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2361Le moins que l’on puisse dire, c’est que le Système s’y entend pour dramatiser les choses, et comme par ailleurs les choses restent ce qu’elles sont, cela nous donne une production constante de type tragédie-bouffe. Certains nous affirmeront qu’il s’agit soit d’annihiler tout type de résistance en grossissant monstrueusement le danger, d’autres qu’il s’agit d’instituer une sorte de dictature militaro-démocratique, après être passé par le stade de la “dictature policière-démocratique”. Certes, certes, nous sommes tous des manipulés, mais tout de même le degré d’agitation de la communication pour nous faire prendre des vessies pour des lanternes, ou des Trump-Le Pen pour des Hitler 2.0 et 3.0, rend compte du côté du producteur (le Système) d’une fébrilité considérable et inquiétante, surtout lorsqu’elle est doublée d’une vision obsessionnelle qui est plutôt du domaine du psychiatre que de celui du commentateur... Le résultat, pour l’avantage du camp du Système, est très loin d’être convaincant, d’autant qu’on nous serine la même terrible perspective depuis 9/11 (plus de 15 ans déjà) et que nous ne voyons s’empiler que catastrophe sur catastrophe (pour le Système, – mais sans doute s’agit-il là d’une ruse de plus venue de son sac à malices).
Quoi qu’il en soit, rendons grâce au site WSWS.org, qui est toujours bien fait au niveau de la synthèse une fois que l’on a trouvé la formule pour annihiler mentalement les deux ou trois paragraphes de l’immuable doxa trotskiste de type “travailleuses, travailleurs” (à-la-Laguiller) suivie des dénonciations d’usage des personnages de la scène politique, dont la description calamiteuse reste un régal de conformisme en nous renvoyant au “bon vieux temps” des agitations bolchéviques... Rendons-lui grâce parce qu’il a su publier en même temps, sans nécessairement faire le rapprochement que nous faisons, deux articles sur deux productions des phantasmes-simulacres du Système, sur la nécessité d’une action d’un type assez nouveau que nous qualifierions de type-“putsch militaro-démocratique” ; cela concerne cette sorte de putsch, tel qu’il aurait été préparé et non-exécuté (en France, en cas de victoire de Le Pen) et tel qu’il faudrait le préparer et l’exécuter (aux USA, pour destituer Trump par la force démocratique, ou l’illégalité devenue légalité par “la sagesse”). Nous nous permettons de reprendre ces deux articles, en français, pour qu’on puisse mesurer la concordance chronologique sinon ontologique des projets qui n’est certainement pas, selon nous, le fruit d’une coordination complotiste (il n’y a pas de “complot” lorsqu’on rétablit par l’illégalité la légalité-Système), mais plutôt le fruit naturel de cette obsession fébrile que nous signalions plus haut, avec en plus l’hystérie-panique des exécutants terrestres de la chose.
C’est le 19 mai que WSWS.org a publié d’une part la traduction française d’un texte reprenant les informations de L’Obs sur le putsch militaro-démocratique qu’aurait préparé le brillant exécutif socialiste sortant en cas de victoire de Le Pen ; et, d’autre part, l’original anglais (publié en français le 20 mai 2017, version que nous reprenons) sur les recommandations faites au ministre US de la défense de préparer une intervention de ses forces pour déposer, dans un style-samba très latino-américain, le simulacre de président néanmoins traître à la solde des Russes qu’est Donald Trump. Nous nous attacherons surtout au second cas, le premier ayant été publié et commenté en France quoiqu’avec mesure, et notant par ailleurs qu’il est assez précisément synthétisé par WSWS.org, avec les anathèmes trotskistes en plus. Nous laissons donc de côté le “ce qui se serait passé si...”, qui semblerait justifier ceux qui ont aimablement expliqué la catastrophique campagne de Marine au second tour par une crainte panique d’une éventuelle victoire la précipitant dans une situation absolument inextricable.
