Il y a 3 commentaires associés à cet article. Vous pouvez les consulter et réagir à votre tour.
152717 novembre 2011 – « Ne crrrrraignez pas la perrrrrfection. Vous n'y parrrrrviendrez jamais…», clamait Salvador Dali, peintre célèbre parce qu’Espagnol et nommé Dali. Peut-être, lui, avait-il réussi une sorte de synthèse proche de la perfection : une peinture extraordinairement structurée, tant pour la forme et le trait que pour la couleur, pour représenter des objets absolument déstructurés. (La montre molle, certes… Le tableau fameux est nommé par le peintre Les persistances de la mémoire, mais effectivement surnommé “les montres molles”.) Salvador Dali est notre symbole, dans le rôle de l’inspirateur sarcastique, sinon sardonique, de l’évolution de l’Union Européenne. C’est lui, avec sa perfection d’une perfection réalisée dans l’antagonisme qui contient dans sa structuration la dissolution annonciatrice de la Chute, qui doit nous guider ; nous nous en expliquerons plus loin…
Car il est bien vrai que, ces deux dernières semaines, la situation en Europe a évolué. Un nouveau directeur de la Banque Centrale européenne et deux nouveaux premiers ministres ont été nommés, en Grèce et en Italie, dans deux pays malades du Système pourri des banques, notamment des banques US, notamment de la banque Goldman Sachs… Aussitôt dit, aussitôt compris, et nombre de nos lecteurs ne manquèrent pas de souligner ce que Le Monde lui-même avait remarqué, savoir que tous ces gens ont donc une sorte de marque de fabrique se nommant Goldman Sachs (Le Monde, le 14 novembre 2011).
«Qu'ont en commun Mario Draghi, Mario Monti et Lucas Papadémos ? Le nouveau président de la Banque centrale européenne, le président désigné du conseil italien et le nouveau premier ministre grec appartiennent à des degrés divers au “gouvernement Sachs” européen. La banque d'affaires américaine a en effet tissé en Europe un réseau d'influence unique sédimenté depuis des lustres grâce à un maillage serré, souterrain comme public.
»A tout concours, il faut une hiérarchie. Le premier prix revient bien sûr à Mario Draghi, vice-président de Goldman Sachs pour l'Europe entre 2002 et 2005. Nommé associé, il est chargé des “entreprises et pays souverains”. A ce titre, l'une des missions est de vendre le produit financier “SWAP” permettant de dissimuler une partie de la dette souveraine, qui a permis de maquiller les comptes grecs. Vient ensuite Mario Monti, conseiller international depuis 2005. Arrive en troisième position Lucas Papadémos, qui vient d'être nommé premier ministre de la Grèce, qui fut gouverneur de la Banque centrale hellénique entre 1994 et 2002, qui a participé à ce titre à l'opération de trucage des comptes perpétré par GS. Le gestionnaire de la dette grecque est d'ailleurs un certain Petros Christodoulos, un ex-trader de la firme…»
Mais nous ne sommes pas là pour parler de Goldman Sachs, mais pour parler de l’Europe (de l’UE). C’est bien l’Europe qui a forcé les Premiers ministres grec et italien à démissionner, ou bien est-ce le couple Merkozy, ce qui reviendrait sans doute au même ? (Nous, nous aurions aussi bien dit Sarkel que Merkozy.) On peut aussi imaginer que l’un (Merkozy-Serkel) a travaillé pour l’autre (l’UE), et vice-versa. Quoi qu’il en soit, John Laughland n’a aucun doute, lorsqu’il est interviewé par Russia Today (il ne sait pas encore que Mario Monti remplace Berlusconi en tant que technocrate européen, ancien Commissaire, ancien de Goldman Sachs, ou bien il omet cet exemple) : pour lui, la dictature de l’UE est en train de s’établir, et nous assistons à un coup d’Etat. (Voir RT, le 11 novembre 2011).
