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22 août 2004 — Un livre a fait grand bruit à Washington ces dernières semaines : Imperial Hubris: Why the West is Losing the War on Terror. Il était présenté sous la signature d’un anonyme, par ailleurs identifié comme un officier de la CIA. La publication était sans précédent puisque “Anonymus” était toujours en service actif dans la CIA. Le livre vient d’être publié à Londres alors que le nom de l’auteur commençait à être rendu public, notamment dans le Guardian du 20 août où Mike Scheuer (c’est le nom d’Anonymous) donne sa dernière interview d’“anonyme” avant de devoir se soumettre à une procédure nouvelle imposée par l’Agence à cause de la publicité donnée à son nom. Dans tous les cas, ces dernières circonstances rendent la publication de son livre encore plus exceptionnelle.
Anonymous/Scheuer donne une vision extraordinairement critique de la gestion des affaires anti-terroristes par les deux administrations successives, — Clinton et (surtout) GW Bush. Il montre que Ben Laden aurait pu aisément être arrêté, l’attaque du 11 septembre empêchée, etc. Il montre les faiblesses et les contradictions de l’attaque contre l’Irak et condamne de façon particulièrement sévère la guerre contre l’Irak.
« There are a lot of angry spies at Langley, and one of the angriest is Mike Scheuer, a senior intelligence officer who led the Bin Laden station for four years. While some of his colleagues have vented their frustrations through leaks, Scheuer has done what no serving American intelligence official has ever done — published a book-length attack on the establishment.
» His book, Imperial Hubris: Why the West is Losing the War on Terror, is a fire-breathing denunciation of US counter-terrorism policy. In it, Scheuer addresses the missed opportunities of the Clinton era, but he reserves his most withering attack for the Bush administration's war in Iraq. He describes the invasion as “an avaricious, premeditated, unprovoked war against a foe who posed no immediate threat but whose defeat did offer economic advantage”. He even goes so far as to call on America's generals to resign rather than execute orders that “they know [...] will produce more, not less, danger to their nation''. Bin Laden, he believes, is not a lonely maverick, but draws support from much of the Islamic world, which resents the US not for what it is, but for what it does — supporting Israel almost uncritically, propping up corrupt regimes in the Arab world, garrisoning troops on the Saudi peninsula near Islam's most holy sites to safeguard access to cheap oil.
» “America ought to do what's in America's interests, and those interests are not served by being dependent on oil in the Middle East and by giving an open hand to the Israelis,” Scheuer argues. “If we're less open-handed to Israel over time we can cut down Bin Laden's ability to grow. Right now he has unlimited potential for growing.” What makes these comments the more challenging to the Bush administration is that they come from a self-described conservative and instinctive Republican voter.
» It seems extraordinary that Scheuer's bosses allowed him to publish his book at all. They had already permitted him one book, Through Our Enemies' Eyes, written anonymously, but that was a more analytical work on Bin Laden and al-Qaida. Imperial Hubris is altogether different: a bitter polemic against orthodoxy and the powers that be.
» Scheuer was given the green light only on condition that he stuck to a set of ground rules: he would continue to write as Anonymous, he would not reveal his job or employer, and he would refer only to information that is already “open source” — ie in the public domain. Inevitably, however, given the controversy surrounding the book, his identity has been leaked (first by a liberal weekly, the Boston Phoenix, then this week by the New York Times). Even now, he sticks closely to his employers' guidelines, refusing formally to confirm his identity, while describing his employers vaguely as “the intelligence community”. (It is for this reason that he is not permitted by the CIA to be photographed except in silhouette.) Having initially been allowed to give media interviews to promote his book, Scheuer was told earlier this month that he has to ask permission for every interview and to submit an outline of what he is going to say. So far, no interviews have been granted under the new guidelines. »
Le livre de Anonymous/Scheuer est passionnant également parce qu’il confirme de façon éclatante plusieurs caractéristiques de la situation du système washingtonien et américaniste, d’une façon qu’on peut juger complètement irréfutable.
• L’absence désormais évidente et consentie de discipline à l’égard d’une éventuelle loyauté au gouvernement, c’est-à-dire au système, c’est-à-dire à l’américanisme. Quelle que soit l’éventuelle noblesse des sentiments de Anonymous/Scheuer, le fait est qu’il est intervenu d’une façon structurée, publique, et bientôt officielle, avec son nom révélé, sans que la hiérarchie de l’Agence prenne quelque mesure que ce soit. C’est comme si la CIA avait publié Anonymous/Scheuer, c’est-à-dire prenait à son compte tout ce qu’il a dit. (Le nouveau directeur de la CIA, Goss, — nomination sans vergogne d’un homme du clan Cheney, — va tenter de changer cela au profit du clan dont il dépend. On lui souhaite bonne chance, car la CIA est, aujourd’hui, quasiment en état d’insurrection.)
