D’Israël en Égypte, le sillage tourbillonnant de la croisière Panetta

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D’Israël en Égypte, le sillage tourbillonnant de la croisière Panetta

Le secrétaire à la défense Leon Panetta est un homme de poids, qui semble toujours éclater dans ses cols de chemise, le teint bronzé et les mimiques de l’Italo-Américain bien intégré. Jusqu’alors, il faisait débonnaire, désormais il ferait plutôt, avec son discours menaçant contre Assad, capo de la Cose Nostra washingtonienne. Il était ces jours derniers en déplacement dans les provinces amicales, principalement avec les cibles principales des escales d’Israël et d’Égypte, poursuivant une politique d’occupation permanente du terrain et du verbe haut, déjà largement déployée par Hillary Clinton.

En Israël, Panetta venait consulter Netanyahou pour obtenir son soutien pour les nouvelles sanctions contre l’Iran en échange d’une vague reconnaissance que les USA ne pourraient pas vraiment empêcher les Israéliens de lancer une attaque contre l’Iran. Cette intervention était destinée à réduire en bonne partie l’effet produit par la visite de Romney, le candidat républicain, qui a soutenu avec enthousiasme toutes les propositions israéliennes (soutien inconditionnel à une attaque israélienne, – peut-être même serait-il prêt à soutenir une attaque israélienne des USA si cela pouvait lui apporter quelques $millions et quelques voix de plus). En Égypte, Panetta voulait vérifier la bonne tenue pro-américaniste du nouveau pouvoir et obtenir un geste du nouveau président vers les Israéliens. Le résultat est singulier.

• En Israël, la visite de Panetta est indirectement la cause de l’exposition publique du très grave différent entre les chefs des forces et services de sécurité et la direction politique à propos de l’attaque contre l’Iran. (Ce différent existe depuis juin 2011 et il ne cesse de s'aggraver jusqu'à devenir aujourd'hui explosif.) Netanyahou ayant réaffirmé à l’occasion de la visite de Panetta son intention d’attaquer l’Iran quand il le jugerait bon, sans doute dans un avenir assez rapproché, le quotidien Yediot Aharonot annonçait en manchette, le 31 juillet, que les chefs d’état-major général (Gantz) et de la force aérienne, les chefs du renseignement militaire, du Mossad et du Shin Bet, s’opposaient à une attaque contre l’Iran sans un soutien logistique effectif des USA. (Le 1er août 2012, le Jérusalem Post publiait une rectification de Gantz affirmant que, dans tous les cas, bien entendu, il obéirait aux ordres qui lui seraient donnés.) Cela a conduit à une série de mises au point de Netanyahou, comme le rapporte le Jérusalem Post le 1er août 2012. Netanyahou y réaffirme la prépondérance du pouvoir civil sur les militaires et autres organes de sécurité…

«The decision whether to attack Iran will be taken by the country’s elected political leadership, and not by the defense and security establishment, Prime Minister Binyamin Netanyahu said in a number of television interviews Tuesday. […] Stressing that he has not yet made a decision regarding an attack on Iran, Netanyahu told Channel 2 that in democracies the political echelon decides, and the professional echelon carries out those decisions. “That is the way it has always been, and will always be,” he said…»

• Au Caire, Panetta a rencontré les diverses directions, essentiellement le président Morsi et les dirigeants militaires du SCAF. Visite de routine, là aussi, d’un dirigeant US, à l’image du voyage d’Hillary Clinton il y a quelques semaines (les tomates lancées à la volée en moins, Panetta n’ayant pas pris le risque d’un déplacement public). Comme Hillary, Panetta cherchait à susciter une apparence de concorde entre les dirigeants égyptiens, et une concorde qui montrât une adhésion à la ligne américaniste qui est de rassembler tous ces pouvoirs opposés selon une ligne proche de la politique de l’ancien président Moubarak. Ce genre d’ambition est en général rencontrée par des apparences d’assentiment des dirigeants convoqués pour faire bonne figure, le temps de ces rencontres, avant que les vraies positions d’antagonisme et de distance grandissante de la ligne Moubarak/USA retrouvent leur cours.