«“These are men who have made their entire careers through garnering important appointments in places like the European Commission or European Central Bank. They have no democratic mandate at all,” he argues. “What is so frightening about what is happening now, as the European Union and the euro enter their death agonies, is the way in which the European Union is showing its true nature as a dictatorship.”
»After all, it is the euro that has effectively commanded these two prime ministers to leave office, not the people, says Laughland. Papandreou had to leave office the moment he suggested the referendum on the debt package. Berlusconi had to leave office the moment he said that Italians had become poorer under the euro,” Laughland recalls. He believes that it is a very ugly development in Europe, where people are being put in power because they serve the interests and demands of the European Union, not because they have got any electoral support in their home countries.
»As for the way out of the crisis, Laughland believes that Greece’s outgoing prime minister, George Papandreou came up with the best solution when he suggested that the monumental austerity package and the associated debt bailout program be put to a referendum. “It was perhaps the most intelligent thing he had done in his premiership. After all, if you are asking a country to make sacrifices, then surely you need to legitimize it through public debate and winning a referendum,” Laughland told RT.
»Laugland argues that the governments are responsible for the crisis, but there is a co-responsible element, and that is the euro itself. He says that the Greeks and Italians never voted for the common European currency. “I am not saying that they are against it as a nation, but it was never subjected to a referendum in those countries. In situations of crisis like this, it sure makes sense to have the maximum amount of democratic legitimacy, instead of which the European Union has shown it is afraid, particularly of democratic votes. It was terrified when the Greeks announced the referendum,” he declared.»
La prise du pouvoir dictatorial selon Laughland a rassuré quelques esprits retranchés dans leurs bunkers-bureaux proches du Rond-Point Schuman, in Brussels, mais, assez curieusement, pas ceux que l’on est évidemment conviés à soupçonner comme étant les instigateurs de ces changements voulus comme fondamentaux, sinon décisifs. Nous parlons des “marchés”, ces puissances interminablement insaisissables. Cela nous est dit, par exemple, par The Independent du 15 novembre 2011.
«A toxic cocktail of soaring borrowing costs and weak growth data in the troubled eurozone triggered sharp falls on stock markets today. The FTSE 100 Index was 1.4% lower as quick progress towards forming a new government in Italy failed to keep a lid on benchmark 10-year bond yields, which returned to unsustainable levels of more than 7%. Germany's Dax and Cac-40 in France were also both down more than 2% as fellow euro member Spain saw its 10-year bond yield catch up with Italy's, hitting 6.32%, in the run-up to this Sunday's general election.
»Meanwhile, the underlying problems facing the 17-nation bloc were highlighted by sluggish growth figures, which revealed that gross domestic product grew by 0.2% in the eurozone between July and September. Joshua Raymond, chief market strategist at City Index, said: “With so much still at stake in the sovereign debt crisis, which is seemingly at the gates of Madrid now as much as entrenched inside the walls of Rome, investors are happy to sit on their cash.”
»Italian premier-designate Mario Monti is holding talks with political leaders, unions and business groups in a bid to assemble a cabinet that can steer Italy through its debt crisis. But his moves were not enough to reassure investors that Italy is not heading the same way as other indebted eurozone countries like Greece and Ireland in requiring a multi-billion euro bailout…»
D’autre part, il nous semble avisé de citer Jacques Sapir, dans un article sur le site Marianne2 du 7 novembre 2011. Sapir s’interroge ironiquement sur la raison qui a poussé Merkozy-Serkel à forcer le pauvre Papandréou à ravaler son idée de référendum, alors que, pour lui, Papandréou, ce référendum constituait un parfait “acte européen”. Au contraire, explique Sapir, il existait une formule permettant à la Grèce de se sortir seule de son actuel guêpier, en réquisitionnant sa Banque centrale dans ce but, sans crainte de se faire exclure de la zone euro, mesure juridiquement impossible («Dès lors, Georges Papandréou aurait pu parfaitement prendre la décision de réquisitionner temporairement la Banque centrale de Grèce (pour une période d’un an) et lui faire émettre pour 360 milliards d’euros (le montant de la dette publique grecque) d’avances au Trésor public à un taux de 0,5%...»). Sapir expose ses arguments, écartant l’objection inflationniste ainsi que celle de l’isolement de la Grèce, voire de l’“embargo” de l’UE contre la Grèce… Nous n’épiloguerons pas sur cette hypothèse, constatant simplement que l’idée d’une “insurrection” contre les contraintes de l’UE/Merkozy-Serkel existe bel et bien. C’est ce que Sapir laisse entendre, dans sa conclusion, à propos d’“autres pays”, – et c’est ce point, précisément, que nous voulons mettre en évidence (dans ce cas, en le soulignant de gras).
