DIALOGUES-17 : Du Système et de l’impuissance (temporaire ?)

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DIALOGUES-17 : Du Système et de l’impuissance (temporaire ?)

Je ne vais pas ici répondre directement, mon cher Philippe, à votre excellent dernier Dialogue car je voudrais y consacrer un peu plus de temps. Je vous réponds quand même indirectement, en développant les conséquences découlant me semble-t-il de la crise des deux Corées, de la façon dont Obama est désormais mis sous surveillance par la droite américaine, et de celle dont Nicolas Sarkozy semble de la même façon mis sous surveillance en France, y compris par les siens. Nous sommes bien là sur un sujet qui vous est cher, celui de la possible crise finale du Système.

On sait que l'artillerie nord coréenne a bombardé le 23/11, sans préavis et sans motifs avoués, l'ile sud-coréenne de Yeonpyeong, en faisant 4 morts. La Corée du Sud a mis des forces aériennes et navales en alerte mais n'a pas sérieusement riposté. Ce même 23 au soir, le président américain Barack Obama et son homologue sud- coréen Lee Myung-Bak ont convenu d'avancer à la fin de la présente semaine la date d'exercices militaires communs déjà prévus dans la zone. Le porte avion américain George Washington et divers bâtiments d'escorte accompagnés d'aviation seront déployés au large des côtes au prétexte de rassurer les Sud-Coréens. L'objectif est aussi de montrer à l'ensemble des pays concernés, les deux Corées, le Japon et la Chine, que l'Amérique n'a pas renoncé à une présence militaire en mer de Chine jugée en général stabilisatrice par ses alliés.

Cette attaque, qui ne semblait pas avoir été prévue par le renseignement US, met de nouveau Barack Obama à l'épreuve. Il est obligé de choisir entre des options aussi mauvaises potentiellement les unes que les autres: répondre par des menaces verbales et un renforcement des sanctions qui n'impressionnent personne (ce que l'on nomme à la Maison Blanche la “patience stratégique”), entreprendre (comme il le fait maintenant) des gesticulations militaires largement symboliques, ou réagir militairement, ce qui pourrait déclencher une guerre étendue, aux portes mêmes de Séoul.

La possibilité d'une guerre ne semble pas avoir été prise en considération par la Corée du Nord, où l'on ne détecte aucun préparatif militaire sérieux. On ne voit pas en fait comment la Corée du Nord pourrait sortir à son avantage d'une confrontation armée généralisée. Mais il semble qu'elle ne la craigne pas. Une attaque américaine massive, avec des moyens conventionnels, serait difficile à justifier car elle ferait porter sur l'Amérique la responsabilité des milliers de morts et des destructions qui en résulteraient, avec la destruction de tous les centres vitaux situés des deux côtés de la frontière. On écartera par ailleurs jusqu'à plus ample informé la possibilité que les Nord-Coréens ou les Etats-Unis utilisent l'arme nucléaire. Il s'agirait d'une apocalypse dont nul ne sortirait gagnant.

La Corée du Nord a donc intérêt à poursuivre des batailles d'escarmouche, assez semblables à la guerre de 4e génération menée contre l'Amérique en Afghanistan après l'avoir été en Irak. Les faibles réactions américaines prévisibles sont pour elle autant de victoires, car elles décrédibilisent les Etats-Unis et Barack Obama lui-même aux yeux des pays voisins. Si en effet l'Amérique se limitait à des solutions diplomatiques pour calmer la Corée du Nord, elle retrouverait une démarche qui a depuis longtemps montré son inefficacité quand il s'agissait de convaincre Pyong Yang de renoncer à se doter de nouvelles armes nucléaires. La Corée du Nord n'a fait que s'affirmer toujours davantage aux yeux du Japon et de la Chine, tandis que les Etats-Unis semblaient là comme ailleurs sur le recul.

Pékin n'a jusqu'à présent rien proposé d'autre que la reprise des négociations à 6 qui avaient été ajournées précédemment: les deux Corées, le Japon, la Russie, la Chine et les Etats-Unis. Mais Obama a décliné l'offre qui lui paraît de nature dilatoire et ne rien résoudre. Il vient d'inviter, directement et par la voix de l'amiral Mike Mullen, président des Joint Chiefs of Staff, la Chine à prendre la tête des opérations destinées à calmer la Corée du Nord. Mais qu'attendre de la Chine? On ne voit pas l'intérêt qu'elle aurait à conforter la position américaine, d'autant plus qu'une éventuelle menace nord coréenne ne présente à son encontre aucun risque sérieux. Même si elle n'espère pas chasser l'US Navy hors de la mer de Chine orientale, tout ce qui l'affaiblit aux yeux notamment du Japon et de la Russie ne peut que l'intéresser.

