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25652017 année du Bitcoin, du Trump KGB, de la crèche homo-érotique…
PhG en parle souvent du simulacre. Baudrillard a intitulé un de ses livres Simulacres et simulation, qui est repris dans le film-culte Matrix, livre de chevet du pseudo-messie Néo. Avec une attention captée neuf heures par jour en moyenne par la machine, le web, la télé, la radio (encore trois heures/jour en moyenne en oxydant), nous vivons entourés de songes et d’ombres – de simulacres. Et tout ne fera que s’aggraver (si j’ose dire).
Dans mon dictionnaire oxonien le simulacre désigne une imitation qui ne donne pas satisfaction ; ainsi de nos libertés, de notre démocratie et de notre système économique – sans oublier cet empire américain grotesque, farcesque et désastreux. Pour Baudrillard la référence est borgésienne : le royaume des cartes qui se substitue au royaume du monde avec des cartes qui prennent autant de place que la terre même. Borges dans son recueil El Hacedor évoque les cartes de cartes. Et Baudrillard au début des Simulacres évoque le rôle factieux des jésuites qui ont assisté la disparition de Dieu et l’ont remplacé par la manipulation des esprits.
Le philosophe athée Feuerbach, qui évaluait déjà le simulacre de catholicisme romain qui a atteint son Epiphanie sous l’incroyable pontificat du pizzicati Bergoglio, écrivait il y a un siècle et demi :
« Pour ce temps-ci, il est vrai, qui préfère l’image à la chose, la copie à l’original, la représentation à la réalité, l’apparence à l’être, cette transformation est une ruine absolue ou du moins une profanation impie, parce qu’elle enlève toute illusion. Sainte est pour lui l’illusion et profane la vérité. »
Un journal télé français me montre ces priorités : la bouffe de Noël, le ski de Noël, le président de Noël, la chasse antiterroriste de Noël.
Feuerbach (un concepteur de la société du spectacle-simulacre de Guy Debord) poursuit admirablement :
« Depuis longtemps la religion a disparu et sa place est occupée par son apparence, son masque, c’est-à-dire par l’Eglise, même chez les protestants, pour faire croire au moins à la foule ignorante et incapable de juger que la foi chrétienne existe encore, parce qu’aujourd’hui comme il y a mille ans les temples son encore debout, parce qu’aujourd’hui comme autrefois les signes extérieurs de la croyance sont encore en honneur et en vogue. Ce qui n’a plus d’existence dans la foi, — et la foi du monde moderne, comme cela a été prouvé à satiété par moi et par d’autres, n’est qu’une foi apparente, indécise, qui ne croit pas ce qu’elle se figure croire. »
Et Feuerbach n’avait pas vu le défilé-simulacre du clergé romain dans le meilleur Fellini…
J’en viens à Lucrèce, livre IV bien sûr du De natura rerum :
« Et maintenant je vais t'entretenir d'un sujet qui tient étroitement à ceux-là. Il existe pour toutes choses ce que nous appelons leurs simulacres, sortes de membranes légères, détachées de la surface des corps et qui voltigent en tous sens dans les airs. »
Les simulacres agissent sur notre esprit comme les songes de Pindare ou les esprits de Shakespeare :
« C'est eux qui le jour comme la nuit viennent effrayer nos esprits en nous faisant apparaître des figures étranges ou les ombres de ceux qui ne jouissent plus de la lumière ; et ces images nous ont souvent arrachés au sommeil, frissonnants et glacés d'effroi. Ne croyons pas que ce soient des mêmes échappées de l'Achéron, des ombres qui viennent errer parmi nous ; ni d'ailleurs que rien de nous puisse subsister après la mort, lorsque le corps et l'âme, frappés d'un même coup, ont été rendus l'un et l'autre à leurs éléments. »
C’est que les simulacres frappent un monde athée, matérialiste, qui est celui de cet empire romain finissant, qui ressemble tant à notre empire occidental agonisant (Tolkien parlait de beurre trop étalé sur du pain).
