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29 octobre 2002 — Des indications ont été données par un article récent du Guardian, sur une initiative du Pentagone qui vient d'être révélée. L'article est court mais les indications qu'ils donnent méritent un commentaire. Ces indications éclairent un peu plus l'état d'esprit et surtout la situation qui règnent dans certaines parties de l'administration GW aux USA, et précisément au Pentagone. Elles confirment qu'il règne aujourd'hui, à Washington, des situations extraordinaires, qui sont en très forte partie l'explication du caractère de plus en plus erratique et conflictuel des tensions politiques à l'intérieur de l'administration GW, et de certains aspects de la politique américaine.
Ce texte nous en dit beaucoup sur la situation au Pentagone, qui mérite elle aussi, sans aucun doute, le qualificatif d'extraordinaire. Voici des extraits (larges extraits) du texte du Guardian :
« Donald Rumsfeld, the hawkish American defence secretary, has assembled a team of experts to scour intelligence data for links between Iraq and al-Qaida, sidestepping the CIA, which is locked in conflict with White House conservatives on whether such evidence exists. Officials in the intelligence establishment said the team was part of an effort by Mr Rumsfeld and his deputy, Paul Wolfowitz, to force the facts to fit their version of reality, according to which Saddam Hussein is working closely with terrorists and poses a serious threat to the US.
» But Mr Wolfowitz said the group, which was formed soon after September 11 last year, was appointed to get a fresh perspective. There was “a phenomenon in intelligence work that people who are pursuing a certain hypothesis will see certain facts that others won't, and not see other facts that others will,” he said in an interview with the New York Times, which broke the story. He stressed that the group was “not making independent intelligence assessments”. But a senior defence official was quoted as saying: “There is a complete breakdown in the relationship between the defence department and the intelligence community.”
» Mr Wolfowitz was a member of a similar group in the late 1970s, under President Gerald Ford, which provided more alarming assessments than the CIA of the Soviet threat.
» A Pentagon adviser who asked not to be named said: “The way his colleagues describe it, [Rumsfeld] is preparing for world war three.” The defence department “thinks there's a chance Iraq already has fissionable material, that in addition to anthrax and botulism toxin they have smallpox ... and that Iraq is sheltering senior al-Qaida leaders today.”
» Robert Baer, a former CIA agent who investigated al- Qaida, said the data the Pentagon was analysing was “all based around these defectors who come out of Iraq and tell one horror story after another. But the information gets so polluted by the time it gets to the CIA that they've been turning them away. So the neo-conservatives are processing this information to make a more favourable case against Iraq.” »
Résumons : on nous dit que le DoD, c'est-à-dire Rumsfeld-Wolfowitz, entretient son propre service de renseignement et d'évaluation, qui a été mis en place « soon after September 11 last year » (selon Wolfowitz, — une imprécision qui ne mange pas de pain). (Le DoD a déjà ses SR divers, la DIA, les SR des armes, mais tous doivent rendre compte au directeur de la CIA qui est Director of the Central Intelligence. Le SR mis en place par Rumsfeld-Wolfowitz, par son caractère clandestin et informel, ne rend compte à personne d'autres qu'à ces deux hommes.)
Laissons de côté les précisions de Wolfowitz, qui n'ont guère d'intérêt sinon pour nous confirmer que ce groupe existe. Cette situation nous confirme les dissensions entre DoD et CIA ; il y en a toujours eu mais, cette fois, elles sont fondamentales, et nous pouvons accepter l'appréciation faite de source anonyme : « There is a complete breakdown in the relationship between the defence department and the intelligence community. » En d'autres mots : situation sans précédent. Et ce n'est pas fini.