Le second texte (premier par ordre de publication ci-dessous) est plus intéressant parce que portant sur la possibilité d’événements à venir, et qui plus est exposés publiquement, sous la forme d’un article extraordinaire et surréaliste d’un chroniqueur-Système inoxydable (Nicolas Kristof), de l’impayable New York Times qui laisse loin derrière lui l’aimable impertinence du Charlie-Hebdo du temps d’avant. Avec le WaPo, le NYT représente une version surréaliste et postmoderne d’une Pravda avec le fun américaniste en plus, comme on le lit avec cette chronique de Kristof. (Lequel Kristof n’est pas le premier pour cette idée de l’appel aux militaires. Le finaud Tom Friedman avait fait un texte dans ce genre en mars dernier, mais notablement moins précis.)
La référence de Kristof est aujourd’hui universellement célébrée : c’est celle de Schlesinger, secrétaire à la défense en 1974, qui grommela lors d’une interview dans les années 1990 qu’il avait, lors de la période menant à la démission de Nixon (août 1974), rappelé à ses divers services et aux forces armées que tous les ordres les concernant devaient transiter par lui, y compris ceux qui seraient venus du président. C’est d’ailleurs la procédure normale de “la chaîne de commandement” mais, dans la circonstance, la confidence fut aussitôt interprétée comme une mesure prise contre Nixon qui se trouvait dans un état de grande confusion psychologique. (Quant à la version de Kristof selon laquelle Schlesinger «a[vait] préparé des plans secrets pour déployer des troupes à Washington en cas de problèmes avec la succession présidentielle», elle est purement spéculative dans une occurrence où rien de précis n’a jamais été développé ; d’autres versions disent qu’il y avait surtout une crainte que certaines unités et corps, dont une unité de Marines stationnée près de Washington d’une part et d’autre part l’USAF qui avait apprécié le rôle qui lui avait été permis de jouer au Vietnam en 1969-1973, prennent fait et cause pour Nixon en cas de trouble.)
Ce qui importe dans ce cas, et là on se trouve dans le même courant de pensée que la version française, c’est l’idée que la légalité n’a plus de valeur principielle mais devient une question d’appréciation laissée à la morale-Système des observateurs. L’appréciation de Kristof sur le comportement supposé de Schlesinger dit tout : c’était un comportement « inconstitutionnel. Et sage. » La légalité est appréciée à l’aune de “la sagesse” et nullement du principe, et d’une “sagesse” qui est elle-même définie par le seul Système. Il s’agit, poussée à l’extrême des affrontements armés pour la prise du pouvoir, de la même logique décrétant que le Système est comptable de tout, qu’il est Légitimité lui-même, comme il est “la sagesse” et parce qu’il est “la sagesse” selon l’argument des commentateurs-Système, raisonnant naturellement comme des zombies-Système selon les impulsions qu’ils perçoivent du Système.
... Ce qui importe encore plus, toujours dans ce cas avec le vis-à-vis français, c’est le constat de l’extrémité où se trouvent les zombies-Système face à des situations de “menace” qu’ils maîtrisent pourtant parfaitement. Dans les deux cas envisagés, l’un ayant une possibilité très faible de s’accomplir et ne s’étant pas accompli, l’autre s’étant accompli dans des conditions chaotiques qui paralysent complètement l’acteur honni, la “menace” est extrêmement faible d’une action dangereuse contre le Système. Pourtant, les réactions potentielles, du moins dans le domaine spéculatif de la communication, sont extraordinairement puissantes et peuvent susciter des situations nouvelles complètement incontrôlables. Le résultat est effectivement, comme nous le constatons souvent, un désordre en constante aggravation en même temps qu’un affaiblissement accéléré de la légitimité du pouvoir en tant que tel (quel que soit celui ou celle qui l’assume).
Ce dernier cas ne signifie nullement, au contraire de ce que dit la rationalité pour tenter de tout régler par la raison subvertie, y compris par les références complotistes, une victoire du pouvoir supranational de la “globalisation”. Il n’y a pas de vases communicants entre les deux, entre le pouvoir national et souverain qui s’affaiblirait au profit d’un accroissement du pouvoir supranational. Il faut au contraire un pouvoir national fort, parfois même un pouvoir de terreur [policière ou psychologique] pour briser la souveraineté au profit d’un pouvoir supranational ; sinon l’on obtient le désordre, pour le pouvoir national certes, mais encore plus pour le pouvoir supranational qui n’a pas une souveraineté naturelle. Nous parlons d’une situation où c’est le principe, la légitimité du pouvoir en soi qui est érodé dramatiquement, et c’est bien le Système qui en est affaibli puisque c’est lui qui a confisqué le pouvoir et qui est prêt à tout, – y compris au “putsch militaro-démocratique”, – pour le conserver ou pour le reprendre alors qu’il (le pouvoir) ne lui a pas vraiment échappé.