«Georges Papandréou n’a rien fait de tout cela. Il s’est même bien gardé d’en agiter la menace. Il a ainsi montré qu’il était bien le digne et loyal représentant d’un parti européiste, le PASOK, membre de l’Internationale socialiste. Ce faisant, il a laissé passer une belle occasion pour son pays, mais il a aussi choisi les institutions européennes existantes contre les économies et contre les peuples de l’Europe. Le couple infernal Merkel-Sarkozy aurait pu, et aurait dû, l’en remercier ! On peut cependant se demander si dans d’autres pays, une telle idée ne fait pas son petit bonhomme de chemin…»
Voilà, pour notre compte, qui nous donne un paysage contrasté… Oui, Laughland a raison, l’UE ou bien le couple Merkozy-Serkel, a agi d’une façon outrageante, arbitraire et contraignante contre un (deux, avec l’Italie) des membres de la fratrie européiste et chaleureuse. Ce que confirme Sapir, en citant, lui, et sans ambigüité le couple infernal bien connu, que nous pourrions, nous, tout autant assimiler, à un bras séculier mais nécessairement imposteur de l’UE. (« La crise de la Grèce […] a révélé toute l’arrogance et la suffisance du couple Merkel-Sarkozy. Du lundi 31 octobre au vendredi 4 novembre, nous aurons vu se déployer l’hubris de la chancelière et du président à l’encontre de la Grèce.») Vous observerez la confusion voulue par nous, sinon entretenue, entre UE, Merkozy-Serkel, et le reste…
Or, pour décrire la situation clairement, il faut observer le sort de ce qui est en jeu, c’est-à-dire un principe structurant, celui de la souveraineté nationale pour ce cas, qui est une représentation conjoncturelle du grand principe de la légitimité. Qui, dans cette bouillie pour les chats, attaque le principe de la souveraineté nationale ? Qui le défend ? Les deux plus puissants pays de l’UE agissent-ils au nom de l’UE, comme des faux masques, pour exécuter arbitrairement et traîtreusement le principe de la souveraineté nationale, ou bien au contraire défendent-ils ce principe en affirmant leurs prépondérances nationales sur les autres ? D’autre part et par ailleurs, Sapir nous dit que Papandréou n’a rien fait pour défendre ce principe, contrairement à l’apparence que constituait sa proposition de référendum… Une institution internationale comme l’UE, sans principe et sans pouvoir, peut-elle prétendre avoir la puissance de réduire un principe comme celui de la souveraineté ? Deux nations, agissant par force, au nom de ce qu’on hésite grandement à considérer comme leurs intérêts nationaux si l’on considère l’ambiguïté et les contradictions de la situation, peuvent-elles prétendre défendre ce même principe ? C’est non, non et non, pour toutes ces questions.
