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363TITREBLOC = Dissolution de la spécificité extrémiste d’Israël
C’est une révolution psychologique qui est en train de bouleverser la structure même de la direction politique israélienne, avec les conséquences fondamentales à envisager au niveau de la politique israélienne et, plus profondément, de la stabilité de cette direction politique. Cette structure est fondée sur une psychologie absolument, sinon hystériquement offensive, suscitant des actions brutales et sans concessions, cela d’une façon évidente et sans la moindre réserve depuis le 11 septembre 2001. Depuis les événements de la semaine dernière (voir ce 22 août 2011), en rapport avec les relations d’Israël avec l’Egypte, et dans le contexte du “printemps arabe”, les réactions de la direction israélienne sont en train de se modifier profondément.
Un article de Haaretz du 23 août 2011 rend compte des délibérations et des décisions du gouvernement israélien sur la question d’une éventuelle poursuite des opérations de représaille à la suite des attaques de la semaine dernière dans le Sinaï, puis de tirs de roquettes venus de Gaza. Le Premier ministre Netanyahou et son ministre de la défense Barak ont recommandé au gouvernement une grande prudence et une restriction dans les réactions israéliennes, et ils ont été suivis.
«What emerged most clearly from Netanyahu’s and Barak’s statements to the cabinet was that Israel lacks the international legitimacy needed for a large-scale operation in Gaza. The diplomatic crisis with Egypt [following the deaths of three Egyptian policemen killed by Israelis during the Eilat attacks] further constrains Israel’s freedom of action.
» “The prime minister thinks it would be wrong to race into a total war in Gaza right now,” one of Netanyahu’s advisors said. “We are preparing to respond if the fire continues, but Israel will not be dragged into places it doesn’t want to be.”
»Several Netanyahu aides detailed the constraints on Israeli military action, most of which are diplomatic. “There’s a sensitive situation in the Middle East, which is one big boiling pot; there’s the international arena; there’s the Palestinian move in the Untied Nations in September,” when the Palestinians hope to obtain UN recognition as a state, one advisor enumerated. “We have to pick our way carefully.”»
C’est Paul Woodward, de War in Context, ce 23 août 2011, qui a attiré notre attention sur cet article de Haaretz. Woodward commente notamment :
«A year ago, if in response to an attack emanating from inside Egypt’s borders Israel had “retaliated” by launching attacks on Gaza, it would have been confident that it’s military action would have received a fairly muted response from the Mubarak regime. Demonstrations on the streets of Cairo would have done little to damage Egypt’s cordial relations with Israel.
»Now everything has changed. Thus on Monday, even while rockets were still be fired at Israel from Gaza the Netanyahu cabinet voted to refrain from any action that could lead to an all-out war against Hamas. Gone is some of the hubris that fueled Israel’s 2009 war on Gaza, Operation Cast Lead.
»Why? Israel can no longer be guided by its confidence that it can punish the population of Gaza with total impunity. Now its calculus must take into consideration the mood of 80 million Egyptians who can do much more than just shout on the streets — they can influence the policies of their own government. That power is still muted by military rule, but everything Israel does to alienate Egypt now has much greater potential to define and sour future Israeli-Egyptian relations...»
Ce que nous nommons “dissolution” dans ce processus essentiellement psychologique qui conduit l’évolution de la direction israélienne, c’est la perte de plus en plus évidente, et extrêmement rapide depuis la semaine dernière, des repères structurants qui fondaient l’action systématique d’Israël. (Il est évident ici que l’aspect moral, ou l’aspect destructeur de cette politique israëlienne n’est pas abordé, – par ailleurs, l’appréciation qu’on en doit avoir allant de soi.) Cette perte est effectivement une sorte de dissolution ; ces repères, ou références, se dissolvent dans un contexte perçu de plus en plus comme incertain, insaisissable, et perdent rapidement leur vertu structurante. Il est évident que l’évolution égyptienne est à cet égard fondamentale, – bien qu’elle soit paradoxale, la “fermeté” de l’Egypte face à Israël répondant en réalité à sa faiblesse devant les mouvements populaires en Egypte même (voir le 22 août 2011). On a là un effet dissolvant typique du mouvement du “printemps arabe” qui affecte toutes les directions politiques, y compris celles qui sont nées de ce “printemps arabe” et qui sont très loin d’y répondre d’une façon satisfaisante.
