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14 juin 2003 — On pourrait dire que Donald Rumsfeld s’est payé la “old Europe”. Une visite en Allemagne où il a salué in fine l’opposition à Schröder et renouvelé ses pressions sur le ministre de la défense en renouvelant ses attaques contre la position allemande sur la guerre en Irak, une visite à Bruxelles où il a quasiment déclaré la guerre à la Belgique et où il a suggéré un processus de délocalisation de l’OTAN qui serait la mort de la “old Alliance”.
• En Allemagne, la visite s’est faite le 11 juin à Garmisch-Partenkirchen, près de Munich, au George C. Marshall Center for Security Studies, division d’un institut directement financé par le Pentagone, une de ces enclaves US dans le territoire allemand et centre venu de la Guerre froide d’où est administré tout le travail d’influence US en Centre-Europe (du temps de l’URSS comme aujourd’hui). Le George C. Marshall Center est aussi le lieu de rendez-vous des Allemands les plus atlantistes, relais et agents d’influence US dans le pays. C’est donc à l’opposition allemande, aux atlantistes que Rumsfeld s’est adressé et sa visite était un encouragement à résister à la politique Schröder, — ou bien une sorte d’activisme dans le genre “regime change”, un peu moins brutal qu’en Irak mais pas moins déterminé.
• Le ministre allemand de la défense a parlé au George C. Marshall Center en même temps que Rumsfeld, l’occasion étant le 10e anniversaire de la division Security Studies. Les deux hommes se sont rencontrés mais rien de décisif ne s’est dit, sinon le rappel par Rumsfeld que l’Allemagne a eu tort de s’opposer à la guerre contre l’Irak. La délégation américaine a, curieusement ou de manière significative c’est selon, laissé échapper que Rumsfeld avait omis une phrase particulièrement significative dans son discours. Double avantage : faire savoir que Rumsfeld se serait montré conciliant ( !) et faire savoir aussi, et surtout, ce que Rumsfeld avait voulu dire. La phrase :
« The text of the speech also included a stern warning against challenges to US power, but it was dropped in the delivery: “Some want to define themselves by their opposition to the United States — as some sort of ‘counterweight’ to America”. »
• L’étape de Bruxelles (réunion ministérielle de l’OTAN) est la plus importante, et la plus spectaculaire. Elle a été marquée par une attaque violente de Rumsfeld contre la Belgique. Rumsfeld a remis sur la table la question de la loi belge de 1993 permettant d’impliquer des non-Belges pour crimes contre l’humanité. Cette loi avait permis une demande d’inculpation du général Tommy Franks mais cette demande a été jugée irrecevable en Belgique et le gouvernement a fait voter une disposition qui donne toute garantie d’impunité à des personnalités étrangères transitant en Belgique. Les avis sont unanimes sur cette évolution qui doit écarter toutes les craintes, avec en prévision un renforcement définitif dans ce sens prévu au programme du futur gouvernement. Les Américains ont été avisés de cela mais l’évolution n’a aucunement arrêté Rumsfeld. Au contraire, durant la conférence de presse qu’il a donnée le 12 juin, Rumsfeld a évoqué la possibilité du transfert de l’OTAN hors de Belgique et a annoncé le blocage de fonds supplémentaires pour l’agrandissement de l’actuel siège, à Evere. La Belgique a réagi avec humeur, d’autant plus aisément qu’elle s’est sentie plutôt soutenue dans cette affaire, que certains ont jugée plus comme un prétexte qu’autre chose (« [Belgian officials]suggested that Rumsfeld’s outburst was as much punishment for their position on Iraq as it was an effort to resolve the legal dispute »).
• Un aspect remarquable, autour de cet incident qui a eu un écho considérable à Bruxelles, ce sont les réactions en général très défavorables à la sortie de Rumsfeld, notamment à l’OTAN (notamment de sources britanniques et de sources proches du Secrétariat Général, ce qui est tout à fait exceptionnel puisqu’il s’agit d’une critique d’un officiel US). La presse US elle-même a fait la part belle aux réactions très critiques entendues ici et là à l’OTAN. Un article du New York Times (The International Herald Tribune) du 13 juin montre bien cet aspect de l’événement.
« The [Rumsfeld’s] blunt language served to stir up resentment against the U.S. here just as the North Atlantic Treaty Organization was mending internal divisions over the war in Iraq. “Tactless,” is how one NATO diplomat described the U.S. defense secretary's words at an evening press conference in which he said the United States would withhold financing for a new NATO headquarters building as long as the Belgian law remained on the books.
(...)
» All NATO countries are concerned about the threat the law poses, diplomats here say, but many complained that Rumsfeld's approach only muddied the waters. “We believe that at the moment of particularly deep differences in Europe after the war in Iraq we should avoid harsh language and do everything to heal rather than provoke,” said another senior NATO official.
» Many diplomats here, none of whom wished to be named, said it was classic behavior for Rumsfeld, a former U.S. NATO ambassador himself, who set Europe on edge earlier this year by calling differences over how to deal with Iraq a debate between “old” and “new” Europe. True as that was, many diplomats say the divisive language served to deepen resentments and harden positions.
» While the alliance's defense ministers and their NATO ambassadors have worked hard to ease lingering tensions over the fractious Iraq debate, some said Rumsfeld seemed determined to keep those tensions alive. “When the French or German ministers spoke, he would make a show of not paying attention, reading notes or talking to his neighbors,” said one senior European diplomat. “He went out of his way to show he doesn't care.” »
Au centre de toutes ces agitations, la personnalité de Rumsfeld. Le secrétaire américain à la défense est un artiste-bulldozer de la provocation. Il en joue lourdement mais avec habileté et il sait que sa position dans l’administration, notamment son influence sur GW, lui permet d’agir de la sorte. Avec ses provocations, Rumsfeld règle ses comptes et maintient une pression qu’il veut toujours très active, en même temps qu’il fait évoluer certains problèmes.
Ce dernier point (“faire évoluer certains problèmes”) est important. Il serait très imprudent de voir dans la provocation de Rumsfeld, seulement une provocation. Le siège de l’OTAN à Bruxelles, en fonction de la position de la Belgique et de l’évolution de l’UE sur les matières de sécurité (opération Artemis au Congo), pourrait devenir un désavantage pour les Américains ; envisager un transfert, par exemple, vers un des nouveaux pays de l’Est, pourrait avoir des avantages du point de vue unilatéraliste qui est aujourd’hui celui de Washington. On aurait tort de ne pas considérer de façon très sérieuse cette possibilité. En général, Rumsfeld ne parle pas pour ne rien dire.