Oui, il y a coup d’Etat d’une dictature, et non il n’y a rien de la puissance réelle d’une dictature, de celle qui, par sa totale illégitimité, – et s’il y aurait bien une dictature illégitime, ce serait l’européenne sur les nations d’Europe, – vous brise les principes comme fétus de bois sec. En passant, et pour renforcer le propos, d’ailleurs dans le sens où le reste de l’article du Monde nous emporte, la “prise du pouvoir” par Goldman Sachs se fait bien bruyamment et expose quelques-uns de ses archers aux flèches dorés et à l’arc vertueux à bien des déconvenues, bien des attaques, des chutes ou menaces de chute. Est-ce bien habile, pour cette pieuvre tentaculaire de Goldman Sachs de monter ainsi en première ligne et de se désigner elle-même à la vindicte générale et éventuellement populaire ? Goldman Sachs dans cette position, c’est comme un service de renseignement ayant “retourné” volontairement ou non un agent de renseignement ennemi, l’intoxiquant et le désinformant, qui voit soudain cet agent arrêté par les “flics” à bottines cloutés des services de contre-espionnage de son propre pays ; ce qui est considéré comme une victoire policière est un échec épouvantable du renseignement. La démission des Papandréou et Berlusconi, qui prenaient tous les coups en appliquant la politique qui sied aux commanditaires de Goldman Sachs, leur remplacement par des commanditaires de Goldman Sachs, c’est une “victoire” de communication bien ambiguë parce que c’est d’abord une grande défaite politique, et qui expose Goldman Sachs, et son illégitimité fondamentale, à tous les soupçons.
On remarquera qu’on pourrait faire la même parabole pour l’UE, qui procède de la même façon ; ils procèdent tous de la même façon, fascinés par les mêmes “croyances”, au-delà de leurs ambitions, de leurs hubris divers, etc. En fait de “croyance”, il ne faut pas oublier que le CEO de Goldman Sachs, Lloyd Blankfein, recevant un journaliste du Sunday Times en avril 2009 pour une longue interview, finit par lui dire, sans doute agacé par les questions de détails sur la valse des $trillions et le sort de tel ou $trillion, «Goldman Sachs is doing the God’s work». Notre conviction est qu’il parle vrai et qu’au travers de lui, parle le Système…
Ainsi mélangeons-nous tout cet immense désordre pour en faire des munitions pour notre argument principal… Ce miracle de la postmodernité qu’est la “dictature molle”, aussi molle que les montres de Salvador Dali.
S’il est incontestable que les derniers événements généraux ont vu, en Europe, au sein de l’UE, à la faveur des événements spécifiquement catastrophiques en cours, une sorte de “coup d’Etat” faisant bon marché des souverainetés nationales, instituant des directions totalement acquises au Système, avec indirectement une référence appuyée à l’un des fleurons du Système qu’est Goldman Sachs, pour donner de facto une sorte de dictature des incendiaires avec mission d’éteindre l’incendie, il est aussi incontestable que la spécificité de cette “dictature” mérite toute notre attention. Bref, Mario Monti n’est pas Benito Monti, ni l’UE une sorte de “système pour mille ans”… “Dictature molle”, disons-nous, donc dictature d’un style tout à fait nouveau, effectivement postmoderniste, sinon post-postmoderniste ; il y a et il y a eu, outre les dictatures classiques, des dictatures modérées, des dictatures réalistes, des dictatures tempérées ; mais des “dictatures molles”, au sens structurel du terme, exactement comme une montre de Dali, – ça, jamais.
Il serait donc justifié de dire “dictature molle”, comme ce tableau de Dali, c’est-à-dire cet étrange mélange, comme nous notions plus haut en ouverture du texte : “une peinture extraordinairement structurée, tant pour la forme et le trait que pour la couleur, pour représenter des objets absolument déstructurés… sa perfection d’une perfection réalisée dans l’antagonisme qui contient dans sa structuration la dissolution annonciatrice de la Chute”. Cette “dictature” présente en effet des aspects structurels représentatifs extrêmement fermes, extrêmement précis, notamment dans ses composants, comme le sont aussi bien les structures des institutions européennes, les arrière-plans des divers acteurs tels qu’on les découvre et les dénonce (comme Goldman Sachs, dans les cas qui nous occupent), les caractères de communication qu’ont montré les deux pays instigateurs du processus (l’Allemagne de Merkozy et la France de Sarkel), les personnes impliquées au premier chef dans les opérations en cours (notamment, les deux nouveaux Premiers ministres grec et italien, bien plus fermes dans leur droiture apparente et la coupe de leurs costumes qu’un Papandréou courbé sous l’usure du pouvoir, et bien sûr que le clown Berlusconi qui a montré à DSK qu’on peut l’être comme une farce). La carte de l’UE, elle-même, est une superbe structure, qui tient une place magnifique et imposante sur la mappemonde, qui pourrait concurrencer une toile, dans un style un peu plus pointilliste, de notre peintre catalan autant qu’Espagnol.
