DIALOGUES-I: notre projet

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DIALOGUES-I: notre projet

30 mars 2010 — dedefensa.org présente ici un projet d’un travail commun baptisé “DIALOGUES”, qui sera effectivement identifié sous cette forme. Chaque texte sera effectivement identifié par la présence de ce mot “DIALOGUES” numéroté, la numérotation en chiffres romains concernant les textes de présentation de la série, puis nous enchaînerons avec une numérotation en chiffres arabes. Ce travail sera principalement réalisé par Jean-Paul Baquiast, qui anime et dirige plusieurs sites à la fois politique et scientifique, et Philippe Grasset. C’est la formule de départ, qui peut s’avérer définitive ou qui pourrait évoluer. Dans le texte principal ci-dessous, Jean-Paul Baquiast présente les principes et les modes de fonctionnement de ce travail.

Il s’agit, au travers d’un processus de “dialogue”, de faire progresser la recherche d’une évaluation de la situation générale du monde, plus exactement selon nous, de la situation générale de la crise du monde. D’une certaine façon, il s’agirait d’une démarche que nous serions tentés, nous, à dedefensa.org, de qualifier de démarche de “crisologie”, – signifiant par là que la situation du monde est devenue, pour nous, quasiment de façon structurelle, une situation de crise. Ce constat autorise toutes les sortes de recherche et, même, impose les plus audacieuses.

L’intérêt de ces “dialogues” est que les deux interlocuteurs, s’ils ont des buts intellectuels manifestement communs, suivent des voies intellectuelles très différentes pour y parvenir. La confrontation, voire l’intégration de ces voies nous paraissent pouvoir éventuellement donner des résultats fructueux.

Nous n’en sommes pour l’instant qu’à une première approche. Nous établirons, à mesure que le dialogue prendra forme, une structure et un classement où s’inscriront les divers textes qui seront présentés. Pour l’instant, avec ce texte commence une série préliminaire, qui expose les buts et modalités du dialogue, et les positions des interlocuteurs au travers de la présentation des ouvrages sur lesquels ils appuient et développent leurs conceptions.

dedefensa.org

DIALOGUES-I : présentation d'ensemble

Ayant depuis longtemps l'habitude d'échanger des informations et des opinions concernant l'évolution économique, sociale et politique du monde actuel, Philippe Grasset et moi-même avons pensé qu'il serait intéressant de réfléchir à d'éventuels échanges plus construits.

En simplifiant beaucoup, on pourrait dire que Philippe Grasset, écrivain et responsable du site dedefensa.org, réalise depuis des années un double travail. Il observe l'évolution des idées politiques, principalement à partir des articles de la presse internationale ou de communiqués qu'il analyse régulièrement. Il ne s'agit pas d'observations quantifiées, comme celles d'un sociologue statisticien. Elles ne sont pas non plus archivées et classées d'une façon détaillée, permettant à des historiens d'en faire sans difficultés le support d'études approfondies. Il s'agit d'une matière riche mais brute. Néanmoins, ce travail donne des informations qualitatives en temps réel permettant de percevoir de grands courants évolutifs. Ces informations sont aussi objectives que possible, en ce sens que Philippe Grasset n'invente pas les textes sur lesquels il s'appuie, même s'il procède à des sélections indispensables compte tenu du caractère foisonnant des questions traités et de l'actualité.

Le deuxième travail auquel procède Philippe Grasset consiste à utiliser les informations ainsi recueillies pour en tirer des hypothèses relatives à l'évolution du monde, sous divers angles (politiques, économiques, sociologiques). Il s'agit là d'une démarche beaucoup plus subjective, en ce sens que ces hypothèses résultent en partie non de données objectives, mais de la sensibilité générale de l'auteur. Mais ces hypothèses sont conçues par lui comme devant faire l'objet de vérifications, soit de sa part, soit de ses lecteurs. Ses livres, notamment Les âmes de Verdun et La grâce de l'Histoire, en donnent des synthèses significatives, d'une portée philosophique et même poétique considérable. Le lecteur trouve donc là l'amorce d'une démarche scientifique expérimentale véritable: observer, interpréter, formuler des hypothèses interprétatives, vérifier ces hypothèses et en proposer d'autres supposées plus pertinentes.

Pour ma part, tout en m'intéressant comme chroniqueur politique du site Europe-Solidaire à la plupart des questions qu'étudie Philippe Grasset et utilisant quotidiennement les données qu'il recueille et les hypothèses qu'il formule, j'essaye d'appliquer à ces domaines un certain nombre des méthodes utilisées dans les disciplines scientifiques que je présente depuis dix ans sur le site Automates Intelligents. Il s'agit notamment de la biologie darwinienne, des neurosciences, de l'informatique et plus généralement de ce que l'on nomme les sciences de la complexité. L'utilisation de ces sciences par des chercheurs préoccupés, eux aussi, de comprendre l'évolution du monde est devenue monnaie courante. Mais les interprétations de cette évolution à la lumière de telle ou telle discipline scientifique sont loin de faire l'objet de consensus. Il y a donc place pour de nouvelles interprétations. Celles-ci à leur tour doivent être considérées comme des hypothèses, devant être soumises à expérimentation, afin de vérifier leur pertinence. Dans cette démarche, il est indispensable de disposer du plus grand nombre d'observations possible, que l'on traitera comme des “faits” à partir desquels formuler des hypothèses.