Cette fois, Panetta demandait notamment un effort particulier de Morsi vis-à-vis des Israéliens. C’est dans tous les cas sous cet angle qu’il semblerait qu’on doive apprécier l’affaire de “la lettre” de Morsi au président israélien Peres. Le New York Times rapporte l’épisode le 1er août 2012, d’où il ressort qu’une “lettre amicale” de Morsi envoyé à Peres, présentée par les Israéliens comme un signe de rapprochement d’Israël du président égyptien, a ensuite été dénoncée (par l'équipe Morsi) comme un “faux” dans une atmosphère générale de confusion qui a conduit finalement, au contraire de ce qui était espéré du côté US, à une suspicion renouvelée dans les relations entre l’Égypte et Israël.

«What was thought to be a friendly letter from Mohamed Morsi, the new president of Egypt, to his counterpart in Israel was hailed here on Tuesday as an unexpected sign that Egypt under the Muslim Brotherhood intends to maintain cordial ties with Israel. That sign was fleeting, however.

»In a day of diplomatic confusion that involved not only Egypt and Israel but also the visiting American defense secretary, Leon E. Panetta, Egyptian and Israeli officials contradicted each other’s accounts of how or even whether the two presidents had communicated, leaving the state of relations roughly where they began — in uncomfortable uncertainty.

»The office of President Shimon Peres of Israel first raised expectations on Tuesday when it released a letter that it said it had received by fax from Mr. Morsi via the Egyptian Embassy in Tel Aviv. The letter thanked Mr. Peres for his earlier letter of congratulations at the start of the holy Muslim month of Ramadan and expressed hopes for more cooperation with Israel on peace and security issues. Later in the day, however, an official spokesman for Mr. Morsi denied in a statement to an Egyptian newspaper that Mr. Morsi had sent any conciliatory messages, and called reports of such a letter “slander.”»

Dans un premier temps, la lettre de Morsi, qui était une réponse à des souhaits aimables de Peres à l’Égypte pour le Ramadan, avait été accueillie avec surprise et satisfaction par certains en Israël, comme un geste important de la part de Morsi. Néanmoins, d’autres interprétations étaient plus circonspectes et, surtout, prenaient en compte la pression de Panetta, – le fait de la coïncidence entre l’envoi de cette lettre et la présence de Panetta n’étant justement pas une coïncidence et suscitant, à mesure, une appréciation soupçonneuse du geste de Morsi. («Zvi Mazel, a former Israeli ambassador to Egypt who now researches Arab affairs at the Jerusalem Center for Public Affairs, a conservative-leaning research institute, said that in replying to Mr. Peres, Mr. Morsi was “doing the polite thing,” probably under pressure from the Americans and the Egyptian military to make some positive gesture toward Israel…») Là-dessus, l’épisode suivant, sur l’affirmation (d’ailleurs étrange quant aux modalités) que la lettre était un faux, affirmation venue du côté de Morsi, a constitué un élément complètement contre-productif, qui a abouti à ce que l’opération suscitée par la partie US a encore aggravé les relations entre l’Égypte et Israël.