A l’inverse, les courants, les humeurs, les relations psychologiques, les sensibilités, les réactions dites “irrationnelles” qui parcourent l’intérieur du tissu dictatorial sont totalement décérébrés, agités de spasmes et de tremblements, insaisissables selon une ligne ou l’autre. L’endettement italien continue d’exploser ; les marchés s’effondrent après avoir rebondi de joie ; avec le meilleur des nouveaux-venus, on attend le pire ; le couple Merkozy-Serkel, qui règle la musique cacophonique, est parcouru de tensions furieuses, de jalousies réciproques, de mépris à double sens ; aucun de ces dirigeants, y compris et surtout les deux “maîtres du jeu”, n’a la moindre confiance dans les institutions européennes, et encore moins dans ses dirigeants ; Barroso, Von Rompuy, Ashton, sont méprisés, détestés, traités comme viles poussières pour des raisons complètement valables autant que pour des arguments de circonstance. La “dictature” s’affirme avec assurance et, en même temps, se tourne vers la Chine, pour une aide qui semblerait finalement comme un de ces accidents inévitables de ces temps de crise mais qui, à cause du mépris que l’on a professé pour ce régime chinois, des leçons d’humanisme qu’on lui a données et d’orthodoxie capitaliste qu’on lui a assénées, devient une démarche de complète humiliation mâtinée de soupçons haineux dans le chef des Européens…
Le sentiment général théorique est que l’Europe est une puissance considérable, promise à jouer un rôle formidable, tandis que, dans les faits, partout et même à l’intérieur d’elle-même, s’exprime le mépris le plus complet pour cette formidable “dictature” en train de se faire. Le dernier sommet Brésil-UE, en octobre, a été une belle illustration de cette situation pour les hauts fonctionnaires de cette “dictature”. La présidente brésilienne, comme c’est de coutume pour cette sorte d’occurrence, devait faire suivre le sommet de Bruxelles de visites de bonne volonté dans certains centres importants de l’UE. Après le sommet de Bruxelles, elle a choisi de se rendre en Bulgarie, ce minuscule membre de l’UE qui entretient certaines positions dissidentes de la politique européenne, puis en Turquie, pays qui a conduit avec le Brésil une initiative à l’égard de l’Iran que l’UE (avec la France au premier chef) a complètement ignorée, sinon condamnée avant même de la connaître et sans essayer de la comprendre, conformément à l’état d’esprit du bloc BAO. L’absence d’intérêt de la présidente brésilienne pour une visite à Londres, à Paris ou à Berlin a été ressentie à Bruxelles comme une véritable humiliation et comme une gifle diplomatique. Retour à l’envoyeur, qui mesure l’estime et le respect où l’on tient la “dictature”.
Si l’on se tourne vers les peuples, même avec précaution, quelle dégringolade… En s’affirmant de plus en plus européens pour “sauver l’Europe”, et les nations européennes par conséquent, les dirigeants des nations européennes ont hérité de l’extraordinaire impopularité des institutions et des dirigeants européens dans les populations de leurs nations. Ils ont donc sacrifié sur l’autel de leur “européanité” le peu qu’il leur restait de légitimité, – car à cet égard, l’eau glauque et stagnante ne se marrie pas avec le feu tranquille et vivace de la légitimité, même réduit à quelques cendres encore rougeoyantes …
Ainsi apparaît la mollesse dont on parle. Cette “dictature” semble faite de puissantes structures et de personnages également structurés et considérables, sinon respectables, lorsqu’ils sont appréciés hors du contexte, et elle semble concevoir des politiques ambitieuses et grandioses. Mais lorsque s’établissent le mouvement des relations, des rapports et des réseaux, le feu des psychologies, lorsque les acteurs s’animent et prétendent s’affirmer, tout cela se transforme en ces montres molles, sans circonstance, sans autorité parce que sans légitimité, et déstructurées au point de figurer un désordre complet par laisser aller et impuissance de l’esprit (un désordre mol, certes) ; ces montres que personne n’entend, qui ne font même pas “tic-tac, tic-tac”, comme à bout de souffle ; qui ne parviennent même pas au bout de leur propos, dont le bruit, qui se voudrait imitateur des discours enflammés qui soutiennent la “dictature”, s’achève dans des borborygmes ; ces montres molles qui nous donnent l’heure exacte, avec changement saisonnier, d’un temps qui n’existe pas.
