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15 mars 2003 — Les néo-conservateurs américains, (même) lorsqu’il s’agit de la France, ne sont pas que des brutes trempant leurs plumes dans l’invective. Nous l’avons déjà vu avec Charles Krauthammer, et aussi avec Robert Kagan. Voici à nouveau un cas intéressant, avec Fred Barnes, du Weekly Standard.
Le texte de Barnes est bien défini par son titre, bien que l’énoncé soit plus agressif que le contenu de l’article : « Taking the French at Their Word. » Cela signifie : cessons d’attaquer les Français pour des broutilles, ou selon notre humeur, ou selon des arguments sentimentaux. Voyons ce qu’ils ont à nous dire, sans polémique inutile, — prenons-les au sérieux, en un sens.
Barnes pose une première question : la France agit-elle comme un allié des États-Unis ? Barnes écarte justement l’argument du sentiment, qui est si souvent présent dans l’explication de la relation USA-France. Même si certains des faits ou les références qui soutiennent son analyse sont déloyaux et inexacts, — et certains le sont grandement, à notre sens, — la question elle-même nous paraît intéressante à envisager.
« What should we expect from an ally who disagrees with us? The question arises because of France's strong objection to President Bush's call for disarmament by Iraq--by war if necessary. The French reaction has infuriated many Americans, stirred talk of a boycott of French goods, and generated a spate of biting anti-French jokes. Angry Americans see France as breathtakingly ungrateful.
» But this is unfair. Gratitude is not what's required of an ally. A French retreat on Iraq would no doubt soothe American indignation. And if the French mentioned their gratitude for America's role in saving France in both world wars, bailing out the French economy with the Marshall Plan, and giving France a seat on the United Nations Security Council with veto power, so much the better. But a grateful heart is a character trait, not a principle governing foreign affairs. »
Barnes poursuit pour trouver une réponse satisfaisante à sa question. Il la trouve dans le fait que, selon lui, la France n’agit pas “de bonne foi”, comme un allié devrait le faire. Il s’appuie sur une appréciation de la résolution 1441 qui est une totale contradiction de la façon dont la France (et, en général, le reste du monde) a perçu cette résolution 1441.
Il y a là une complète rupture de la perception d’un fait, pourtant récent : Barnes implique que la résolution 1441 a été faite de concert entre Américains et Français, et qu’il était implicite qu’elle conduisait à l’automatisme de l’engagement militaire si l’Irak ne désarmait pas complètement. Pour les Français (et la majorité du reste, et notamment les pays non-membres permanents qui ont voté la 1441, qui ont accepté cette résolution sous cette condition), cette résolution n’impliquait pas du tout la moindre possibilité d’un engagement militaire. (Pour rappel, les conditions du vote contenues dans cette remarque d’un lecteur du Guardian : « Last October, Washington originally put forward a resolution specifying that failure by Saddam Hussein to fulfil UN demands for his disarmament should be dealt with “by all possible means” — code for automatic use of armed force. This was totally rejected by France, Russia and China. In November, after six weeks of haggling, the present resolution 1441 was passed, stating that a material breach by Iraq would entail “serious consequences” — not code for automatic war. Moreover, France, Russia and China, in accepting resolution 1441, formally stated that they did so only on the clear understanding that it did not carry with it any automatic recourse to war without a further security council decision. »)
C’est sur cette prémisse contestée, sinon contestable, que Barnes poursuit son raisonnement. Peu importe. La voie pour parvenir à la conclusion nous importe peu, seule cette conclusion nous intéresse et, à notre avis, seule cette conclusion importe.
« Acting in good faith, however, is required of an ally, especially a fellow democracy. France is a member of NATO (not on the military side) and a partner of the United States in the war on terrorism. And it was France and the United States who last fall jointly drafted U.N. Resolution 1441, which ordered new weapons inspections in Iraq.
