“Dissidence” en Oklahoma?

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Un projet commence à être envisagé dans l’Etat de l’Oklahoma, réunissant des dirigeants locaux de Tea Party et des représentants élus de la législature de l’Etat. Il s’agit d’envisager la création de milices légales (ou de légaliser les milices existantes), les rendre dépendantes de l'autorité de l’Etat, éventuellement pour s’opposer à des interventions de la police fédérale (FBI). (Question soulevée par un raid du FBI contre des militants d’une milice à Hutaree, dans le Sud du Michigan, accusés de comploter l’assassinat d’un représentant de l’ordre.)

C’est RAW Story qui, le 12 avril 2010, relaie une dépêche d’AP sur la question.

«Frustrated by recent political setbacks, tea party leaders and some conservative members of the Oklahoma Legislature say they would like to create a new volunteer militia to help defend against what they believe are improper federal infringements on state sovereignty.

»Tea party movement leaders say they've discussed the idea with several supportive lawmakers and hope to get legislation next year to recognize a new volunteer force. They say the unit would not resemble militia groups that have been raided for allegedly plotting attacks on law enforcement officers.

» “Is it scary? It sure is,” said tea party leader Al Gerhart of Oklahoma City, who heads an umbrella group of tea party factions called the Oklahoma Constitutional Alliance. “But when do the states stop rolling over for the federal government?”

»Thus far, the discussions have been exploratory. Even the proponents say they don't know how an armed force would be organized nor how a state-based militia could block federal mandates. Critics also asserted that the force could inflame extremism, and that the National Guard already provides for the state's military needs.

»“Have they heard of the Oklahoma City bombing?” said Joseph Thai, a constitutional law professor at the University of Oklahoma. The state observes the 15th anniversary of the anti-government attack on Monday. Such actions could “throw fuel in the fire of radicals,” he said.

»But the militia talks reflect the frustration of some grass roots groups seeking new ways of fighting recent federal initiatives, such as the health reform plan, which requires all citizens to have health insurance. Over the last year, tea party groups across the country have staged rallies and pressured politicians to protest big government and demand reduced public spending.»

[…]

»State Sen. Randy Brogdon, R-Owasso, a Republican candidate for governor who has appealed for tea party support, said supporters of a state militia have talked to him, and that he believes the citizen unit would be authorized under the Second Amendment to the Constitution.

»The founding fathers “were not referring to a turkey shoot or a quail hunt. They really weren't even talking about us having the ability to protect ourselves against each other,” Brogdon said. “The Second Amendment deals directly with the right of an individual to keep and bear arms to protect themselves from an overreaching federal government.”

»Another lawmaker, state Rep. Charles Key, R-Oklahoma City, said he believes there's a good chance of introducing legislation for a state-authorized militia next year.

»Tea party leader J.W. Berry of the Tulsa-based OKforTea began soliciting interest in a state militia through his newsletter under the subject “Buy more guns, more bullets.” “It's not a far-right crazy plan or anything like that,” Berry said. “This would be done with the full cooperation of the state Legislature.”

»State militias clearly are constitutionally authorized, but have not been used in recent times, said Glenn Reynolds, a law professor at the University of Tennessee and an expert on the Second Amendment. “Whether someone should get a militia to go toe-to-toe with the federal government ... now, that strikes me as kind of silly,” he said.»

Notre commentaire

@PAYANT On mesure l’importance de ces nouvelles dans le fait absolument fondamental de voir la proposition de la transformation de ce qui est dénoncé par l’establishment du système comme une peste illégale (les milices), en une ébauche conduisant à une structure de système légal dépendant souverainement d’un Etat de l’Union. On trouve dans ces projets absolument tout ce qui caractérise le potentiel d’une évolution d’un type qu’on qualifierait de “dévolution” par contraste avec le type “révolution”, c’est-à-dire un type où l’on voit une poussée pour transmettre le pouvoir d’un système constitué qui est jusqu’ici complètement favorable aux liens de soumission de l’Etat au pouvoir fédéral à un système qui récupérerait certains des droits souverains de l’Etat pour se garder de certaines interventions fédérales, voire s’en protéger décisivement. (Outre le raid du FBI qui est cité, d’autres causes sont avancées pour le mouvement en cours, notamment économiques, avec les ponctions du centre fédéral par impôts dans les Etats alors que ceux-ci sont dans des situations budgétaires et sociales catastrophiques, dont une grande part de la responsabilité repose sur la politique fédérale.)

