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1582Quelle étrange situation, quel paradoxe instructif où le dérisoire n’est pas là où “ils” aimeraient qu’il soit… Tous ces banquiers, à Davos, discutant de la belle opération réalisée ces deux dernières années par nos dirigeants éminemment démocratiques, consistant à jeter des milliards de milliards de n’importe quoi pourvu que ce soit du fric sans odeur, dans leurs poubelles luxueuses, pour “sauver” cette pourriture puante et en pleine décomposition ; en même temps, au Caire, ces milliers d’Egyptiens, applaudissant ou montant sur les chars de l’armée égyptienne couverts de graffitis (“A bas Moubarak” et le reste), sous les encouragements des tankistes… Goûtez le sel tragique de la crise en pleine expansion eschatologique.
Ayant quelques décennies de travail dans l’information derrière moi, je peux évoquer quelques souvenirs… J’ai suivi et parfois commenté diverses crises aboutissant à des prises de pouvoir, à des changements de régime, etc., crises manipulées ou crises préparées, parfois crises qu’on présentait comme spontanées c’est selon. Je n’ai jamais rencontré une de ces crises, touchant un pays de l’importance réduite de la Tunisie, qui déclenchât aussitôt un tel flot grondant de commentaires, de prévisions et de supputations portant sur l’extension immédiate de cette crise à d’autres pays, littéralement comme une traînée de poudre, d’abord aux pays arabo-musulmans, éventuellement à des pays d’autres zones, y compris celle de l’univers occidentalistes-américanistes… Et tout cela, et peut-être est-ce le fait le plus extraordinaire de cette situation, avec la prévision aussitôt confirmée par l’embrasement de la situation en Egypte, comme si cette “prévision” avait changé de nature et était devenue la simple lecture d’un enchaînement inéluctable dépendant d’une force supérieure.
(Même la révolution islamiste de 1978-1979 en Iran, si elle fut évidemment perçue comme déstabilisante pour la région, fut surtout perçue du point de vue stratégique et n’entraîna des supputations d’extension que dans un sens très modéré. Les affrontements de La Mecque de 1979 en Arabie, s’ils nourrirent ces craintes, ne le firent que d’une façon très modérée là aussi, et n’aboutirent à rien de sérieux. La radicalisation islamiste de l’Iran n’empêcha nullement les USA de jouer, dès l’été 1979, et notamment avec l’Arabie, la carte de l’islamisme radical en Afghanistan contre l’URSS, montrant par là indirectement que l’esprit du temps et sa psychologie ne croyaient pas vraiment à cette possibilité d’extension.)
Je mets à part toutes les considérations spécifiques aux diverses situations pour ne retenir qu’un enseignement général. Dans ces années-là, à peu près du temps de la Guerre froide, et même au-delà jusqu’en 2001, prédominait l’idée, née d’une psychologie de situation extrêmement forte, que le Système était à la fois verrouillé et à peu près satisfaisant dans son fonctionnement. Il n’y avait aucune sensation sérieuse, collectivement partagée, d’un Système aux abois, voire en danger, voire seulement contestable ; il n’y avait aucune “psychologie de situation”, – je répète l’expression, – exprimant la perception de la menace de crises eschatologiques (ressources environnement, climat, etc.). Il régnait un certain sentiment général de l’inéluctabilité d’un tel Système, même si certains déploraient profondément ce caractère comme la marque d’un affreux blocage de la civilisation, même si d’autres dénonçaient son caractère fallacieux en annonçant de terribles orages à venir. Aujourd’hui, à peine quelques années plus tard, la situation psychologique est radicalement différente, et l’on sait dans quel sens ; elle pèse de tout son poids et de plus en plus à visage découvert, et il s’agit certes d’un événement extraordinaire que cette rapidité du changement de la psychologie de situation ; ce caractère extraordinaire lui-même, la rapidité du changement, sont un signe de l’importance et de la vérité de l’événement.... Hier, le Système pouvait supporter des explosions sans qu’on songeât une seconde à sa Chute ; aujourd’hui, la moindre nouvelle étincelle provoque une vague de spéculations affreusement pessimistes et alimente aussitôt un incendie déjà grondant, et conduit aussitôt à songer une nouvelle fois au pire, voire donne fermement à penser que le pire (l’effondrement du Système) est en cours d’ores et déjà. (Tout cela, et particulièrement le rôle d’une psychologie désormais devenue un relais direct fondamental de l’extension de la crise par sa perception de la puissance de l’événement, est évoqué dans le F&C du 28 janvier 2011.)