Dans les deux cas, d’une façon différente et selon des enjeux différents, on observe un processus similaire qui est en général le résultat obtenu par la politique de pressions de communication suivie par l’administration Obama. Dans le cas des deux pays (Israël et Égypte), comme dans beaucoup d’autres, les USA, qui sont dans un état de faiblesse et de paralysie du pouvoir, disposent de peu de capacités concrètes d’interférer sur leurs politiques. La raison en est qu’ils ne peuvent mettre à exécution leur principale menace portant sur l’aide massive qu’ils leur apportent, – dans la mesure où une telle décision impliquerait une rupture où les USA auraient plus à perdre que leurs deux interlocuteurs. Les USA ont alors adopté cette politique de communication qui est une simple création, et un entretien, d’une narrative décrivant artificiellement la situation des relations entre ces partenaires. Cette politique de communication consiste à envoyer de façon répétitive diverses autorités et personnalités de l’administration Obama pour obtenir d’une façon permanente une réaffirmation formelle de la proximité des pays impliqués avec les USA, ce qui n’empêche évidemment pas l’évolution des vraies positions politiques, mais qui maintient une fiction (narrative) de proximité et d’alignement. L’effet réel est une détérioration de la cohésion interne des directions de ces deux pays, notamment à l’égard des politiques impliquant les liens avec les USA, à cause de la concurrence entre les divers pouvoirs et la vérité de leurs situations qui contredit la narrative de communication.

Le cas est particulièrement remarquable avec l’Égypte, notamment avec l’étrange épisode de la “lettre” : d’abord perçu comme “vraie”, y compris du côté égyptien (Morsi), tant que Panetta était en Égypte, puis brusquement dénoncée comme un “faux” dès que Panetta eut quitté l’Égypte. On peut difficilement voir une coïncidence dans ces enchaînements. De la part de Morsi, cela signifie une démarche délibérée pour exposer clairement que la lettre n’a été acceptée, entérinée comme “vraie” que pour satisfaire à la seule apparence de la narrative de Panetta, et aussitôt considérée comme un “faux”, comme un torchon de papier, dès que Panetta eût quitté l’Égypte. La démarche de Morsi est à la limite d’être insultante pour Panetta (et pour Israël, en passant) si, effectivement, les USA ont considéré, comme ils l’ont fait savoir, cette “lettre” comme une démarche répondant à leurs pressions pour de meilleures relations de Morsi avec Israël. La réponse implicite de Morsi est claire, et peu encourageante pour Washington…

Mais Washington ne s’y est sans doute pas intéressé ! La réduction de la diplomatie US à une politique d’instantanéité et rien que cela est un phénomène effrayant par son aspect réducteur et déstructurant de cette même diplomatie. Les USA se contentent réellement, aujourd’hui, des apparences d’une narrative à laquelle ils demandent simplement que tout le monde y souscrive pour la pure forme lorsqu’il y a une visite US dans le pays concerné (le seul moment où le système de la communication, du côté US, s’intéresse à ce pays). D’une certaine façon, c’est une diplomatie réduite à la seule apparence de l’instantanéité, le reste du temps et des circonstances entérinant la complète absence de substance de la chose. Il s’agit d’une satisfaction absolument temporaire et formelle au conformisme washingtonien qui fait subsister l’illusion de la puissance de l’influence et de la diplomatie US. “Le reste du temps”, Washington s’occupe de son désordre intérieur, de ses lobbies, de sa corruption et de ses élections faussaires. “Le reste du temps”, les pays visités s’adonnent à leur occupation favorite qui est de développer leurs querelles internes accélérées par les visites US, avec comme résultat de déstructurer encore plus la plate-forme politique sur laquelle était installée la pérennité de l’influence US, laquelle pérennité est devenue un montage, elle aussi élément faussaire de la narrative qui tend de plus en plus à disparaître. Le résultat de la visite de Panetta en Israël est qu’Israël se sent de moins en moins tenu de rendre des comptes aux USA pour une attaque de l’Iran, mais que cette attaque est soumise principalement à l’affrontement interne entre Netanyahou et ses divers chefs militaires et de la sécurité. Le résultat de la visite de Panetta en Égypte est que l’Égypte est de plus en plus soumise à des tensions internes dont l’effet constant est de faire évoluer les divers centres de pouvoir vers un durcissement de leur position vis-à-vis d’Israël, cette orientation qui a la faveur de l’opinion publique.


Mis en ligne le 2 août 2012 à 09H32