Drôle de campagne, drôle de primaires, – ou la G4G de Ron Paul

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Nous n'avons fait qu’inverser le titre (de “Drôle de primaires, drôle de campagne”, à “Drôle de campagne, drôle de primaires”), par rapport à notre texte du 23 janvier 2012, parce que la chose ne cesse de se confirmer. Nous y ajoutons tout de même “la G4G de Ron Paul”, dont nous nous expliquerons plus loin.

On a donc eu aujourd’hui le résultat de l’élection primaire de Floride, avec un “retour” de Mitt Romney, à la grande satisfaction de l’establishment et des myriades de commentateurs de la presse-Système dont la robotisation dans l’analyse atteint un point proche de l’écœurement. Pour les résultats et les commentateurs conformes, voir le Guardian du 1er février 2012. (Sur la “mise en conformité-Système”, volontaire et systématique, de la presse londonienne de centre gauche à demi-frondeuse, qui eut parfois des audaces antiSystème parcellaires, il y a beaucoup à dire pour son illustration d’un regroupement général de toutes les forces plus ou moins liées au Système, pour sa défense, à la fois rapprochée et en profondeur, rendue nécessaire par sa situation de plus en plus inconfortable.)

Elément beaucoup plus intéressante dans cette primaire de Floride, comme on l’imagine, il y a l’absence totale de Ron Paul (il arrive quatrième et bon dernier avec 7% des voix en Floride). Paul figure-t-il encore dans la course ? Le sourire ironique est revenu à la plume des commentateurs-Système lorsque ce nom leur passe par la tête… Quoique, non, pas tous, – puisqu’il y a certaines citations dans un article de Russia Today du 1er février 2012, qui n’ironisent pas du tout à propos de la campagne électorale de Paul. RT explique longuement la stratégie de Ron Paul, que nous avions abordée dans ses très grandes lignes, qu’on retrouvait bien expliquée dans le Christian Science Monitor du 24 janvier 2012. L’intérêt du texte de RT se trouve notamment dans les divers avis recueillis, le plus remarquable étant celui de Karl Rove, l’homme qui a “fait” GW Bush et qui s’est toujours affirmé comme un impitoyable adversaire idéologique et statutaire (par rapport à l’establishment) de Ron Paul. Dans la citation, il reconnaît la validité de la stratégie de Ron Paul sur le terme («I think it's going to be an advantage of Ron Paul. He's been spending a lot of time on caucus states. His campaign manager announced this is going to be a big focus.»)

«As Mitt Romney and Newt Gingrich wait to see how their efforts in Florida will pay out before the results of Tuesday’s primary, Ron Paul has adopted a completely different and unconventional strategy that many say could be surprisingly successful.

»Weary of wasting time and resources in Florida where a Romney/Gingrich bout for the first place has been all up absolute, Texas Congressman Ron Paul has focused instead on caucus states further along the campaign trail. A victory in Florida secures all of the state’s 50 delegates for the winner, making it considered a winner-take-all match to many. Paul, on the other hand, is focusing elsewhere where he can collect more proportional representation by placing well in caucuses.

»This plan, say strategists, makes for a plan of attack that could be colossal for the rest of the contender's run in the contest. “I think it's going to be an advantage of Ron Paul,” Republican strategist Karl Rove explains to Greta Van Susteren. “He's been spending a lot of time on caucus states. His campaign manager announced this is going to be a big focus.”

»While the results of the Florida primary will have some impact on the Republican race, Paul has instead put his resources towards campaigning elsewhere, specifically in states where caucuses will occur in the next few weeks. Jesse Benton, the national campaign manager for Ron Paul’s 2012 run, acknowledges that this will indeed be key to the candidate’s continued success. In caucus states, says Benton, a win could collect a large number of delegates for the candidate which he will thus be able to rely on come time for the Republican National Convention this August. In an interview with the Wall Street Journal, Benton said the goal of the campaign is “to have a sizable chunk of delegates, enough to influence the platform and stop these big-government conservatives.”

»“We will be going to the caucus… states and we will be promoting the whole idea of getting more delegates, because that's the name of the game,” Paul himself said following the South Carolina primary. “I have been in this business of promoting this cause in the electoral process for a long time. At the beginning, I thought it was just going to be promotion of a cause. Then it dawned on me, if you win elections and win delegates, that's the way you promote a cause,” added the congressman.

»As Romney, Gingrich and Santorum prepare for a heated match in Florida, Paul has instead set his sights on locales like Nevada and Minnesota. “Both states present opportunities for a strong top-three showing in their upcoming caucuses,” Benton tells USA Today. “Ours is the only campaign with the resources, organization and stamina to defeat establishment candidate Mitt Romney in a 50-state race”…»

Il s’agit donc plus que jamais de la stratégie de la fable du lièvre (des lièvres) et de la tortue. Face à l’extraordinaire complexité du système électoral américaniste, que nous serions bien en peine d’expliquer mais que Ron Paul a l’air de connaître comme sa poche, l’intérêt de sa tentative est de tenter de briser les règles non écrites des primaires qui reposent sur l’effet immédiat et tonitruant, sur l’attaque massive de communication, Etat après Etat, ce qui suppose énormément d’argent et, par conséquent, l’influence majoritaire du corporate power comme condition sine qua non de toute candidature ayant une chance raisonnable de réussir. De ce point de vue, – et sans préjuger de sa réussite, – la stratégie de Ron Paul a un potentiel déstructurant pour le Système ; bien entendu, il n’est pas étonnant que Ron Paul ait un potentiel déstructurant, ce qui est sa raison d’être à bien des égards, mais que cette tendance pénètre même les arcanes du système électoral est un point particulièrement remarquable.

A côté de sa stratégie électorale, dont on verra bien le résultat mais qui ne semble nullement être jugée insensée par les spécialistes, Ron Paul, d’une façon générale et involontairement ou pas, est en train de montrer qu’on peut mettre en échec le système électoral US tel qu’il a été annexé et verrouillé par le corporate power. Celui que tout désignait comme devant être un “candidat populiste”, c’est-à-dire un candidat affrontant, grâce aux masses populaires qu’il arriverait à rassembler, les candidats du corporate power sur leur propre terrain, choisit pour conduire sa stratégie une tactique asymétrique qui est le contraire d’une “candidature populiste“ dans le sens habituel du terme. Il refuse le terrain de l’adversaire, il refuse de se battre “à armes égales” avec ses adversaires-Système (corporate) parce qu’il sait que les “armes égales” ne le sont pas, parce qu’il s’agit de fric, encore de fric et toujours de fric. En d’autres termes, plus théoriques et plus universels selon nos conceptions, Ron Paul conduit sa bataille selon les règles de la G4G (“guerre de quatrième génération”), résolument asymétrique, refusant les armes classiques et le terrain habituel de l’affrontement qui sont évidemment maîtrisés par l’adversaire. De la pure stratégie antiSystème, comme l’est toute application bien comprise de la G4G.


Mis en ligne le 1er février 2012 à 17H14