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964Il y a deux lectures de ce livre : la première (ne disons pas “premier degré”, qui serait inutilement sélectif et rappelle un peu trop le mode d'interrogatoire), comme un agréable roman, avec une intéressante étude psychologique de femmes et d'Américains à Paris ; le deuxième, comme un témoignage romancé sur la vie des Américains à Paris, leur perception de la culture française, leur fascination souvent paradoxale pour la France. Privilégions la deuxième lecture sans mépriser la première, mais avec des raisons. Diane Johnson est bien consciente du problème des relations culturelles entre France et Amérique, qui s'inscrivent dans un passé relationnel d'une richesse et d'une complexité époustouflantes. Écrivain, scénariste célèbre (elle a écrit le scénario de Shining, de Stanley Kubrick), et en plus vivant en France (Paris) et en Californie, comme son héroïne Izabel Walker, et même ses deux héroïnes, Izabel et Roxeanne Walker.
Bien, nous envisageons ici la deuxième lecture du livre, tout en ne dédaignant en rien la première (le roman est intéressant, prenant, avec une intrigue qui saisit et emporte l'attention et l'adhésion du lecteur). (Au contraire, dirions-nous : Une Américaine à Paris est, après tout, un bon exemple de cette situation où la littérature, et le roman plus particulièrement, vient au secours de la réflexion pour éclairer des situations dont l'analyse rationnelle est incapable de rendre la richesse et la complexité.) Les Américains à Paris, un sujet énorme, certainement depuis qu'Edith Wharton est allée s'installer rue de Varennes, en 1901. La colonie US à Paris a toujours été très forte, très marquée par son séjour français, très consciente de représenter un phénomène culturel important, toujours très attentive à mesurer les spécificités françaises, à en user pour considérer son propre pays. Cette situation permet de mieux s'interroger sur ce phénomène politique et culturel qui fait qu'un Américain, lorsqu'il décide de quitter son pays temporairement ou plus longtemps pour des raisons culturelles ou politiques, et dans l'écrasante majorité sans avoir vraiment délibéré à se propos, se retrouve à Paris ou songe d'abord àParis. Et ce phénomène-là, les écrivains américains ont été les plus aptes à l'identifier et/ou à l'analyser. Eh bien, le roman de Johnson est une contribution de plus à ce travail. Surtout, il permet de mieux apprécier les comportements américains, ce mélange paradoxal d'appréciations critiques, agacées, voire exaspérées sur les comportements français, au fur et à mesure que dure le séjour à Paris, et, en même temps, la naissance du sentiment paradoxal d'un certain bonheur. « Roxy était égarée, mais moi j'étais heureuse, explique Izabel, qui nous raconte son histoire. Non pas que je me sois dit : “oui, c'est ça le bonheur”, mais, en repensant à ces derniers mois, je m'apercevais que j'avais changé d'une manière qui allait dans le sens du bonheur, l'esprit tout occupé d'événements et de sujets extérieurs à moi ... » Puis, cette tentative d'explication : « Je ne me souvenais pas d'avoir été aussi intéressée par ce qui m'occupait. J'avais compris tout d'un coup que, si la Californie n'avait pas d'intérêt, ce n'était pas à cause du manque de livres, d'amoureux, de travail, de concerts et de “Frederick's of Hollywood”, mais parce qu'il n'y avait personne pour me servir de guide parmi ces avantages culturels. »
Peu importe l'explication finalement. Le livre restitue bien le phénomène dont on veut parler ici : lucide à propos de la France, conquise par la France, pourtant ne cessant pas d'être Américaine et l'étant même un peu plus, c'est-à-dire de manière un peu plus consciente, voilà le parcours de notre héroïne. Un parcours bien américain. Un livre qui contribue à la compréhension d'un phénomène vieux de plus de deux siècles (ce rapport si paradoxale France-Amérique). Ce n'est pas si mal. C'est là le rôle le plus fécond de la littérature.
Nil éditions, Paris 2000, 367 pages.
Édition originale : Le Divorce (titre en français dans l'édition originale en anglais), Abrahams Books, Penguin, New York 1997