• L’incapacité de l’administration centrale de riposter à ces insurrections type-CIA. Anonymous/Scheuer a publié, a donné des interviews, est devenu public et identifié sans que la moindre mesure ait été prise contre lui. L’administration elle-même n’a pas réagi officiellement. Sans doute Anonymous/Scheuer va-t-il être désormais, sous l’administration de Goss, l’objet d’attaques et de pressions sévères, — et encore, ce n’est pas évident. De toutes les façons, les pires choses qu’il pourrait subir serait d’être l’objet d’une guerre bureaucratique où lui-même trouverait des alliés ; en aucun cas, aucune action officielle n’est prévue contre un officier de la CIA qui a pris bien des libertés avec les règlements implicites du service public et de son “devoir de réserve”. L’explication est simple, il n’y a plus ni règles, ni service public, ni “devoir de réserve” à Washington. C’est du chacun pour soi, et chaque agence, chaque département pour ses intérêts contre le reste.
• Et tout cela, pour rendre publique une critique extraordinairement acerbe du gouvernement et de sa politique : « But even if the US scores some significant victories against al-Qaida, Scheuer believes the conflict with Islamic extremism will continue to spiral without a fundamental rethink of US priorities in Iraq and a relationship with Israel that “drains resources, earns Muslim hatred and serves no vital US national interest”. It is a depressingly pessimistic assessment. Ultimately, “we only have the choice between war and endless war.” »
Il n’y a pas de réponse à donner aux critiques d’Anonymous/Scheuer. Comme chacun peut le découvrir chaque jour, il n’y a aucune politique irakienne , aucune politique contre la terreur, rien qu’une tendance générale, un emprisonnement dans une nécessité d’action sans fin (« endless war », selon Anonymous/Scheuer). A contrario, Anonymous/Scheuer met bien en évidence l’absence de réalité structurée dans les événements actuels, indirectement il démonte et confirme l’existence d’un univers virtualiste. Aujourd’hui, à bout d’arguments puisqu’ils sont confrontés aux catastrophiques échecs de la politique militariste menée depuis le 11 septembre 2001, les politiciens du système en sont réduits à l’argument ultime : la peur la plus primaire.
Dans le Guardian du 16 août, John Harris dénonce la rhétorique qui tient aujourd’hui de politique complètement nihiliste (puisque sans le moindre but sinon de maintenir l’état actuel des choses pour ne pas se trouver confronté à ses erreurs et à ses manipulations diverses des trois dernières années) : « Be afraid, be very afraid, — Cold war nostalgists are stoking fear because, to them, life without dread of imminent apocalypse is no life at all. »
Il s’agit donc, à partir d’un discours d’un parlementaire travailliste comme d’autres, Bruce George, de la dialectique nihiliste dans laquelle sont tombés les derniers partisans de la guerre contre la terreur, — dialectique nihiliste sans but, sans objectif, sans ambition, suivie simplement par les dirigeants du système pour durer le plus longtemps possible là où ils sont. C’est dans tous les cas de cette façon qu’on observera, plus tard, ce genre d’agitation, qui n’est certainement pas du Big Brother ou du 1984, mais de la caricature de Prisunic de Big Brother et de 1984. Il est dans un sens assez fascinant de voir à quel niveau les élites occidentales sont tombées, derrière des dirigeants tels que Blair et Bush, pour pouvoir exister encore dans un semblant de leur fonction. Sans doute croient-ils par instants à ce qu’ils disent, pour pouvoir se supporter eux-mêmes, et sans doute effraient-ils par instants leurs électeurs, le temps d’un discours ou d’une alerte fabriquée de toutes pièces. Pour le reste, le monde des dirigeants occidentaux, précisément anglo-saxons, est bien plus à l’image du chaos que nous décrit involontairement, c’est-à-dire par le simple fait d’exister, de publier et de parler, Anonymous/Scheuer. Un cynique dirait qu’il est temps qu’une attaque terroriste redonne un peu de vigueur à tout cela.
Quelques observations de John Harris :
« Bruce George, the Labour MP and outgoing president of the Organisation for Security and Cooperation in Europe Parliamentary Assembly, addressed its annual session in Edinburgh last month. Terrorism, inevitably, was on his mind. “The cold war was dangerous because one bomb could have finished off Scotland,” he said, “but it was an unrealistic threat because both sides were intimidated by each other into not using those weapons. You could rely on the Americans and Soviets being rational, but you cannot rely on these super terrorists negotiating or having any legitimate values. Their aim is to control the world, and that is not a negotiating position.” »
» He seemed to be claiming that all those postwar nuclear nightmares were misplaced, and such trifles as the Cuban missile crisis and President Reagan's imagined limited nuclear war in Europe had probably been nothing to worry about — but now that al-Qaida was here, we had genuine reason to be scared out of our wits. One could even discern a backhanded glee: at last, proper enemies.
» If George was attempting to differentiate between the nuclear fears of yore and alarm about al-Qaida, his words served to imply a strange kind of continuity. “Their aim is to control the world” — in the minds of the more hot-headed cold warriors, wasn't that exactly what the Soviets were plotting? The speech was another example of this summer's most fashionable manoeuvre: the rolling-out of age-old archetypes by cold war nostalgists who are convinced that a life without fear of imminent apocalypse is no life at all. »