Du Buy American Act à la bureaucratie US, en passant par le Financial Times

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Du Buy American Act à la bureaucratie US, en passant par le Financial Times


9 novembre 2003 — Le Financial Times du 8 novembre annonce qu’un accord a été trouvé dans l’affaire du Buy American Act (concernant les armements) du député Hunter. La formulation de l’article est particulièrement révélatrice des intentions de l’auteur, ou, plutôt, des informateurs et des éditeurs du FT dans ce cas, et cet ensemble représente un exemple époustouflant de cynisme d’une tentative de désinformation, un exemple à faire figurer dans les écoles de journalisme. (Par ailleurs, l’article apparaît dans son texte complet, dans notre rubrique Nos choix commentés, ce jour. D’autre part, nous avons déjà parlé de cette affaire du Buy American Act, notamment dans notre F&C du 5 octobre.)

Après avoir mené une campagne alarmiste dans cette affaire, le FT a été convaincu de modifier cette approche initiale au profit d’une autre qu’on pourrait qualifier, pour paraphraser la dialectique courante, d’“apeasement”. Il est très probable, comme le suggèrent certaines sources européennes, que le FT a reçu des apaisements (le mot est ironiquement à sa place) d’interlocuteurs américains sur le traitement qui serait réservé aux Britanniques, notamment dans le cas du JSF. Tout cela, de même que la Buy American soi-disant nouvelle version, n’implique évidemment aucun engagement réel et les Britanniques, JSF ou pas, seront passés à la moulinette comme les autres, comme d’habitude.

On observe dans le cas de l’article du FT une succession d’affirmations qui exposent évidemment la fraude intellectuelle patente :

• Un titre qui dit une chose catégorique  : « ’Buy America’ provision is dropped from US bill » (la disposition Buy America est supprimée).

• Cela est immédiatement suivi d’un début de l’article qui dit une chose un peu moins catégorique : « A controversial proposal that would have forced the Pentagon to buy all essential weapons parts from US manufacturers has in effect been dropped from legislation ». (Cette fois, on affirme que la Buy American est “supprimée” dans ses effets ...)

• Enfin, on revient à la réalité un peu plus loin, qui est beaucoup plus incertaine. Cette réalité telle que transcrite dans le FT, qui ne peut tout de même écrire des choses fausses jusqu’au bout, est qu’il existera une disposition Buy American, qu’elle propose certaines dispositions qui sont présentées avantageusement comme n’ayant plus le caractère contraignant de la première mouture de la loi,  —ce qui est une pure interprétation avec laquelle nous sommes en profond désaccord, avec toute l’histoire des relations transatlantiques dans le domaine de la coopération des armements pour justifier ce désaccord. Voici ce que consent enfin à nous dire le FT  :


« House and Senate negotiators kept a Buy America provision in the final defence bill, but it has lost its teeth. Buy America now only directs the Pentagon to assess the ability of US manufacturers to produce military systems and creates a fund to support them. It also creates an incentive programme to encourage defence contractors to use US machine tools. But it no longer requires the Pentagon to favour US manufacturers. »


Il s’agit évidemment d’un cas manifeste d’une grossière tentative de désinformation. Sur le fond, on pourra imaginer ce que donneront ces nouvelles législations, qui constituent rien de moins que des programmes de subvention de type protectionniste, soutenant l’industrie américaine. L’“esprit de la loi” est plus que jamais présent et il aura les effets qu’on imagine sur ceux qui seront chargés d’appliquer la loi. Il s’agit, en plus des dispositions directes, d’un encouragement indirect manifeste fait aux forces protectionnistes et unilatéralistes.

Enfin, on imagine l’effet sur la bureaucratie du Pentagone, notamment à la lumière du texte sur l’attitude de la bureaucratie que nous publions par ailleurs, en même temps que le texte complet du FT. Tout est en place pour que s’exerce effectivement une pression protectionniste qui sera dissimulée derrière l’habituelle phraséologie juridique, si constante au Congrès et au Pentagone pour ces matières.

La grossièreté de ce qui ne peut même pas être appelé un “montage” indique sans la moindre doute la pression existante, autant sur les milieux transatlantiques que sur les Britanniques, pour tenter de faire apprécier d’un oeil idyllique ce qui est effectivement une tendance désormais sérieuse : une version de Buy American est en place, elle sera appliquée au millimètre, ce qui implique une contrainte de facto protectionniste d’une phénoménale puissance. Nous avançons même l’hypothèse que Hunter reviendra à la charge l’année prochaine, dans une année électorale propice à la radicalisation, pour durcir encore le texte de la loi.

(Accessoirement, cette affaire met en évidence le comportement habituel de la presse anglo-saxonne, notamment libérale et libre-échangiste. Le FT est le “journal de référence” international. Dans cette circonstance, ce qui le distingue de la Pravda du temps jadis où nous portions haut notre vertu libérale, c’est la couleur saumon de son papier.)

Concernant les pratiques de la bureaucratie dont nous parlons, nous nous référons à un texte de Defense News effectivement publié par ailleurs par nos soins. Ce texte met en évidence, à partir d’un séminaire d’experts sur la question, l’extraordinaire puissance de la bureaucratie militaire US, et l’extraordinaire tendance de cette bureaucratie à écarter tout ce qui peut conduire à des transferts de technologies US. Il s’agit d’une attitude qui contribue à bloquer effectivement toute coopération transatlantique, et cette attitude sera évidement formidablement renforcée par “l’esprit de la loi” qui accompagne Buy American telle qu’elle apparaît dans la loi de programmation militaire 2004.

Voici quelques remarques extraites de ce texte de Defense News :


« Effective trans-Atlantic defense cooperation is doomed without the sustained attention of senior American policy officials to convince the vast defense bureaucracy of the need to share sensitive technologies with U.S. allies, a panel of defense experts said Nov. 4 in Washington.

» Though U.S. President George W. Bush has decreed that closer defense ties and sharing of technology with European allies is the American policy, “getting [the] policy implemented in the bowels of the bureaucracy is the real problem,” said George Sevier, deputy director of the Pentagon’s Defense Technology Security Administration (DTSA), addressing a conference.

» Career bureaucrats in the Pentagon are reluctant to sign off on licenses for the export of sensitive technologies, fearing it would hurt U.S. national security in the long term, Sevier said. “ ‘I can’t look like the giveaway artist’ is what I hear all the time” from midlevel defense officials, he said. »