Du choix du feu au global warming

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Du choix du feu au global warming

Une étude statistique et historique conduite par un groupe de chercheurs nous donne une image intéressante du rôle et des responsabilités de diverses entités dans le phénomène d’émission des gaz à effets de serre (global warming). Les résultats de cette étude, qui devrait être publiés dans la revue Climatic Change, sont succinctement présentés dans le Guardian de ce 21 novembre 2013. Bien entendu, ce qui est présenté sous le vocable de global warming et, par extension, de “crise climatique”, doit être pris selon notre perception comme le composant fondamental de ce que nous nommons selon l’usage “crise de l’environnement” ou “crise du monde“, et cela couvrant la période commencée dans notre rangement par l’épisode du “déchaînement de la Matière”, situé historiquement et métahistoriquement à la charnière 1776-1825 et correspondant à ce que nombre de scientifique voudraient voir figurer comme le début d’une nouvelle ère géologique, l’anthropocène. (Le dernier texte référencé sur ce site, avec un extrait de La Grâce de l’Histoire présentant ce concept d’anthropocène, date du 4 novembre 2013.)

L’étude présentée par le Guardian englobe la période allant de 1751 à nos jours, donc couvrant effectivement la période considérée. Les chercheurs estiment le total de ce qui est nommé “industriel emissions”, soit l’émission des gaz à effet de serre et, d’une façon générale, les émissions découlant de l’activité industrielle dans l’atmosphère, à 1 450 gigatonnes (un gigatonne désignant la mesure d’un milliard de tonnes). L’étude permet de mettre en évidence les responsabilités directes, qui sont concentrées notamment sur 90 compagnies (groupes), responsables de près de deux tiers des “industriel emissions”, alors qu’on observe que la moitié de ces 1 450 gigatonnes a été émise dans les dernières vingt-cinq années. A cette date, le processus de globalisation dans sa phase actuelle était largement entamé et la responsabilité de la délégation des pouvoirs du secteur public vers le secteur privé également ; d’autre part l’identification précise et l’urgence de ce qui devint rapidement l’ensemble “crise du monde”/crise de l’environnement, sous la forme de la question du global warming, étaient d’ores et déjà avérées. Par conséquent, tout cela s’est poursuivi et s’est accéléré exponentiellement en toute connaissance de cause : on ne peut être plus clair.

Ce qui apparaît évident avec cette étude, c’est le nombre réduit d’entités responsables du désastre métahistorique («“There are thousands of oil, gas and coal producers in the world,” climate researcher and author Richard Heede at the Climate Accountability Institute in Colorado said. “But the decision makers, the CEOs, or the ministers of coal and oil if you narrow it down to just one person, they could all fit on a Greyhound bus or two.”») Ainsi le “règne de la quantité” caractérisant la modernité (voir René Guénon), évident par la puissance et l’énormité des actes commis, et par leur accélération exponentielle également, conduit également à une appréciation qualitative, ou sélective, extrêmement précise, – la racine “qualité” du mot “qualitative” devant être prise dans un sens d’une inversion quasiment parfaite de ce qu’implique selon l'usage général le concept du point de vue de sa signification éthique.

«Between them, the 90 companies on the list of top emitters produced 63% of the cumulative global emissions of industrial carbon dioxide and methane between 1751 to 2010, amounting to about 914 gigatonne CO2 emissions, according to the research. All but seven of the 90 were energy companies producing oil, gas and coal. The remaining seven were cement manufacturers. The list of 90 companies included 50 investor-owned firms – mainly oil companies with widely recognised names such as Chevron, Exxon, BP , and Royal Dutch Shell and coal producers such as British Coal Corp, Peabody Energy and BHP Billiton. Some 31 of the companies that made the list were state-owned companies such as Saudi Arabia's Saudi Aramco, Russia's Gazprom and Norway's Statoil. Nine were government run industries, producing mainly coal in countries such as China, the former Soviet Union, North Korea and Poland... [...]

»The largest of the investor-owned companies were responsible for an outsized share of emissions. Nearly 30% of emissions were produced just by the top 20 companies, the research found. By Heede's calculation, government-run oil and coal companies in the former Soviet Union produced more greenhouse gas emissions than any other entity – just under 8.9% of the total produced over time. China came a close second with its government-run entities accounting for 8.6% of total global emissions. ChevronTexaco was the leading emitter among investor-owned companies, causing 3.5% of greenhouse gas emissions to date, with Exxon not far behind at 3.2%. In third place, BP caused 2.5% of global emissions to date.»

L’intérêt de l’étude est sans aucun doute son caractère global, hors des appréciations nationales, fragmentées, idéologiquement influencées, hors des particularismes, des engagements, etc. L’image qui nous en est restituée est par conséquent globale, concernant par conséquent toute la scène du monde pour la période considérée, permettant par conséquent de passer du stade documentaire ou polémique, au stade civilisationnel, métahistorique. Cette étude apporte une documentation intéressante sur l’opérationnalisation de l’appréciation métahistorique qu’on doit porter sur le phénomène considéré, pour bien l’embrasser. (En annexe de la citation ci-dessous, une précision concernant la campagne dite-climategate dans sa partie “financement”. Cet aspect n’implique nullement un jugement sur les thèses développées durant cette campagne, – jugement qui ne nous intéresse pas pour notre propos, – mais une appréciation documentaire sans surprise sur “qui fait quoi”.)