» Since then, France has acted in bad faith. The sole intent of Resolution 1441 was immediate disarmament, and it gave Iraq a final chance to comply or face ''serious consequences,'' a phrase widely understood to mean a war to depose Saddam Hussein. Now, France has changed its mind and reinterpreted the document as if it required only containment, not disarmament. »
L’argument se poursuit comme une longue description de la mauvaise foi des Français, — injustifiée, non acceptable selon nous, mais là aussi cette critique est de peu d’importance parce que ce n’est pas l’essentiel du propos.
(L’intérêt de cette mésentente sur l’analyse de la situation, sur les arguments et les contre-arguments, etc, réside essentiellement dans ce qu’elle montre qu’il y a une différence de perception de la situation du monde. Nous n’entendons pas, nous ne voyons pas, nous ne sentons pas, nous ne percevons pas de la même façon. Par exemple, Barnes écrit ceci avant d’en arriver à sa conclusion qui nous intéresse : « Lastly, it's the obligation of an ally not to blow up its relationship with a long-time friend if at all possible. On Iraq, maintaining the French-American tie is quite possible. The problem is France doesn't seem interested, though Levitte says the French-American tie is critical to France. If so, France might have outlined its opposition to U.S. policy in a closed-door session of the Security Council. On the contrary, France brushed aside an American request and insisted last Friday's session be held in public, thus on worldwide television. » On comprend aussitôt qu’il y a une différence fondamentale dans la perception de ce qu’est un allié. Pour les Américains, le Royaume-Uni aujourd’hui est un allié ; en privé, il dit sans doute qu’il n’est pas d’accord avec ceci et cela, en public il s’aligne. La France, avec bien d’autres pays, a une autre perception, on le réalise aisément.)
Vient la conclusion et c’est enfin ce qui importe. Barnes tire de ce qu’il juge être un “mauvais” comportement des Français en tant qu’allié, la conclusion qu’il y a une autre explication à ce comportement, et que cette explication règle tout. Le paragraphe suivant expose ce point :
« The French answer to American criticism is that their opposition is not based on anti-Americanism but on sincere differences. They are wary of using military force, fearful a war with Iraq and regime change will create instability in the Middle East, and dubious of American plans to install democracy in Iraq. So the differences between the United States and France turn out to be philosophical and deep. With the gulf this wide, it may simply be a mistake to think of the French as the ally they once were. »
Barnes en arrive à l’essentiel. Allié, pas allié, peu importe ; l’essentiel est qu’il y a des différences profondes de philosophie du monde. Certes, la France recherche l’harmonie, l’équilibre, et elle est hostile à la guerre comme moyen d’arranger ce qui ne peut l’être par la brutalité. La guerre étant instabilité et rupture, comment espérer qu’elle conduise à l’harmonie pour ce qui existe et qu’elle va nécessairement briser ou déséquilibrer ? La France n’est absolument pas pacifiste ni couarde certes, mais elle ne croit à la guerre que dans la mesure où elle n’intervient que pour corriger des situations d’instabilité ou/et d’injustice inacceptables, qui se sont avérées impossibles à pacifier d’une autre manière. L’Amérique croit à la guerre comme facteur créateur (cela rejoint la conception capitalistique de “destruction créatrice” d’emplois). Certes, quelle abîme de conception philosophique séparant ces deux pays. A ce point, même si c’est pour de bien mauvaises raisons, Barnes apporte un élément intéressant en posant le problème franco-américain en ces termes.
(Si on osait, on dirait : comment a-t-on pu croire que la France et les USA pouvaient être alliés si être allié signifie avoir la même conception et la même perception du monde ? A ce compte, à cette lumière des perceptions et des conceptions, nous serons également très dubitatifs sur la durée de l’actuelle phase de soi-disant alliance très proche entre USA et UK. Passées les vapeurs utopiques de Blair, la réalité reviendra au galop. Notre pari est que, dans un délai moyen, voire peut-être court de quelques mois, les Britanniques se retrouveront plus proches des Français que des Américains.)