Nous vivons, dans le champ déterminé par le Système, dans une situation générale de simulacre, où n’existe plus aucune ontologie selon le classement établi par Platon : le Russiagate est un simulacre, comme l’est la “menace-Le Pen” au deuxième tour. Seuls y échappent ceux qui ont conscience qu’il s’agit d’un simulacre ; les autres, et notamment les fabricants du simulacre sous l’empire de “forces obscures” manifestement suprahumaines, sont d’actifs artisans du simulacre, et ils sont les premiers évidemment à y croire en l’investissant d’une ontologie qu’il ne peut avoir par définition. Ainsi annoncent-ils que le meilleur moyen de protéger la démocratie à laquelle ils sacrifient tout de leur simulacre de vertu et de leur simulacre d’intelligence, c’est bien entendu l’oxymore presque magique à force de contrastes chamarrées de contradictions infinies, du “putsch militaro-démocratique”.
Voici donc les deux textes de WSWS.org, dans leurs versions françaises avec leurs titres ménagés pour des raisons techniques, le premier du 20 mai 2017 (titre original : « La crise politique aux États-Unis et la désintégration de la démocratie américaine », auquel nous avons préféré une adaptation du titre du texte de la version anglaise : « Democrats appeal to military in campaign against Trump ») ; le second du 19 mai 2017 (« Selon L'Obs, le PS préparait un coup d'Etat en cas de victoire de Le Pen »)
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Mercredi, avec la nomination d’un ancien directeur du FBI, Robert Mueller, en tant que conseil spécial pour enquêter sur les allégations de liens entre la campagne présidentielle de Trump et les responsables russes, la bataille fractionnelle, qui fait rage à Washington, opposant différentes factions de l’État et de la classe dirigeante l’une contre l’autre, est entrée dans une nouvelle étape.
La désignation de Mueller intervient seulement huit jours après que Trump a renvoyé de façon inattendue le directeur du FBI, James Comey. Au cours de la semaine suivante, les médias ont signalé l’existence d’un mémo écrit par Comey déclarant que Trump l’encourageait à arrêter une enquête sur l’ancien conseiller national de sécurité Michael Flynn. Un autre «exposé» des médias a allégué que Trump a partagé des documents classés secret avec des responsables russes lors d’une récente réunion de la Maison-Blanche.
La crise s’est encore intensifiée jeudi, lorsque, lors d’une audience au congrès à huis clos, le procureur général Rod Rosenstein a déclaré que l’enquête sur les prétendus liens de Trump avec la Russie était maintenant considérée comme un problème criminel plutôt que comme une question de «contre-espionnage», selon une déclaration par le sénateur républicain Lindsey Graham.
Les agences de renseignement et les militaires jouent le rôle principal dans le conflit avec Trump, et ce sont précisément ces forces auxquelles les démocrates, y compris les apologistes libéraux de l’impérialisme américain, font appel.
L’orientation des démocrates a été décrite dans un article jeudi par Nicholas Kristof, du New York Times, qui, tout comme le Times dans son ensemble, sert de voie aux discussions au sein des organismes de renseignement, intitulé «Des temps dangereux pour Trump et la nation», l’article salue la nomination par le ministère de la Justice de Mueller et prévient que «la présidence Trump pourrait être en train de se désintégrer, de tomber vers l’entropie».
Kristof note avec satisfaction que pendant la crise du Watergate en 1974, le secrétaire à la défense du président Richard Nixon, James Schlesinger, a ordonné aux militaires de ne pas obéir aux ordres de la Maison-Blanche, à moins qu’il ne les ait signés. Schlesinger aussi, selon la parole de Kristof, «a[vait] préparé des plans secrets pour déployer des troupes à Washington en cas de problèmes avec la succession présidentielle».
Kristof conclut : «Cela était inconstitutionnel. Et sage.» Il déclare que des actes d’insubordination «inconstitutionnels» similaires par des responsables militaires peuvent être justifiés dans la crise actuelle. «Nous ne savons pas comment Trump [agira] dans les prochains mois, et nous espérons tous une navigation en douceur. Mais, comme pour les [mesures prises par] Schlesinger, il est [sage d’être prêt à tout]», écrit-il.
