Dotcom (& Snowden) versus TPP (& Hollywood)

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Dotcom (& Snowden) versus TPP (& Hollywood)

Russia Today à emprunté à l’une de ses vedettes, Max Keiser et son Keyser Report (sur RT), quelques extraits d’une conversation entre Keiser et Kim Doctom, le hacker devenu investisseur activiste dans l’internet. (Kim Doctom est d’origine allemande, sous le nom de Kim Schmitz. Poursuivi par diverses demandes d’extradition des USA qui rêvent bien entendu de le mettre à leur palmarès d’entité libératrice de tout miasme antiSystème, il a jusqu’ici réussi à écarter tout cela au cours de longues batailles légales. Bien que toujours dans le cours d’actions légales, cette fois de la part de la police néo-zélandaise relayant les USA, Dotcom poursuit son activité antiSystème.)

Voici les deux thèmes principaux de l’entretien Keiser-Dotcom rapportés par Russia Today. Nous citons simplement les déclarations de Dotcom.

• A propos des mesures de copyright inclues dans le traité TPP (TransPacific Partnership) et de la question du copyright sur l’internet en général, Dotcom décrit une entreprise de la part d’Hollywood dont le but est nécessairement totalitaire (domination complète de l’internet, aux ordres et couleurs de l’hollywoodisme). On retrouve dans cette démarche d’Hollywood la même logique de déstructuration et de dissolution, à l’origine absolument inconsciente malgré tout ce qui peut être élaboré, construit et dénoncé après, complètement suscitée par la dynamique du Système sous le masque du système de l’américanisme. A cet égard et pour sa partie, Hollywood vaut bien la NSA, de cette équivalence qui marque toutes les entités-Système... «I’m not against copyright, I’m against copyright extremism. I think people who create something, they have a right to make money but it shouldn’t override innovation, it shouldn’t override things that make society function better... [...] What Hollywood is trying to do is basically to turn the internet into a totally censored and controlled network to their liking, and that’s what I’m fighting against.”

»They [Hollywood] are spending a lot of energy, time and money on fighting something that they can’t defeat. The only way they can defeat it is by adapting to the new reality by changing their business model to something that works and functions better with the internet: worldwide release of content on the same day, fair pricing, the content needs to work on any device. There are so many things that Hollywood can do to improve its business model to be more compatible with the internet, but they haven’t really woken up to this yet,”

»...[E]ven if Hollywood wanted today to create a website where we just go and find any movie and stream it from any country, they couldn’t do it because they have created a model that has made it impossible.” “[The reason for this is] a fundraising model that Hollywood has. It basically has a network of thousands of license partners around the world. So whenever they shoot a new movie, they send the script around to all these licensing partners around the world and pitch that movie to them, telling who is the director and who are the actors, and then they are raising the majority of the money that it cost them to produce that movie from foreign licensing partners. So their risk to invest in movies is very minimal and it’s basically a license to print money. But the tradeoff is that these foreign license holders then own the license, and you can’t anymore say ‘we are doing a global release of this content,’ because the license holders have their own interests: they want to put it out when they want, they want a movie premier, they want to have the rights for this market and control it...»

• La crise Snowden/NSA et l’action du whistleblower relayées par divers journalistes, notamment le réseau Greenwald, Poitras & Cie, sont également évoquées par Dotcom. Selon lui, cette crise joue un rôle fondamental, non seulement pour ses effets sur l’économie US qui devraient être considérables, mais aussi pour ses possibles effets indirects sur les traités TPP et TTIP (Trans Trade & Investment Partnership). Dotcom suggère une tactique pour certains pays, vis-à-vis des traités , dans l’esprit de ce qu’il a montré que constituent pour lui ces traités (ce qu’il dit du TPP valant évidemment pour le TTIP). On observera que cet extrait de l’interview-Keyser recoupe un autre aspect de l’opposition aux siamois TPP-TTIP suscitée par Snowden/NSA, qui implique l’opposition de forces de protection des libertés civiles aux USA concernant les dispositions libérales sur le transfert de datas (megadatas pour les initiés) autorisé par ces traités et offrent ainsi des voies qui deviendraient “légales” pour une partie de l’activité de la NSA.

«[Snowden's revelations are] a really dangerous development for the US economy, because everyone is waking up to all these American tech products being ‘backdoored’ and web-services being ‘trojanized’. And this is something that is going to lead to more and more countries, governments and large corporations moving away from services that they have to deem untrustworthy. The effect that this is going to have over the next decade on the US economy is going to be significant. [...] [T]here is a huge opportunity for other countries, especially smaller countries, to not enter into the TPP (Trans-Pacific Partnership), but do their own thing and establish laws that are pro-innovation, pro-technology that protect the internet, that give operators safe harbors. So there is a huge opportunity here to cut off a massive slice of internet economy from the US government...»

