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5282• Les événements russes des 23-25 juin n’ont pas fini de faire parler d’eux. • La réalisation tactique de Poutine fut parfaite, se pose la question stratégique, sinon philosopphique. • Avec un texte d’Alexandre Douguine.
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Le philosophe Alexandre Douguine donne un texte court mais dense de commentaire sur les événements du 23-25 juin. Le philosophe avait, sur le moment, appelé au soutien total et inconditionnel du président Poutine contre la mutinerie, – malgré les réserves qu’il a toujours fait sur la politique de Poutine. Dans ce cas, il rejoignait effectivement une réaction quasi-unanime du monde politique et intellectuel des élites russes, partisans et adversaires de Poutine, devant le danger de l’insurrection.
Dans le texte présenté ici, et le danger immédiat passé, Douguine redevient philosophe et se fait beaucoup plus nuancé, divisant sa réflexion en deux voies. Il y a les bonnes choses que l’on peut faire dans les suites de ce choc terrible, et le choix de ne rien faire et de préparer la venue d’événements plus terribles.
Il faut remarquer que cette position est partagée, à sa façon bien sûr, par le commentateur M.K. Bhadrakumar, dont on a vu le 26 juin, la description de l’aventure Prigojine/Wagner. Dans un texte “pour suivre”, M.K. aborde une critique aigüe des situations et des pratiques que la crise a permis de mettre à jour, concernant certes Prigojine/Wagner mais qui semblerait bien concerner tout le “système des oligarques” en Russie. On voit ainsi chez Bhadrakumar une même pensée (même si pour des objectifs et selon des principes différents) que chez Douguine : le 24 juin est l’occasion immanquable de “faire quelque chose”...
« Dans ce contexte sordide [des pratiques de corruption des oligarques], la grande question est la suivante : la tentative de coup d’État de Prigojine n’était-elle pas en grande partie une crise qui attendait de se produire et que les services secrets occidentaux/ukrainiens ont exploitée ? Le cœur du problème est que les escroqueries suivent les oligarques russes comme leurs ombres, et Prigojine ne fait pas exception. Les autorités russes ne peuvent se laver les mains de cette honteuse réalité. [...]
» ...Par conséquent, fortuitement, l’héritage de Prigojine donne au Kremlin une raison impérieuse de nettoyer les écuries d’Augias. L’avenir nous dira si cela se produira ou non. »
Donc, comme on va le voir, Douguine présente un constat assez proche dans l’équilibre des satisfactions et des critiques, avec cette même incitation à “faire quelque chose”. Bien entendu, il introduit ici un apport considérable de ses conceptions philosophiques, et des références dont il les nourrit. Parmi ces références, il y a le concept de “passionnarité”, qui vient du philosophe Goumilev, et auquel Poutine lui-même serait très sensible.
Dans ce cas, nous citons une interview dans ‘Télérama’ du 20 mars 2022 du philosophe Michel Eltchaninoff, auteur de ‘Dans la tête de Vladimir Poutine’ (2015). Il s’agit d’une réponse complète à une question, la réponse explorant et expliquant effectivement le concept de “passionnarité” qui s’applique d’ailleurs en bonne part à la situation présente,, – l’enjeu étant de savoir si l’on va assez vite, si l’on va assez au fond des choses, si l’on comprend bien le concept, si le concept tel qu’il est expliqué est bien ce qu’il est, etc. L’interview de Eltcharinoff est fait d’une de ses propre phrases, et ceci constituant effectivement un argument souvent entendu ces derniers temps : « Avec sa ‘voie russe’, Poutine prépare un monde post-occidental » Voici donc le passage sur la “passionnarité” :
« Régulièrement cité, Lev Goumilev (1912-1992) apporte deux choses à Poutine : l’eurasisme, dont j’ai déjà parlé, et le concept de “passionnarité”, une idée pseudo-scientifique selon laquelle le peuple russe serait dépositaire d’une force vitale qui ne doit pas et ne peut pas être empêchée. L’Occident, en décadence, vieillissant, chercherait à entraver le déploiement de la Russie. Poutine adhère pleinement à cette idée, à laquelle il fait régulièrement référence. Il convient de souligner que ce n’est pas une théorie raciste. Il est très attentif à ne pas se fourvoyer dans un nationalisme ethnique russe, car il est à la tête d’un État plurinational et pluri-religieux. »
Place maintenant à Douguine, présentant son analyse du 24 juin et sa prospective après cet événement tragique. (L’original est sur ‘katehon.com’, la version française sur ‘euro-synergies.hautefort.com’.)
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J'ai remarqué que la conscience de nombreuses personnes ne peut tout simplement pas faire face aux événements du 24 juin dernier. C'est pourquoi ce qui fait tendance aujourd'hui et les commentaires suivants sont à la hausse: "ce n'est pas arrivé", "ce n'était pas réel", "ils l'ont fait exprès". C'est la seule façon d'endormir la douleur aiguë ressentie suite à ce qui s'est passé. Lorsqu'il s'agit de la réaction défensive d'une société au sens large qui n'est pas particulièrement immergée dans la sphère des significations - en l'occurrence les significations de la science politique - cela est compréhensible et acceptable: les gens cherchent des échappatoires pour maintenir la continuité du flux routinier de leur Lebenswelt, dans lequel les événements sont soit microscopiques, soit inexistants. Mais lorsque la même chose commence à être diffusée par ceux qui prétendent être sérieux et profonds dans leurs analyses, cela est tout simplement pathétique. En fait, la phase aiguë des événements du 24 juin a été résolue, mais rien n'est encore complètement terminé : il faut maintenant que les autorités prennent des mesures concrètes pour éclaircir le tableau, et alors seulement il y aura un minimum de clarté. En attendant, il est peut-être prématuré de commenter les significations inhérentes aux événements de ces tout derniers jours: comme le processus n'est pas achevé, le résultat peut être différent de ce que l'on imagine. Ce qui a commencé et se poursuit aura un sens à son terme, mais pas avant. Il n'y a pas grand-chose qui puisse se passer pendant le déroulement d'une chaîne d'événements aussi critique. Une analyse complète est encore à venir.