La direction israélienne se trouve complètement déstabilisée. On mesure combien sa politique systématiquement offensive et brutale, qu’on croyait essentiellement fondée sur le seul soutien US, et sur la passivité de la “communauté internationale”, avait également un solide fondement stratégique, et encore plus psychologique, dans le comportement de l’Egypte de Moubarak appuyant sans restriction Israël. Désormais, Israël a un flanc Sud, son vieux cauchemar de la pression égyptienne par le Sinaï, qui est devenu complètement “mou” et incertain, là aussi un flanc Sud qui se dissout. Le paradoxe est que cette dissolution, dans l’esprit des extrémistes qui dirigent la politique israélienne, se transcrit en une perception d’une “fermeté” égyptienne, la “fermeté” des faibles qui se jugent eux-mêmes menacés à cause de leur légitimité si incertaine. C’est une équation paradoxale et bien caractéristique du processus de dissolution qu’on identifie : les diverses “légitimités” de brutalité et de corruption de la vieille complicité entre Moubarak et la direction extrémiste israélienne se dissolvent dans un affaiblissement réciproque, où les faiblesses également réciproques se transcrivent dans des décisions politiques qui semblent répondre à des perceptions de “fermeté” nouvelles qui ne sont que des simulacres activés par ces mêmes faiblesses réciproques.
C’est donc un immense événement en cours de formation, d’entendre les Israéliens d’abord parler de “légitimité” à propos des actions illégales et brutales qu’ils effectuaient jusqu’ici, ensuite d’estimer ne plus pouvoir réaliser désormais ces actions en raison de la dissolution en cours de cette “légitimité”. C’est aussi un paradoxe qui répond bien à une époque où toutes les politiques sont à la fois des simulacres et des objets virtualistes. La “légitimité” se traduisaient en illégalité et en brutalité sommaire, l’effondrement par dissolution de cette “légitimité” se traduit par un tournant qui conduit objectivement à mettre en cause presque vertueusement (quoique par pur réalisme, certes) une politique illégale et de brutalité sommaire. Les concepts, sans changer fondamentalement ni être à proprement parler orwelliens, sont interprétés d’une façon orwellienne ; c’est la psychologie qui se découvre orwellienne (elle l’est depuis longtemps), plus que les objets extérieurs qui sont perçus et, surtout, interprétés par elle.
L’attitude de l’Egypte étant promise à durer et à s’accentuer en raison de la pression souvent anarchique et incontrôlable de la rue, la faiblesse égyptienne se traduira de plus en plus par une “fermeté” paradoxale de l’Egypte. (Ce que nous évoquions dans notre texte déjà référencé par l’idée : «Peut-être même la direction égyptienne elle-même va-t-elle en arriver à se dire: “Après tout, cela paye d’être ferme avec Israël…”») Selon cette nouvelle dynamique, la direction israélienne va de plus en plus s’interroger sur sa “légitimité”, c’est-à-dire établir une logique de contrainte sur sa politique offensive, agressive, illégale et brutale ; cela, au moment où des échéances importantes et dangereuses se font de plus en plus pressantes (situation en Libye, tentative palestienne de proclamation unilatérale d’indépendance, agressivité habituelle contre l’Iran), qui auraient justement justifié encore plus, selon le point de vue israélien, cette politique offensive et agressive. Il nous paraît bien difficile, mis à part les slogans démagogiques et sans aucune substance qui ont accompagné ce mouvement, de ne pas admettre que le “printemps arabe” produit des effets bouleversants et profondément “révolutionnaires” au sens postmoderne. Le “printemps arabe”, cette chaîne crisique dévastatrice, fait son office ; ce n’est pas de nous offrir une démocratie qui serait promptement récupérée par le Système, mais d’attaquer le Système dans ses oeuvres vives, dans les impostures fondamentales qui le caractérisent.
Mis en ligne le 24 août 2011 à 07H34
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