Nous ne connaissons guère Kim Dotcom, c’est-à-dire dans cette mesure où nous ne nous sommes pas forgé une opinion sur lui. Ainsi n’est-il aucunement question du personnage dans ce commentaire, et cela n’entrave en rien ce commentaire justement puisque nous le concentrerons sur l’effet antiSystème net de ses déclarations et des opportunités qu’elles mettent en lumière. C’est bien la “philosophie” de nos analyses antiSystème : l’action de l’antiSystème n’a pas besoin de la vertu de celui qui la suscite et la conduit, elle n’a même pas besoin de sa conscience de la signification de la chose ; elle est, et cela suffit.

L’intérêt du propos de Dotcom, c’est d’une part qu’il met à découvert un cas intéressant de confusion et de désordre dans les siamois TPP-TTIP, où des intérêts du Système se trouvent en état d’antagonisme, voire d’affrontement ; c’est d’autre part qu’il met également à découvert une convergence entre la crise Snowden/NSA et le cas TPP-TTIP. (Peut-être, – sans doute même, espérons-le, – pourrons-nous parler prochainement de “crise TPP-TTIP” si les affrontements et les contradictions se confirment et s’amplifient ? Notre époque est si vorace de cette sorte de transmutation vertueuse, comme l’on sait avec le concept d’infrastructure crisique... Il faut noter que si Dotcom ne parle que du traité TPP, c’est parce qu’il est directement concerné, étant dans la zone Asie-Pacifique couverte par TPP, et que TPP précède TTIP chronologiquement, avec ses principales dispositions déjà finalisées, – mais révélées par Snowden.)

• Parlant du totalitarisme hollywoodien, ou “totalitarisme de l’hollywoodisme” à propos de la question du copyright, Dotcom ne peut nous étonner en aucune façon. Hollywood a été dans cet état d’esprit-Système dès l’origine, et ce néologisme (hollywoodisme) était d’usage courant dès les années 1920. Il indique clairement une tactique importante d’expansionnisme dans le volet de l’action du système de l’américanisme et du système de la communication ; il s’agit d’une arme fondamentale de l’américanisation du monde, c’est-à-dire de ce bras armé du Système, de déstructuration culturelle. Hollywood ne fait donc que poursuivre sur sa lancée, avec son propre “système” adapté au fil du temps et selon les événements depuis le temps des grands studios des années 1930 et 1940. (Le Hollywood dont nous parlons concerne bien un “système” précis à la fois financier, juridique, culturicide, etc., et nullement la diversité actuelle du cinéma US où l’on trouve tout un pan baptisé “indépendant”, y compris au cœur de Hollywood, dont l’orientation est souvent remarquablement antiSystème dans le contenu des œuvres réalisées.) Mais l’intérêt principal des observations enflammées de Dotcom est bien de situer l’action d’Hollywood en contradiction avec ce qui se dessine très fortement au Congrès (voir le 10 janvier 2014), ce qui implique une situation avantageuse de “discorde chez l’ennemi”. Cette situation est intéressante parce que des lobbies industriels et associés importants ont déjà joué et vont jouer un rôle de plus en plus pressant auprès du Congrès dans cette affaire. Comme on voit avec la situation au Congrès, Hollywood n’a nullement le champ libre dans cette sorte d’action et s’est montré peu efficace, alors que des lobbies puissants (cas de l’industrie automobile et des puissants syndicats, très proches des démocrates) se trouvent unis contre les TPP-TTIP. Mais certes, Hollywood va poursuivre ses pressions : ces traités sont et seront donc également et de plus en plus l’occasion d’une division antagoniste au sein du Système, ce qui ne peut avoir que des effets antiSystème vertueux.

• Le lien fait par Dotcom entre la crise Snowden/NSA, les effets de cette crise sur l’industrie de l’internet US et l’attitude de certains pays vis-à-vis du traité TPP, sont fondamentalement vertueux et antiSystème. (Pour TTIP, on imagine que les conseils de Dotcom ont la même pertinence. Là-dessus, on peut disserter sur la veulerie et l’aveuglement de ces pays du bloc BAO dans toutes leurs entreprises, notamment vis-à-vis des USA mais surtout vis-à-vis du dogme libre-échangiste ; mais le même constat amer pourrait être fait pour les pays de la zone Pacifique-Asie. Il n’empêche que Snowden/NSA a fait bouger quelque chose, comme on le voit avec le cas allemand. Nous ne sommes pas ici pour ressasser les amertumes, – chacun peut faire, dans son coin et dans ses colonnes, et bon appétit ; nous sommes ici pour recenser, identifier et soutenir les opportunités potentielles et avérées.) L’intervention de Dotcom souligne et renforce l’idée de l’interconnectivité des crises, de la façon dont elles peuvent se soutenir et s’alimenter l’une l’autre. Cette interconnectivité permet d’élargir les problèmes pour leur donner la vraie dimension antiSystème qui convient, donc d’intéresser des publics différents à un même problème, alors qu’en temps normal une telle possibilité de synergie ne pourrait même pas s’envisager. Ainsi, de même que Snowden/NSA c’est bien plus que le problème de la NSA avec les cas de la surveillance et du contrôle, de même TPP-TTIP c’est bien plus que le problème TPP-TTIP avec le cas de l’hyper-libre-échangisme.


Mis en ligne le 14 janvier 2014 à 10H33