Nous nous trompons peut-être, mais nous pensons que la Corée du Nord joue sur du velours, dans un jeu stratégique où elle n'a rien à perdre, étant déjà semble-t-il au bord du collapse. Le mystère sur ses intentions, la possibilité à ne pas exclure qu'elle puisse un jour adopter une position vraiment suicidaire, ne font que renforcer sa position. C'est la force du faible face au fort. En attendant elle peut continuer à se doter d'un nouveau “complexe nucléaire ultra moderne”, selon les termes d'un observateur américain.

Le rejet du Système

Si nous insistons sur la crise coréenne, c'est moins pour les enjeux propres qu'elle recèle, mais pour un phénomène d'une toute autre ampleur qu'elle révèle. Nous sommes directement concernés. Obama dans cette crise ne pourra que faire de mauvais choix, qu'il écoute ou non les faucons de son entourage. C'est un premier point essentiel sur lequel il faudrait insister. Obama est désormais un président en sursis, paralysé par l'opposition politique. Les Républicains souhaitent tellement son échec qu'ils verraient bien, comme l'a regretté amèrement en ce qui concerne la politique budgétaire Paul Krugman (Voir NYT, «There will be blood», http://nyti.ms/drUJCG ), que cet échec s'accomplisse sur fond d'affaiblissement national.

Mais ce ne sont pas seulement les Républicains et les membres des Tea Parties ennemis jurés d'Obama qui veulent sa chute par tous les moyens, quitte à sacrifier leurs propres intérêts. C'est semble-t-il l'ensemble de l'opinion publique. Celle-ci est manifestement exaspérée par une crise qui s'éternise et à laquelle aucune réforme ni même aucune révolution ne semblerait pourvoir apporter de solutions. Le système global semble condamné. Cependant, nul ne perçoit clairement quel est exactement ce système. Est-ce le lobby militaro-industriel, est-ce l'américanisme et le mode de vie américain, est-ce plus largement la conspiration mondiale des puissances financières illustrée (quelle coïncidence) par le film Inside Job?

Ne sachant exactement à qui s'en prendre, l'opinion publique ne sait manifestement par quoi remplacer ce système qu'elle rejette. La voie de la réforme politique semble fermée par les représentants Républicains du système eux-mêmes. Celle des insurrections populaires ne convainc personne, car elles peuvent conduire à la mise en place d'un véritable pouvoir militaire. Reste certes l'expression multiforme des différents mécontentements populaires par la voie de l'Internet et des médias. Mais la fureur diffuse qu'elle recèle ne fait pour le moment émerger que le vague espoir d'un chaos salvateur. Il y aura du sang, pour reprendre le terme de Paul Krugman, et bien tant mieux, le plus vite possible. Excellente nouvelle penseront tous ceux, en Europe ou ailleurs, pour qui l'Amérique militaro-industrielle continue à symboliser le système global en train de détruire silencieusement le monde.

Cependant, il s'agit en partie d'un fantasme, bien sûr. Ceux qui prédisent ou espèrent du sang ne sont pas tous prêts à le faire couler eux-mêmes. Ce qui est certain, c'est qu'ils sont prêts à déboulonner leurs idoles. C'est ce qui menace maintenant Obama, c'est-à-dire une chute presque aussi honteuse que celle de la statue de Saddam à Bagdad.

On serait tenté, à en croire les gazettes, que Sarkozy pourrait être victime d'un rejet identique. Non pas le rejet de la majorité de l'opinion française, car ce rejet date de plusieurs mois, mais le rejet des siens, de ceux qui l'avaient porté au pouvoir pour qu'il fasse triompher leurs intérêts et qui devant ses maladresses lui chercheraient peut-être dorénavant un remplaçant. Il s'agit peut-être là encore d'un fantasme. Sarkozy et Fillon s'entendent sans doute fort bien pour jouer jusqu'aux élections la même partition avec des instruments différents. A écouter cependant le ton triomphal de Fillon à l'Assemblée le 24, et en contrepoint le propos épuisé, incohérent et quasi inaudible de Sarkozy se défendant devant la presse des soupçons portés contre lui dans l'affaire de Karachi (1), on a l'impression que la droite (par la bienveillance probable de laquelle nous disposons de cet enregistrement) l'a déjà lâché. There will be blood.

Jean-Paul Baquiast

Note

(1) Bande son à ce lien.


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