Une dictature remplace ce qu’elle n’a pas (la légitimité) par des expédients qui peuvent être uniques et accidentels, – le charisme, la magnétisme, un projet fou, insensé, une mobilisation, une politique terrible, etc., – qui maintiennent une tension et une force qui leur donnent vie pendant un certain laps de temps. Les dictateurs ou faisant fonction sont proches de cette sorte, avec des caractères à mesure, qui prônent l’énergie et la fureur pour tenter d’affirmer une légitimité que ni la tradition, ni la coutume ni leur passé ne leur donnent. On comprend qu’il n’y a nul équivalent de cela dans ce cloaque qui ne cesse de parler des vertus démocratiques, et qu’il n’y aura ni une Evita Ashton, ni un Barroso-Salazar. L’illégitimité du dictateur s’entretient et grandit paradoxalement chez le “dictateur” européen qui ne dit pas son nom et n’ose afficher son action dans son illégitimité tout court : le “dictateur” européen ne cesse d’affirmer qu’il n’est pas dictateur comme pour mieux démontrer qu’en tant qu’homme politique sans projet dictatorial, il n’a aucune légitimité, puisqu’effectivement totalement illégitime ; il est effectivement parfaitement “démocratique” en un sens, et, ainsi, parvient à nous démontrer que la logorrhée démocratique n’est elle-même productrice d’aucune légitimité, qu’il n’y a donc pas besoin d’une dictature pour être dictateur. Ainsi, qu’il soit dictateur ou qu’il ne le soit pas, il n’est rien ; le roi, qui est fort nu, est totalement étranger, sinon allergique à la moindre légitimité. Ainsi en est-il de l’Europe, “dictature molle”, donc non-dictature, mais néanmoins chargée de la tare de toute dictature qu’est l’absence de légitimité. Le paradoxe de l’Europe est, par conséquent, que n’étant dictature en rien, elle l’est pourtant pour l’essentiel d’une dictature, – son allergie à toute légitimité, son rejet automatique, mécanique, inéluctable, de la moindre légitimité.
La conséquence, c’est que les structures fermes et affirmées donnent un cadre rigide dans lequel se développe la mollesse qui se traduit en paralysie et en impuissance et conduit à la dissolution de soi-même ; ces ”structures fermes et affirmées” sont donc destinées au bout du compte à tenir fermement et à affirmer le vide. La “dictature molle” ne fait donc qu’installer catégoriquement paralysie et impuissance, pour fournir un cadre d’une sorte de rigueur technocratique, pour accompagner la Chute d’une façon qui semblerait plus ordonnée. Elle pratique le borborygme “démocratique” en fait de charisme, l’inexistence structurée en fait d’affirmation. Pleine de prétentions théoriques et bavardes, elle se dissout en un magma incompréhensible dans l’action, avec comme emblème le perroquet pour figurer la diversité des pensées et des paroles, – mais sans les superbes couleurs du plumage de cet animal fort honorable quand il ne prétend pas se nommer “Europe”. Substance molle et dissoute par essence, elle est totalement privée d’essence.
…Mais, on le comprend, tout cela n’est qu’une anecdote parmi d’autres, allant certes dans le sens général, dans le formidable événement cosmique de l’effondrement de notre contre-civilisation.
Forum — Charger les commentaires