Lucrèce ajoute, comme s’il avait lu Calderon ou l’illusion comique de Corneille – le monde comme théâtre shakespearien, comme scène de théâtre :
« Vois notamment l'effet produit par les voiles jaunes, rouges et verts tendus au-dessus de nos vastes théâtres et qui flottent et ondulent entre les mâts et les poutres. Le public assemblé, le décor de la scène, les rangs des sénateurs, des matrones et les statues des dieux, tout cela se colore des reflets qui flottent avec eux. Plus le théâtre est étroit, plus les objets s'égayent à ces couleurs dans la lumière raréfiée.
Or si des éléments colorés se détachent de ces toiles, n'est-ce pas tout objet qui doit émettre de subtiles images, puisqu'il s'agit toujours d'émanations superficielles ? Voilà donc bien les simulacres qui voltigent dans l'air sous une forme si impalpable que l'œil ne saurait en distinguer les éléments. »
Saint Paul parle de ce monde que sans Dieu nous voyons par spéculation (per speculum, par le miroir) deux mille ans avant cette télévision qui est notre rapport au monde :
« Enfin dans les miroirs, dans l'eau, dans toute surface polie, nous apparaissent des simulacres qui ressemblent parfaitement aux objets reflétés et ne peuvent donc être formés que par des images émanées d'eux. Pourquoi admettre de telles émanations qui se produisent manifestement pour un grand nombre de corps, si l'on méconnaît d'autres émanations plus subtiles ? »
Le piège se précise chez Lucrèce :
« Il existe donc pour tous les corps des reproductions exactes et subtiles dont les éléments isolés échappent à la vue, mais dont l'ensemble continûment renvoyé par l'action du miroir, est capable de la frapper. »
Les simulacres sont bien mobiles :
« Avec quelle facilité, quelle promptitude légère, ces simulacres se forment et émanent sans arrêt des corps ! »
On a déjà évoqué ici la fama, la renommée, autre nom de la rumeur, de l’information, chez Ovide comme chez Virgile (chant IV quand la rumeur people se moque littéralement de Didon et Enée). Lucrèce :
« Sache maintenant quelle est la vitesse de ces simulacres, avec quelle agilité ils traversent les airs, capables de franchir en un court instant de longues distances, quel que soit le but où les portent leurs tendances diverses. »
Un peu de Virgile qui souligne aussi la vitesse de Fama :
« Soudain la Renommée parcourt les grandes villes de Libye, la Renommée plus rapide qu’aucun autre fléau. Le mouvement est sa vie et la marche accroît ses forces. Humble et craintive à sa naissance, elle s’élève bientôt dans les airs ; ses pieds sont sur le sol et sa tête se cache au milieu des nues. »
Toutes ces intuitions littéraires, tous ces éclairs de génie philosophiques sont aujourd’hui réduits à l’état de… simulacres. L’industrie de la communication arrive à obnubiler, tripatouiller ou conditionner, un, deux, quatre ou six milliards de nouilles, et ce simultanément. On altère/corrompt la réalité au point que l’on arrive à ces simulacres de vie ou de pensée, de guerre ou de religion.
Virgile enfin dépeignant les enfers… Une hypallage célèbre, chant VI de l’Enéide :
Ibant obscuri sola sub nocte per umbram,
perque domos Ditis uacuas et inania regna…
…ce qui en langue d’Amyot (comme dirait Céline, car le français depuis ce sinistre traducteur de Plutarque est aussi un simulacre - de français…) donne : Ils allaient comme des ombres par la nuit déserte à travers l’obscurité et les vastes demeures de Pluton et son royaume de simulacres…
Il vaut mieux aller se coucher en évitant, télévision et radio éteinte, ces somnifères qui nous offrent un simulacre de sommeil…
Jorge Luis Borges – El hacedor (del rigor en la ciencia). Notre argentin quasi-aveugle et possédé par les textes et les alphabets écrit que nos falsificateurs-géographes “levantaron un Mapa del Imperio, que tenía el tamaño del Imperio »…
Jean Baudrillard – Simulacres et simulation (premières pages)
Ludwig Feuerbach – L’essence du christianisme
Guy Debord – La société du spectacle
Philippe Grasset – Nietzsche et le Kosovo – La grâce de l’histoire (mols)
Nicolas Bonnal – Les grands écrivains et la théorie de la conspiration ; Céline pacifiste enragé ; le livre noir de la décadence romaine (Amazon.fr)
Virgile – Enéide, IV et VI
Ovide – Métamorphoses, 12
Lucrèce – De natura rerum, IV