Il s’agit d’un mouvement qui cherche la légalisation de groupes qui, jusqu’ici, sont considérés par les autorités fédérales comme étant à la limite de la légalité de l’ordre fédéral alors qu’ils ne contreviennent pas stricto sensu, dans tous les cas dans leurs principes, à la Constitution. Mais, soupçonnent les adversaires de l’intervention fédérale, ce qui est essentiellement reproché à ces groupes, derrière l’alibi idéologique, c’est leur très claire identification à leur Etat et leur affirmation par rapport à cet Etat contre le centre fédéral. Certains des adversaires de ces projets de légalisation qui impliquent en réalité la création d’unités armées contrôlées par l’Etat arguent justement qu’il existe d’ores et déjà la Garde Nationale, qui est en théorie une “armée” de l’Etat sous l’autorité du gouverneur. L’argument qui leur est implicitement opposé est que la Garde Nationale a été complètement phagocytée par le pouvoir central au travers de sa militarisation par le Pentagone, c’est-à-dire de son intégration de facto dans l’appareil militaire du système central. D’où l’idée de cette création de milices dont le fondement de la création serait d’échapper complètement au contrôle de la structure centrale.

Bien entendu, ces aspects théoriques sont peu de choses par rapport aux conditions politiques, qui sont explosives. Les critiques du projet craignent qu’il “enflamme la poussée extrémiste”. C’est un argument de circonstance et on pourrait même leur opposer l’argument inverse, en observant que ce projet, au contraire, pourrait canaliser en la contrôlant par la légalisation “la poussée extrémiste”. On voit bien alors que l’argument idéologique n’est que de circonstance. L’essentiel est bien l’argument de la dévolution, c’est-à-dire la prise en charge par l’Etat de l’Union (ou la reprise, historiquement parlant) de certains de ses droits souverains actuellement confisqués de facto par la structure centrale. Le projet est envisagé et développé à l’occasion d’une affaire où il y a eu intervention de forces de police fédérale contre une telle milice se réclamant de l’Etat où a eu lieu l’intervention, et la mise en place de milices légales impliquerait alors l’interdiction de facto d’une telle intervention qui se heurterait à la légitimité et à la légalité du pouvoir souverain de l’Etat. On comprend alors qu’il s’agit d’un conflit fondamental entre une conception où la souveraineté de l’Etat de l’Union est l’autorité qui doit dominer sur le territoire de cet Etat, contre les pratiques actuelles où les services fédéraux ont de facto la prééminence d’action dans tous les Etats, sur les autorités de ces Etats.

Bien entendu, la présence de Tea Party, la connexion de ce mouvement avec des élus de la législature de l’Etat sont tout simplement fondamentales. Elles montrent que le destin de Tea Party, quelles que soient les affirmations idéologiques qu’on lui prête ou qu’on croit distinguer chez lui, est bien d’être un puissant instrument de dévolution, capable d’influer sur la législature en place par les pressions de type populaire et électorale. Ce destin l'est d'autant plus que la riposte du pouvoir central exacerbe cette tendance, car la dépêche met bien en évidence que c'est à la suite de ce que Tea Party considère comme des “défaites“ (le vote de la loi des soins de santé) que ce mouvement a pris corps en Oklahoma; il y a bien là une situation politique explosive d'affrontement. Tout ce que dit la dépêche montre que le projet en Oklahoma est sérieux et qu’il pourrait aboutir à quelque chose de concret, c’est-à-dire à un embryon de véritable “armée” d’un Etat de l’Union complètement sous contrôle de l’Etat, dont la tâche principale implicite serait de protéger l’intégrité de cet Etat contre les intrusions du pouvoir central fédéral.

Bien entendu, la publicité nationale (washingtonienne), et internationale par conséquent, faite autour de cette affaire est très faible, simplement parce qu’elle est très importante et révolutionnaire, – ou “dévolutionnaire” si l’on osait proposer ce néologisme. C’est la pire tendance que puisse craindre le centre fédéral, donc le système, et elle est d’autant plus dangereuse qu’elle se veut constitutionnelle et accordée à l’esprit fondamental de la Constitution. Cette fois-ci, il n’y a pas une cause bien identifiée comme l’esclavage pour camoufler la réalité de l’affrontement, comme durant la Guerre de Sécession, mais les arguments assez faibles et sempiternels contre l’extrémisme. On pourra évidemment et naturellement leur répondre, comme on l’a vu plus haut, qu’un tel mouvement “dévolutionnaire” intégrant la poussée populaire (Tea Party) et la représentation politique légale est justement le meilleur moyen de désamorcer les risques de l’extrémisme. Par contre, c’est aussi le meilleur moyen de porter au plan fondamental de l’action politique légale la question de la souveraineté des Etats de l’Union contre le centre, soit le spectre de l’éclatement de l’ensemble du système américaniste. (Ce que signifie implicitement l’un des dirigeants de Tea Party lorsqu’il dit du projet : «Is it scary? It sure is…», – effectivement, projet effrayant, mais évidemment pour ceux qui craignent de voir renaître les droits souverains des Etats de l’Union.)

L’expérience de l’Oklahoma sera donc suivie avec attention, angoisse et espoir, c’est selon. Elle risque de faire des émules. Elle porte une logique de fractionnement et d’éclatement des USA dans un temps où le système officiel se garde bien d’aborder ce sujet et où tout le monde y pense.


Mis en ligne le 14 avril 2010 à 06H09