«“It seemed like maybe this could break the logjam,” said Naomi Oreskes, professor of the history of science at Harvard. “There are all kinds of countries that have produced a tremendous amount of historical emissions that we do not normally talk about. We do not normally talk about Mexico or Poland or Venezuela. So then it's not just rich v poor, it is also producers v consumers, and resource rich v resource poor.” Meanwhile, Oreskes, who has written extensively about corporate-funded climate denial, noted that several of the top companies on the list had funded the climate denial movement. “For me one of the most interesting things to think about was the overlap of large scale producers and the funding of disinformation campaigns, and how that has delayed action,” she said.»

Il n’empêche, malgré cette volonté de globaliser l’étude de la question, on retombe toujours sur les usual suspect qui s’avèrent être les bons, – mais, vraiment, aucune surprise de ce point de vue. Le principal responsable, dans le chef de la plupart des grands groupes qui sont de l’origine qu’on sait, est la conception anglo-saxonne du monde, avec les acteurs fondamentaux de l’anglo-saxonisme. (Dans ce cas, le fait que ces acteurs soient des entités privées n’exonère en rien les gouvernements des pays, et de la conception par conséquent, dont ils sont issus. On sait que ces gouvernements ont constamment favorisé le domaine privé dans cette entreprise, ignorant les attributs et les responsabilités de la dimension régalienne d’un vrai gouvernement, et d'ailleurs n’en disposant simplement pas dans le cas des USA.)

Une responsabilité également à mentionner est celle des régimes communistes totalitaires du XXème siècle, qui ont effectivement développé une industrialisation à outrance sans le moindre intérêt pour les effets sur la situation du monde, intégrant par là même la dimension principale de leur doctrine de même substance que la conception anglo-saxonne, qui est aussi la dimension principale de la modernité : la volonté de disposer de la nature du monde, de la maîtriser, de la modifier à son gré, pour pouvoir faire avancer le “Progrès” qui est le moteur grondant de la modernité. Cela est promptement résumé, d’un point de vue fondamental pour la position de l’espèce (celle du sapiens par rapport au monde [à la nature]), par ces remarques du professeur Aldo Schiavone, qu’on trouve citées dans un extrait de La Grâce, dans le texte déjà référencé (du 4 novembre 2013) : «“On ne possède rien rationnellement, que l’on n’ait directement produit”, écrit Aldo Schiavone, qui pose alors cet axiome fondamental pour son parti : “le vrai est seulement ce que l’on a fait”» Cela signifie par conséquent que la vérité de notre civilisation est notamment (!) représentée par ces 1 450 gigatonnes répandues dans l’atmosphère depuis 1751, dont la moitié depuis 1988, et la catastrophe qui va avec idem. Mais, nous dira-t-on, et Schiavone aussi probablement, attendez un peu car la science moderne et le Progrès trouveront sans aucun doute, grâce à leur accointances avec le technologisme-miracle, un remède, c’est-à-dire une simple “correction” après tout, à la course en cours, qui résoudra tous nos problèmes en séparant le bon grain de l’ivraie et en liquidant le second, – comme ils ont toujours fait jusqu’ici, conclut-on pour verrouiller l’argument. Une remarque dans le texte du Guardian nous pousse à pondérer cette intéressante prédiction, pour ceux dans tous les cas qui prêteraient encore attention à elle (l’“intéressante prédiction”) : «Many of the same companies are also sitting on substantial reserves of fossil fuel which – if they are burned – puts the world at even greater risk of dangerous climate change.»

Cette étude nous confirme bien entendu dans l’approche suivie pour notre rangement des événements, avec notamment le secours du travail d’Alain Gras (son livre Le choix du feu) faisant un historique du choix de la thermodynamique comme fournisseur d’énergie aux ambitions industrielles et technologiques de la contre-civilisation qui émergea du “déchaînement de la Matière”, avec sa constitution rapide en une entité opérationnelle (le Système). Elle nous confirme également, cette étude, que le temps des appréciations réformistes est définitivement clos, que le Système, dans sa composante industrielle ici mais le constat vaut pour tout, est ainsi structuré et orienté qu’il ne souffre aucun amendement et entend poursuivre sa course actuelle dans le sens déjà suivi, sans aucun frein, sans aucun ralentissement, sans aucune précaution, mais au contraire en accélérant exponentiellement le rythme de la production des choses monstrueuses qui détruisent le monde. Il s’agit de sa nature même et l’identification des principaux acteurs-Système que nous donne cette étude nous permet de conforter ces constats. De même, la seule conclusion est qu’il n’y a d’autres conclusion possible que la destruction du Système, – autre idée qui ne cesse de se répandre (voir le 31 octobre 2013). Bien entendu, viendraient aussitôt les réserves poids lourd (“mais comment vaincre cette puissance invincible ?”, “que mettre à la place si l’on détruit le Système ?”) ; on connaît notre position là-dessus, partout rappelée sur ce site, – le concept d'“autodestruction” dans l'équation surpuissance-autodestruction et l’image du noyé à cause de son armure de métal (voir le 13 novembre 2013) font l'affaire.

 

Mise en ligne le 21 novembre 2013 à 07H18