Kristof se réfère aux anciens généraux que Trump a assemblé dans son cabinet, le secrétaire à la Défense James Mattis, le conseiller en sécurité nationale HR McMaster et le secrétaire à la Sécurité intérieure John Kelly, ainsi que l’ancien magnat du pétrole et le secrétaire d’État actuel Rex Tillerson, «adultes» qui doivent fournir à la Maison Blanche une «surveillance d’adultes».
Il conclut que les membres de cette cabale devraient «garder les numéros de téléphone portable des uns des autres à portée de main au cas où une réunion d’urgence serait nécessaire pour notre pays.»
La chronique de Kristof n’est qu’un article parmi tant d’autres parus dans le New York Times, le Washington Post et d’autres journaux qui envisagent une sorte de coup de palais pour remplacer Trump, y compris invoquer potentiellement le 25ᵉ amendement à la Constitution américaine. Prévue comme un moyen de créer une succession ordonnée dans le cas où le président était extrêmement malade ou rendu inconscient, la modification pourrait être invoquée par les deux tiers du cabinet si elle détermine que le président est «incapable de s’acquitter des pouvoirs et devoirs de sa fonction».
Le 16 mai, le chroniqueur du Times, Ross Douthat, a écrit que Trump est un «enfant», arguant qu’un «enfant […] ne peut pas vraiment commettre» des infractions ouvrant la voie à sa destitution, ce qui laisse une solution impliquant le 25ᵉ amendement. En mars, Thomas Friedman, du Times, a lancé la proposition d’un coup de palais par les militaires du cabinet dans une colonne sous la rubrique «Appel à quelques hommes de bonne volonté».
Au fur et à mesure que la crise politique se développe, il devient de plus en plus clair qu’il n’y a pas un iota de contenu démocratique ou progressiste dans l’opposition des démocrates à l’Administration Trump. Ce qui se déroule, c’est une lutte amère entre différentes factions réactionnaires de la classe dirigeante, les deux expriment une orientation profondément autoritaire et antidémocratique.
L’Administration Trump représente le transfert dans la Maison Blanche des méthodes de gangster qui caractérisent l’élite corporative et financière. Ses antagonistes ne cherchent pas à mobiliser l’opposition de la classe ouvrière de masse à Trump, mais plutôt à prévenir, à empêcher et à détourner cette opposition derrière une campagne pro-guerre menée par des factions puissantes de l’armée, de la CIA et du FBI.
Leur campagne contre Trump se poursuit sous prétexte que le président a été en quelque sorte soudoyé ou contraint par le Kremlin à jouer un rôle plus accommodant envers la Russie. Les personnalités des médias, les responsables du renseignement et les politiciens démocratiques utilisent ces affirmations concoctées pour marquer toute opposition politique au pays comme le produit de la subversion antiaméricaine par une puissance étrangère.
Dans cette vision du monde archi-réactionnaire, l’élimination potentielle d’un président directement par l’armée ou avec son aide, est vue tout simplement comme une partie intégrante des opérations quotidiennes de «l’État dans l’État».
Tout gouvernement qui émergera du renvoi de Trump sur une telle base serait profondément réactionnaire, promis à une politique d’agression contre la Russie et se mettra en voie de collision avec la classe ouvrière.
Les chroniques de Kristof et Friedman expriment quelque chose de beaucoup plus profond que les opinions de deux individus particulièrement de droite. Les sections de l’establishment politique des États-Unis ont de plus en plus tendance à mettre les formes du pouvoir politique plus directement en ligne avec le caractère oligarchique de la société américaine.
Au moment du vol des élections de 2000, le WSWS a noté que l’absence de toute opposition sérieuse à un coup d’État constitutionnel mené par cinq membres de la Cour suprême pour arrêter le décompte des bulletins de vote a clairement indiqué qu’il n’existe pas de base sociale importante pour les droits démocratiques dans la classe dirigeante. Les choses ont beaucoup progressé au cours des 17 dernières années. Trump est une manifestation d’une maladie plus profonde. Ses adversaires dans la classe dirigeante en sont une autre.