Mais ce qui s'est passé le 24 juin 2023 est la première manifestation d'une monstrueuse catastrophe en cours de déploiement. Il s'agit d'un accident survenu aux dépens l'État russe mais qui a été neutralisé au tout dernier moment et, en fait, à un prix très élevé.
Jusqu'à présent, le problème de la passionnarité s'est clairement manifesté. Lorsque cette passionnarité fait fatalement défaut au centre du système, elle commence à se concentrer spontanément à la périphérie. À un pôle, nous constatons un net excédent de passionnarité. Mais à l'autre, il y a un manque évident de cette vertu essentielle. Tel est, semble-t-il, le principal problème énergétique du pouvoir. Et il faut le résoudre. De toute urgence.
Selon la théorie des élites de Pareto, il s'agit en quelque sorte d'un conflit entre élites et contre-élites. Si l'élite, qui est déjà au pouvoir, ne possède pas un pouvoir suffisant passionnel, elle sera inévitablement renversée tôt ou tard par la contre-élite, qui n'est pas autorisée à accéder au pouvoir, mais qui possède un excès de qualités pour assumer le pouvoir.
Enfin, la question de la légalité et de la légitimité s'est posée avec acuité. Les rebelles ont radicalisé le problème, certes, mais, au fond, ils n'ont fait que le soulever. Il n'a toutefois pas été définitivement résolu. Mais il est désormais présent parmi nous, et il est impossible d'y échapper.
Il s'agit d'un point de basculement. Un point de bifurcation. En résumé, il existe deux scénarios décisionnels. Le bon et le mauvais. Il n'y a apparemment pas de bon scénario dans la situation actuelle, tout comme il n'y a tout simplement pas de mauvais scénario non plus. Un mauvais scénario se transformera instantanément en un scénario d'horreur.
Le bon scénario. Prendre des décisions concernant le personnel dans un certain nombre d'agences cruciales. Ici, presque tout est évident. Certains se sont révélés des héros, d'autres traîtres et lâches. Les héros incontestables sont Poutine et Loukachenko. Ce sont eux qui ont sauvé le pays, au bord du gouffre. Mais ceux qui ont rendu cette situation possible, qui l'ont facilitée, qui n'ont pas su l'empêcher et qui, lorsqu'elle a commencé, n'ont pas su y répondre de manière adéquate, devraient faire un adieu brutal aux affaires. Une telle décision renforcera la position du pouvoir suprême et rétablira le respect à son égard qui a été ébranlé, ainsi que la foi dans le pouvoir du véritable Souverain.
Mais il faut maintenant s'intéresser au programme général que Prigozhin s'est empressé de promulguer: la société manque cruellement de justice, d'honneur, de courage et d'intelligence dans ses élites. Ce manque est tel qu'il provoque déjà une véritable explosion. Alors pourquoi cette idée ne serait-elle pas reprise par les autorités elles-mêmes? Poutine est aujourd'hui (et a toujours été) dans une position où il peut le faire et il y parviendra certainement. Donc :
• assurer la rotation des élites,
• punir les lâches et les traîtres,
• récompenser les loyaux et les courageux,
• corriger l'idéologie et l'amener à la conscience patriotique, à la justice sociale et à une réelle inclusion de la société dans la guerre.
Moins de relations publiques, plus d'adéquation à la réalité. Et tout se mettra en place.
D'une manière générale, remplacer la réalité par les relations publiques est un mal absolu. Tôt ou tard, cette bulle éclatera et si, au lieu d'un système politique, nous n'avons qu'une grandiose fiction médiatique, le désastre est inévitable. Et surtout : les lois du mensonge nous amènent tôt ou tard à croire nos propres mensonges. C'est là la dernière étape. Après elle, c'est la fin.
Le scénario catastrophe. Laissez tout en l'état. Ne changez rien. Exclure des médias et de la blogosphère toute mention du 24 juin et de ses animateurs. Criminaliser tout appel au patriotisme en référence à la mutinerie. Mettre tout sur le dos de l'Occident et de ses machinations. Conclure en faveur du libéralisme et tout inonder de techniques de relations publiques et de discours de victoire.
Je ne vais pas vous faire peur, mais je vous suggère d'imaginer sobrement les conséquences d'une telle option, c'est-à-dire de l'absence de toute décision. C'est exactement ce qui était qui a conduit à ce qui s'est passé. Si rien n'est changé, la catastrophe se reproduira et cette fois, elle sera fatale.
Ceux qui ont un degré élevé de passionnarité gagnent. L'esprit gagne. Il y a des soldats et des guerriers. La tâche: réveiller les guerriers dans les soldats.
Malheur à nous si nous tirons la mauvaise leçon de la "master class".
Nous devons nous ressaisir maintenant. L'ennemi lance la deuxième vague d'attaque la plus puissante. Le seul moyen de vaincre l'insurrection wagnerienne est de devenir soi-même un Wagnerien.
Nous avons besoin d'une armée de gagnants.