Diplomatie “orwellienne”

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Diplomatie “orwellienne”


8 janvier 2003 — Des échos d'une réunion, les 6 et 7 janvier, du gouvernement britannique (Blair et Straw) avec quelques 150 ambassadeurs britanniques réunis au Foreign Office, apportent des lumières sur la diplomatie britannique dans la crise actuelle. Il s'agit d'un constat particulièrement intéressant pour mesurer cmment évolue une des principales diplomaties occidentales, dans l'environnement d'une crise extrêmement pressante et inhabituelle. Le Guardian en fait à la fois un rapport et une présentation, notamment sur les buts poursuivis par la politique extérieure du Royaume-Uni.

Pour la première fois de façon formelle, la question du pétrole (la sécurité de l'accès aux sources d'énergie) est avancée comme un des points centraux de cette politique extérieure. (Jusqu'ici, le point du contrôle du pétrole irakien comme cause de la guerre a toujours été dénoncé avec plus ou moins de force, dans tous les cas de façon officielle : « The US and British governments officially deny that oil is a factor in the looming war with Iraq, but some ministers and officials in Whitehall say privately that oil is more important in the calculation than weapons of mass destruction. These ministers and officials have pointed to the instability of current oil sources — the Middle East, Caspian region and Algeria — and the need for secure alternatives. Iraq has the second biggest known oil reserves in the world. »)

L'intervention semi-publique de Straw a le mérite de bousculer ce tabou. Désormais, de façon semi-officielle dans tous les cas, la politique extérieure du Royaume-Uni, et notamment son alignement sur la politique US contre l'Irak, est présentée comme largement motivée par l'accès aux sources de pétrole en Irak. D'autres orientations sont présentées, d'autres axes de cette politique extérieure. Le Guardian en donne la liste rapide. Là aussi, il est intéressant de les découvrir.


« Mr Straw told ambassadors that, following a review he ordered last year, the Foreign Office drew up a list of seven medium to long-term strategic priorities, including “to bolster the security of British and global energy supplies”. A Foreign Office source said: “I can't say that energy is irrelevant (to the Iraq conflict) but the issue is one we would have to deal with even if Saddam was a cuddly individual.”

» The Foreign Office insists that the main motivation in the confrontation is fear that Iraq has, or intends to develop, biological, chemical and nuclear weapons. Mr Straw put the proliferation of weapons of mass destruction and terrorism at the top of his list of priorities. The others are:

» To minimise threats to the UK such as uncontrolled migration, transnational crime and Islamic extremism;

» To maintain a stable international system based on the UN, the rule of law and multilateral cooperation;

» To promote UK economic interests in an open and expanding global economy;

» To promote democracy, good governance and development, citing as an example involvement of the G7 developed countries in helping Africa;

» To build a strong EU in a secure neighbourhood. »


Nous avons ainsi un coup d'oeil intéressant sur ce que nous aurions tendance à baptiser de “diplomatie orwellienne”, qui est la diplomatie du Foreign Office. La cause de ce jugement tient évidemment aux contradictions extraordinaires contenues dans ces orientations, quand on les confronte aux réalités.

Il faut dire l'essentiel d'autre part, pour compléter ce tableau ; après Straw, Tony Blair venait voir les ambassadeurs. Il leur apportait plusieurs message important, dont celui-ci, qui a (jusqu'ici ?) conditionné tous les autres : « The prime minister is [...] to claim that “it is massively in our national interest to remain the closest ally of the US,” but we must continue to persuade the Americans to “broaden their agenda” on issues such as the Middle East, third world poverty and global warning. » En ces quelques mots, on a, grosso modo, l'essentiel du caractère de la politique extérieure britannique depuis l'automne 2001, et l'explication de son caractère “orwellien” : une priorité absolue (l'alliance US) qui contredit des objectifs britanniques essentiels (d'où la nécessité de tenter d'influencer les Américains sur diverses politiques). On est alors conduit à se demander (on devrait l'avoir fait depuis un demi-siècle) en quoi cette politique d'alignement complet (et c'est l'alignement complet qui est principalement mis en cause, et encore plus l'adjectif “complet”) est, du point de vue britannique, « massively in our national interest ».

Le Foreign Office est comme tous les establishment de politique extérieure. Il lui faut rationaliser sa politique. Il affirme donc des buts naturels, évidents, qui sont complètement en contradiction avec la politique suivie : comment peut-on affirmer qu'on poursuit le but du renforcement du système international (ONU, législation internationale) si on suit un “allié” dont le but affiché est de détruire ce système ? Comment peut-on affirmer qu'on cherche à renforcer l'Union européenne alors que ce même choix conduit à réduire à rien toute possibilité d'affirmation de l'UE et à isoler les Britanniques en Europe comme il l'était à peu près en 1997-98, avant l'initiative de Saint-Malo ? (La même chose peut être dit pour le reste.)

La question du pétrole devenant une crise de contrôle des approvisionnements est la plus frappante. Elle ne date pas d'aujourd'hui ni de Saddam ; elle date, au mieux, de 1973-74 (première crise du pétrole). Depuis, les Européens le plus souvent, et les Britanniques souvent avec eux, ont avancé que ce problème devait être résolu par une approche évidente d'apaisement des relations internationales : des bonnes relations avec les producteurs, un marché normal, vente et achat, etc. Les Européens savent, et les Britanniques les premiers, que l'imposition arbitraire, éventuellement par la force, de conditions politiques pour un contrôle extérieur trop affirmé ne peut que susciter des désordres, l'instabilité, etc. C'est pourtant ce que font les Britanniques font en suivant la politique américaine.

Encore doit-on avancer que même cette contradiction n'explique pas tout, car elle n'explique pas vraiment la politique suivie. Le Foreign Office a également rationalisé de façon exagérée, même si cette démarche n'a même pas réussi à éliminer la contradiction qui la suscitait. La question du pétrole n'est qu'une partie de l'explication de la politique US, et pas celle avancée par les Britanniques : c'est pour le profit que les pétroliers US sont intéressés par l'intervention, pas par le but géostratégique de la soi-disant sécurité des sources d'approvisionnement. Encore cet argument-pétrole n'est qu'une petite partie de l'explication de la politique irakienne des USA, qui est en bonne partie expliquée par des facteurs irrationnels (la personnalité et les sentiments de GW Bush, l'influence des lobbies de ce qui est nommé le War Party, etc). L'exercice de rationalisation de l'irrationalité complète est bien délicat et aboutit à des monstres.

C'est en effet un véritable événement “monstrueux” que la politique de sécurité de l'approvisionnement en énergie du Royaume-Uni se soit transformée en une politique interventionniste, néo-impérialiste, voire néo-colonialiste. De la part d'une diplomatie réputée pour sa finesse, cela fait beaucoup. Reste à nous expliquer comment se trouve servi, là-dedans, l'intérêt national britannique, et massively qui plus est.