Dans votre dernier et tout proche DIALOGUE du 29 janvier 2011, vous écrivez : «Pour ma part, je suis de ceux qui pensent que quelque chose se prépare, lourd de conséquences, dont sans doute nos vies seront affectées, mais dont il est difficile aujourd'hui d'envisager les modalités…» Je considérerais presque ce jugement comme un constat objectif qui devrait s’imposer à chacun de nous pour nous dicter la voie de nos réflexions. Je l’ai écrit bien souvent et c’est un fondement de la réflexion et du commentaire sur ce site ; je pense effectivement que “quelque chose” de fondamental se prépare, – non, que cela même est d’ores et déjà en cours sans qu’on ne saisisse ce phénomène sinon par intuition, – et qu’on ne peut savoir de quoi ce “quelque chose” est fait. (Pour moi, si le schéma de l’effondrement du Système est évident, cela ne me dit nullement comment se fait cet effondrement, de quoi il est fait et où il nous conduit.)
Il est alors bienvenu d’effectivement inclure dans ces DIALOGUES comme vous l’avez fait à la fin de votre texte, quelques précisions et descriptions concernant notre rôle, à nous, commentateurs, ou mieux encore, comme j’affectionne le terme, parlant plutôt du “chroniqueur”, – et plutôt métahistorique et intuitif pour mon compte, – un “chroniqueur métahistorique” posté en sentinelle pour suivre et commenter la montée des périls, comme une “sentinelle métahistorique”… Mon jugement à cet égard est évidemment radical et sans la moindre hésitation. Il n’y a pas aujourd’hui d’autre tâche concevable, de démarche plus pressante, dans le domaine de l’observation, de l’analyse, de la connaissance de la marche du monde, que de suivre les péripéties de cet événement immense qui nous presse, qui va survenir, qui est déjà en cours, qui déferle sous nos yeux. Je crois que toutes les perceptions, toutes les analyses, toutes les considérations, qu’elles soient même très précisées ou fortement incluses dans des domaines très spécifiques ou très spécialisés, doivent être jaugées selon leurs références à cet événement immense et sourd, et pourtant déjà si éclatant, qui a envahi la perceptive de notre avenir immédiat. Je crois que ce travail intellectuel a le sens d’une véritable action métahistorique, parce qu’il entretient et renforce cette “situation psychologique” qui rend chaque jour plus évidente l’inéluctabilité de la Chute, – inéluctabilité pour inéluctabilité, dira-t-on, nous voilà enfin en face de notre Vérité…
Chaque chroniqueur, chaque observateur envisage cette démarche selon ses conceptions. Vous êtes attachés au domaine et à la position scientifiques, je le suis beaucoup moins et recherche l’aide de l’intuition et de la métaphysique, avec une puissante référence à l’histoire considérée dans sa fonction haute de métahistoire. Cette différence d’approche fait, j’imagine, le sel de ces DIALOGUES, et nous devons poursuivre dans ce sens. Au-dessus de tout cela doit dominer le sens d’une mobilisation intellectuelle et intuitive qui doit alimenter ce qui, dans le système de la communication, peut servir à l’avancement de cette bataille de la perception. Ce que je nomme notre “psychologie de situation”, qui conduit à la conscience des choses mais qui aiguise aussi les capacités de l’esprit dans le sens de la recherche intuitive, doit être adapté à ce qui est en train de devenir la vérité pressante et bouleversante de notre monde, – la chute inéluctable et de plus en plus accélérée de ce que je nomme “le Système”, ou quelque nom qu’on lui donne, qui est manifestement une entreprise eschatologique où, je le répète, je distingue pour ma part les signes manifestes du “Mal absolu”.
Plus que ce ne fut jamais le cas, dans un temps où des mots comme “jamais” ont tout leur sens et tout leur poids, notre voie doit être celle d’une nécessité de l’observation et de la réflexion, de l’interprétation, de la vigilance, pour que toutes les consciences s’entraident dans cette quête de la vérité d’un événement bouleversant en train de se faire, et, surtout, de son issue et de sa signification la plus fondamentale. Il va sans dire, et il va beaucoup mieux en le proclamant hautement, que dedefensa.org est là pour ça, – et ces DIALOGUES, par conséquent.