Dieu est-Il dans le coup ?

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Dieu est-Il dans le coup ?


24 septembre 2005 — Après Katrina et avant même de frapper, et d’ailleurs sans que le phénomène soit lié aux éventuels effets de ce nouvel ouragan, Rita a exercé des ravages psychologiques dans la population des Etats-Unis et aggravé la crise nationale de la super-puissance. Les mesures radicales d’évacuation, notamment au Texas, ordonnées par la direction washingtonienne représentent un cas typique de sur-réaction (over-reaction) suivant, pour tenter de le compenser, le cas précédent d’absence de réaction devant l'ouragan Katrina. Au contraire de l’effet d’efficacité politique qu’elles voudraient obtenir, elles ne servent qu’à mettre en évidence la crainte proche de la panique de la direction washingtonienne d’être prise à nouveau en défaut. (Sur le terrain, l’appréciation de l’effet de ces mesures et de la justification de ces mesures reste à faire.)

La crise est, ici, complètement en-dehors des réalités météorologiques et humanitaires, — et, cela, sans préjuger de l’effet de ces éventuelles réalités. Elle est au cœur du système. Elle va exercer l’effet d’une pression profonde et dévastatrice sur une psychologie américaniste déjà terriblement affaiblie. La coïncidence extraordinaire (du point de vue politique et psychologique, pas météorologique) de ce deuxième ouragan après Katrina est comme un nouveau coup de poing asséné à un boxeur déjà frappé et encore groggy du coup précédent. Nous sommes à un point où il n’est plus déraisonnable d’envisager la possibilité d’un scénario où la crise deviendrait effectivement psychologique et, par conséquent, complètement incontrôlable ; un scénario où un effondrement comme celui du “mardi noir” d’octobre 1929 pourrait être envisagé (sans que l’analogie boursière doive être nécessairement retenue : on est ici impuissant à deviner où les effets psychologiques de la crise pourraient se rassembler en une réaction brutale). La psychologie du pays serait même reflétée dans celle du président, si les bruits selon lesquels GW Bush s’est remis à l’alcool étaient confirmés.

Apprécions le caractère extraordinaire de cette situation.

• Désormais, la question de l’appréciation politique d’un phénomène naturel n’est même plus posée. Les ouragans du Golfe du Mexique sont considérés prioritairement en termes politiques, comme si la chose allait de soi. A cet égard, l’effet politique avec Rita amplifie les dégâts politiques déjà causés par Katrina, en instituant effectivement comme allant de soi cette interprétation politique.

• Dans cette appréciation politique, un nouveau “front” est ouvert : celui de l’assimilation des ouragans au global warming, où les USA ont une énorme responsabilité. Menaçante dès l’origine de Katrina, cette critique est potentiellement encore plus dévastatrice que les critiques contre l’inefficacité du système. A un avertissement du Britannique Sir John Lawton, président de la Royal Commission on Environmental Pollution (« Hurricanes were getting more intense, just as computer models predicted they would, because of the rising temperature of the sea, he said. “The increased intensity of these kinds of extreme storms is very likely to be due to global warming.” »), — répond un article de l’auteur américain Jeremy Rifkin dénonçant une culpabilité collective des États-Unis.

« Katrina and Rita, then, are not just bad luck, nature's occasional surprises thrust on unsuspecting humanity. Make no mistake about it. We Americans created these monster storms. We've known about the potentially devastating impact of global warming for nearly a generation. Yet we turned up the throttle, as if to say: “We just don't give a damn.” What did anyone expect? SUVs make up 52% of all the vehicles owned in America, each a death engine, spewing record amounts of CO2 into the earth's atmosphere.

» How do we explain to our children that Americans represent less than 5% of the population of the world but devour more than a quarter of the fossil-fuel energy produced each year? How do we say to the grieving relatives of the victims of the hurricane that we were too selfish to allow even a modest five-cent tax increase on a gallon of petrol in order to encourage energy conservation? And when our neighbours in Europe and around the world ask why the American public was so unwilling to make global warming a priority by signing up to the Kyoto treaty on climate change, what do we tell them? »


• L’importance de cette mise en cause est évidemment qu’elle conduit, par sa propre logique, à une mise en cause plus universelle: celle du système américaniste élargi au reste du monde de « l’économie de force ». C’était une des hypothèses déjà envisagées lors des premiers effets politiques de Katrina.

• Il faut enfin compter avec la psyché américaine, sa dimension à la fois religieuse et superstitieuse. Les images employées pour décrire les ouragans (intempéries « of biblical dimension », allusion au Déluge) nous indiquent la voie interprétative. L’assimilation des dévastations naturelles et de la référence à l’intervention humaine (US) comme une des causes de ces dévastations constitue un thème émotionnel fécond pour interpréter les événements actuels comme un “châtiment de Dieu”. Vite pressés, les intégristes évangélistes avaient fait le travail pour New Orleans, qualifiée de “Sin City” recevant la punition divine, mais contrastant en cela avec la vertu américaniste du reste; cette fois, c’est, à l’inverse, la vertu américaniste qui pourrait être mise en cause et dénoncée comme le travesti d’une entreprise de subversion terrestre et métaphysique.

Rita après Katrina met à nu la fondamentale fragilité psychologique des Etats-Unis. Il y a un enchaînement en cours, et en constante accélération, de cette mise à nu depuis le 11 septembre 2001. Le phénomène fait irrésistiblement penser à un destin déjà tracé ; il est impératif de ne pas repousser de telles pensées, de même que les interprétations religieuses ou pseudo-religieuses que nous avons mentionnées plus haut. Nous devons nous habituer à penser rationnellement des événements de champs très divers avec leurs interprétations fondamentalement irrationnelles ; nous devons nous habituer, par l’intervention de la raison elle-même, à accepter cette dimension irrationnelle (c’est-à-dire, en refusant de la “rationaliser”) sous peine de trahir la réalité et de perdre toute capacité de comprendre les phénomènes historiques qui bouleversent notre situation générale.