(Accessoirement, on trouvera une explication convaincante de la publication contradictoire de l'estimation de la CIA, le 7 octobre dernier, des conditions d'une attaque contre l'Irak. Nous avons publié deux F&C sur cette affaire, l'un le 10 octobre et l'autre le 11 octobre. Il nous semble évident que les informations sur lesquels GW s'est appuyé pour contredire la CIA qui le contredisait venaient du centre Rumsfeld-Wolfowitz. Comme il nous semble tout aussi évident que la CIA a fait en sorte que son évaluation soit publiquement connue pour contrer ce même centre Rumsfeld-Wolfowitz. C'est de bonne guerre, — et de “chaude” guerre.)
Maintenant, présentons quelques remarques à partir du texte du Guardian.
• Il y a d'abord l'allusion à la participation de Wolfowitz au “Team B” (versus “Team A”, c'est-à-dire la CIA). C'est la phrase : « Mr Wolfowitz was a member of a similar group in the late 1970s, under President Gerald Ford, which provided more alarming assessments than the CIA of the Soviet threat. ». On connaît l'affaire “Team A” versus “Team B”, très précisément et talentueusement détaillée par Ann Hessing Kahn (voir notre recension de son livre). Cette affaire est obsessionnelle chez les neo-cons dont Wolfowitz est un fleuron ; elle a été citée, par des voies à peine tortueuses, dans l'affaire Muriewicz, du mois d'août dernier. (Voir notre F&C du 9 août 2002.) Nous mentionnions cette citation du Team B par le Jerusalem Post (Richard Perle, leader des neo-cons, fait partie de son conseil d'administration) et nous précisions :
« La référence autant que l'utilisation qui en est faite, dans cet éditorial du Jerusalem Post, la rapidité avec laquelle cet éditorial a été publié, suggèrent évidemment l'hypothèse que ce texte est directement alimenté par des sources américaines. On peut difficilement mieux suggérer qu'une source venue des milieux neo-conservatives déjà impliqués dans l'opération Team B (ils n'avaient pas encore l'étiquette, mais le reste était déjà là) et très présents dans le NPB. Richard Perle ferait l'affaire, — lui qui était dans le CPD qui patronna le Team B en 1977, aujourd'hui neo-con très influent, président du NPB qui a reçu Murawiecz, ultra-hawk partisan d'Israël et très proche d'Israël. »
• D'autre part, cette évocation du “Team B” a une signification bien précise sur le plan de la méthodologie. Elle évoque effectivement une activité d'évaluation stratégique en-dehors de la CIA, par des groupes politiques et idéologiques (effectivement, les neo-cons alors en gestation), justifiée par l'accusation récurrente d'une CIA complètement infestée par l'esprit libéral-progressiste.
• Cet arrière-plan ajouté à la situation d'autonomie que nous fait réaliser la révélation de l'existence d'un SR interne et autonome permet d'avancer l'hypothèse qu'il existe effectivement une situation générale de complète autonomie de fonctionnement du DoD par rapport aux autres forces du gouvernement (mais sans doute avec la bénédiction de Cheney). Là aussi, différence de substance avec ce qui a précédé. Les grands organes de direction du pouvoir américain ont toujours cultivé une certaine autonomie et leur propre politique, mais, sans aucun doute, jamais à ce point.
• Il faut envisager clairement l'hypothèse d'une réalité extraordinaire : le DoD est aux mains d'un groupe (neo-cons avec Rumsfeld et quelques forces industrielles derrière lui) privé, partisan, idéologue, etc. Cela, c'est sans précédent et sans doute unique dans l'histoire quand on mesure la puissance du DoD. D'autre part, nous avons l'explication supplémentaire des tensions entre les militaires et OSD (Office of Secretary of Defense, avec Rumsfeld-Wolfowitz, avec des centres annexes comme le Defense Policy Board de Perle, installé au DoD). Les militaires ne sont pas partie prenante de cette situation mais ils la réalisent et en sont évidemment adversaires. Cette situation n'est pas un “complot” (au diable, les théories complotistes), c'est une réalité installée dans les structures du DoD. C'est évidemment bien plus grave : aujourd'hui, le DoD est dans les mains d'un groupe de pression idéologique extrémiste.