On voit bien les possibilités de recouvrement et d'enrichissement parallèles des deux approches. Prenons un exemple, exagérément simplifié à dessein mais qui nous paraît pertinent; il servira d’image au processus que nous cherchons à créer. On sait que les biologistes étudient un mécanisme extrêmement répandu et extrêmement puissant à partir duquel des populations de bactéries communiquent pour adopter la configuration la plus adaptée à leurs stratégies de développement. Il s'agit d'échanges de molécules chimiques entre bactéries. Chacune d'entre elles, en fonction des circonstances, produit tel type de molécule, auquel les bactéries voisines sont réceptrices. Certaines de ces molécules peuvent signifier “restons isolées, il n'y a pas d'intérêt immédiat à coordonner nos actions”. D'autres au contraire peuvent vouloir dire: “regroupons nous en superorganisme (réseau bactérien) soit pour mieux résister à une disette ou une agression, soit pour mieux attaquer un organisme hôte, en devenant pathogènes par effet de concentration”. Lorsque la densité de cette molécule dépasse un certain seuil, du fait qu'un nombre croissant de bactéries l'a secrété, le message est compris par l'ensemble de la colonie, qui agit en conséquence. Les mécanismes moléculaires profonds de ce processus sont d'ailleurs encore en partie mal connus. On appelle cela le quorum sensing, ou processus permettant à chacune des bactéries de dénombrer les effectifs de la colonie à laquelle elle appartient, et de réagir en conséquence.

Or, la constitution de groupes plus ou moins offensifs par alliance entre des individus jusque là restés isolés constitue un phénomène courant de la vie économique ou de la vie politique. Lorsque la densité des adversaires d'un certain pouvoir dominant augmente, les intéressés prennent conscience de leur force et peuvent décider de mesures défensives ou offensives mettant ce pouvoir en difficulté. Mais pour cela, ils doivent se dénombrer. Ils le font, volontairement et souvent involontairement, en signalant leur existence par les divers moyens de la communication moderne: discours, articles, blogs, etc. Un observateur extérieur constatant que le nombre ou le contenu des messages émanant de cette population se modifie peut faire des hypothèses relatives à la montée en puissance de la tendance représentée.

C'est précisément, entre autre cas analogues, ce qu'a fait Philippe Grasset à propos du regroupement dans un nouveau parti, le Tea Party, des électeurs démocrates et républicains déçus par la politique du président Obama. Du fait d'une lecture attentive des écrits émanant de ces nouveaux militants ou décrivant le phénomène, il a pu annoncer cette tendance significative bien avant d'autres commentateurs européens. D'autres observations ont été faites de la même façon pour évaluer à partir de ce qu'en révèle la densité des messages échangés sur Internet l'état de l'opposition interne en Chine ou en Iran.

Certes, cette démarche n'est pas nouvelle. Mais actuellement les biologistes qui étudient le quorum sensing chez les bactéries ou dans d'autres populations où il se manifeste sous des formes voisines, tentent de modéliser le phénomène. Ainsi, face à une population bactérienne en phase de regroupement, ils espèrent pouvoir prédire le moment où cette population deviendra dangereuse pour l'hôte et demandera de la part du médecin une intervention préventive: administration d'antibiotiques ou mieux diffusion de molécules ayant pour effet de brouiller le message chimique émis par les bactéries. Si de tels modèles ne pourraient pas sans précautions être étendus à l'étude de la formation de groupes nouveaux au sein des sociétés animales ou humaines, ils pourraient cependant donner des bases théoriques pour l'élaboration de meilleurs moyens d'observation et de prévision.

On s'appuiera pour ce faire sur l'hypothèse générale que des principes et lois très simples interviennent dans la régulation du fonctionnement des sociétés complexes, lois physico-chimiques qui, du fait de leur simplicité, ne sont pas prises en considération par les scientifiques. Or il est bon, dans le champ politique comme dans d'autres, de connaître ces lois, ceci d'ailleurs, en politique, pour le meilleur comme pour le pire au regard des objectifs que se donnent la démocratie: permettre par exemple au pouvoir dominant de prévenir le regroupement de ses opposants ou au contraire permettre à ces opposants de mieux prendre conscience de leur force et gagner ainsi en influence.

On ne poussera pas plus avant les rapprochements pouvant être envisagés entre les méthodes d'observation et d'analyse que Philippe Grasset et moi pratiquons chacun dans notre domaine. Le petit essai, Le paradoxe du Sapiens, que je viens de consacrer aux aspects théoriques de ce que tous deux nous considérons comme la déstructuration en profondeur des sociétés contemporaines m'a permis d'évoquer le rôle que joue à cet égard la concurrence sans limites opposant des groupes d'intérêts que j'ai nommé des organismes anthropotechniques. Il sera intéressant de voir si Philippe Grasset trouve intérêt, dans son propre travail, à l'utilisation de ces analyses. Réciproquement, les faits et tendances signalés jour après jour sur le site dedefensa.or, devraient me permettre de préciser mes propres hypothèses.

Si elles paraissent le justifier, certaines de ces réflexions communes seront publiées en parallèle, sous forme de Dialogues, sur les deux sites dedefensa.org et Automates-Intelligents. Ayant depuis longtemps l'habitude d'échanger des informations et des opinions concernant l'évolution économique, sociale et politique du monde actuel, nous avons pensé qu'il serait intéressant de réfléchir à d'éventuelles échanges plus construits.

Jean-Paul Baquiast