libertariens US, qui constituent désormais un groupe important à cause de la place centrale qu’ils occupent dans le parti républicain et la contestation du Congrès (de la Chambre) de la politique de sécurité nationale. Les libertariens tendent en effet à mettre en évidence que les pratiques de la NSA de livrer directement à Israël des informations illégales et “non filtrées” concernant les citoyens US, c’est-à-dire sans aucune préoccupation de “protéger” leur vie privée en aucune sorte, constituent un acte de véritable trahison du pouvoir central vis-à-vis des citoyens, – sujet essentiel de contestation pour les libertariens. Le site ZeroHedge relance alors l’hypothèse (le 12 septembre 2013) que la phase paroxystique de la crise syrienne a été lancée par les USA, avec un montage autour de l’attaque chimique du 21 août, spécifiquement pour tenter de couvrir cet aspect de la crise Snowden/NSA ...

« The “evidence” provided was nothing more than unsupported assertions masked by manufactured outrage [...] So why all the drama? Why the desperation to focus our attention externally, to monsters abroad in need of slaying? Could it be the mushrooming NSA scandal, that all of a sudden has grown exponentially more serious with today’s Guardian Snowden-leak sourced report that the “NSA shares raw intelligence including Americans’ data with Israel.” According to the Guardian’s Glenn Greenwald, the National Security Agency routinely sends raw intelligence information to Israeli intelligence without first removing information about American citizens.

»In effect, rather than serving to protect the safety of Americans and national security of the United States the NSA has seemingly become an agent of Israeli intelligence. Understanding how Israel treats those perceived as its enemies, can we know that our own government is not providing its own citizens as targets for assassination by a foreign power?»

A gauche de la coalition antiSystème suscitée par la crise Snowden/NSA et déjà manifestée par le vote du 24 juillet de la Chambre des Représentants, ces révélations sur les liens NSA-Israël ont eu aussi un effet important. On le voit avec une interview de Democracy Now !, d’un des dirigeants de l’association pour les droits civiques ACLU, le 12 septembre 2013, par Amy Goodman. Democracy Now ! observe, en introduction de cette interview : «Despite assurances from President Obama, the scandal around the National Security Agency continues to grow...» La crise Snowden/NSA, qui a résisté avec succès au changement d’orientation du système de la communication avec la phase éruptive de la crise syrienne, reprend ainsi la main.

• Là-dessus viennent les intéressantes et somme toute étranges déclarations du directeur national du renseignement (DNI) James Clapper, jusque là cantonné dans une défense forcenée de la NSA au prix de quelques “mensonges sous serment” qui ont conduit un certain nombre de parlementaires à demander sa démission. D’une part (Los Angeles Times du 12 septembre 2013), Clapper se félicite des effets de la crise dans ce qu’elle a provoqué un débat national sur la NSA («I think it's clear that some of the conversations this has generated, some of the debate, actually needed to happen. If there's a good side to this, maybe that's it»). D’autre part (Washington Times, le 12 septembre 2013), Clapper estime sans le moindre doute que le Congrès agira pour restreindre de façon importante les pouvoirs de la NSA dans certains programmes sensibles, et effectivement identifiés («It's very clear that — to the extent we get to keep these tools at all — they're going to be legislatively amended»). Clapper annonce également, d’une façon assez étonnante, d’autres révélations sur la NSA qui vont continuer à endommager les capacités et le crédit de l’agence, montrant par là que la communauté du renseignement tend à se considérer comme totalement impuissante face au flux de communication suscitée par la crise Snowden/NSA : «The “continuous stream of revelations” that has appeared in U.S. and British newspapers has damaged national security, and is far from over, Clapper said. “Unfortunately, there is more to come,” he said.»

Ces déclarations de Clapper montrent combien la communauté de renseignement, comme l’administration Obama en général, est sur la défensive et sans aucun moyen d’action face à la crise Snowden/NSA. Les déclarations de circonstance sur l’intérêt d’une “conversation nationale” et sur la réforme de la NSA sont de pure convenance et renvoient à la politique défensive de communication d’Obama sur la question. D’une façon générale, on observera combien le climat, déjà évident début août dans la crise Snowden/NSA, largement accentué par la crise de l’armement chimique en Syrie, est celui d’une complète déroute de l’administration Obama et d’une position de défensive renforcée et presque désespérée, sinon fataliste, sur ces sujets de la part de la communauté de sécurité nationale aux USA.

L’aveu explicite et implicite de Clapper, – les révélations sur la NSA vont se poursuivre et nous n’y pouvons rien, – est extraordinairement révélateur à cet égard. Il constitue indirectement une sorte de reconnaissance d’une défaite complète. Il est d’ailleurs renforcé par les révélations vues plus haut sur la transformation de la NSA en une entité incontrôlée que “personne ne comprend” : non seulement Clapper et compagnie ne peuvent interrompre le flot des révélations du fonds Snowden mais ils ne savent pas ce que ce flot contient parce qu’ils ne savent pas ce dont Snowden dispose, par le fait même, mais également parce qu’ils ne savent pas précisément ce que fait la NSA ! Ils sont privés de référence dans les deux sens, du côté de Snowden et du côté de la NSA, flottant ainsi dans un éther de révélations et de déroute, sans la moindre prise, encaissant les coups de tous côtés sans voir rien venir. Ainsi y aurait-il pour eux, ultime consolation dans cette situation folle, une sorte de satisfaction secrète qui s’exprimerait par cette pensée non exprimée : “Peut-être Snowden nous permettra-t-il de mieux comprendre ce que fait la NSA et d’apprendre enfin ce que sont les résultats de son action”... Finalement, l’hypothèse suprême s’impose avec cette question : Snowden est-il le véritable deus ex machina dont il est question dans cette affaire ?


Mis en ligne le 13 septembre 2013 à 06H44