Dans la crise qui embrase Washington, la force sociale qui n’a pas encore été entendue est la classe ouvrière. Elle doit intervenir dans la crise sur la base de ses propres programme et perspective socialistes.
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Selon un rapport extraordinaire publié hier dans L'Obs, des hauts responsables du gouvernement PS sortant ont projeté d'organiser un coup d'état si Marine Le Pen, la candidate du Front national (FN), avait remporté l'élection. Le but de l'opération n'était pas d'empêcher Le Pen d'entrer en fonction. Le coup était supposé écraser des manifestations de gauche contre sa victoire, imposer l'état de siège, et installer Le Pen au pouvoir dans une alliance forcée avec un gouvernment PS.
«Personne n'ose imaginer ce que sera le lendemain du deuxième tour si Marine Le Pen l'emporte. Un embrasement s'annonce», écrit L'Obs, qui explique : «Les stratèges qui ont conçu ce plan B anticipent qu'au lendemain de la victoire du Front national le pays risque de se retrouver au bord du chaos. Etat de sidération, manifestations républicaines, mais surtout violences extrêmes, notamment de la part de l'ultra-gauche».
«Le plan n'avait jamais été écrit noir sur blanc, mais tout était fin prêt», écrit L'Obs. «Son déroulé était si précisément envisagé qu'une poignée de membres du gouvernement, de directeurs de cabinet et de très hauts responsables de l'Etat peuvent encore la décrire de tête, étape par étape. (...) Pour en donner les détails, L’Ob’' a recoupé les éléments auprès de trois sources, au sein du gouvernement sortant et d'institutions de l'Etat».
Le plan incluait le lancement d'interventions de police massives destinées à quadriller la France, et un coup quasi-constitutionnel lancé par un refus du premier ministre sortant, Bernard Cazeneuve, de démissioner. L’Obs cite un haut responsable : «Le pays aurait été à l'arrêt. Le gouvernement n'aurait eu qu'une seule priorité : assurer la sécurité de l'Etat».
En clair, on aurait tenté d'imposer une dictature militaro-policière en France. Des droits démocratiques fondamentaux sont déjà suspendus par l'état d'urgence, prolongé en permanence par le PS depuis les attentats du 13 novembre 2015 à Paris. La police peut interdire des manifestations, détenir des individus, et les assigner à résidence. Le projet rapporté par L’Obs aurait signifié l'usage maximal de ces pouvoirs afin d'imposer un état de siège et suspendre de manière permanente le fonctionnement normal de l'Etat.
Les Directions départementales de la sécurité publique (DDSP) auraient toutes, sans exception, fait part au ministère de l'Intérieur de leur «craintes» d'une victoire Le Pen, alors que l'appareil d'Etat se préparait à une éventuelle crise post-électorale. L’Obs cite aussi une note du renseignement, déjà citée par Le Parisien : «Des mouvements d'extrême gauche, plus ou moins implantés, chercheront sans nul doute à organiser des manifestations dont certaines pourraient entraîner des troubles sérieux».
En même temps, selon L’Obs, les syndicats de police faisaient pression pour obtenir le droit d'utiliser des armes létales contre des manifestants, dont des grenades de désencerclement et des lanceurs de balles de défense. «Les instructions données de ne pas utiliser tel ou tel matériel deviennent insoutenables», a déclaré un syndicaliste Unsa-Police.
A l'intérieur de l'appareil d'Etat, le refus de Cazeneuve de démissioner devait «geler la situation politique», selon l'une des sources de L’Obs, et en exploitant une particularité de la constitution, lancer un coup pseudo-constitutionnel contre le président nouvellement élu :
«Dans un premier temps, il est prévu qu'après le second tour de la présidentielle, le chef de gouvernement ne remettra pas sa démission. Certes, le maintien en poste du Premier ministre est contraire aux usages républicains, mais sa démission n'est en rien une obligation constitutionnelle. Dans un second temps, le Parlement sera convoqué en session extraordinaire. Une date est même envisagée : le jeudi 11 mai. Ordre du jour : la crise nationale provoquée par les violences qui ont suivi le scrutin. Les députés se verront alors demander un vote de confiance».
Le parlement aurait donc été sommé de donner un satisfecit pseudo-légal à un coup d'état mijoté par la police et le renseignement dans le dos des Français. Ce gouvernement pseudo-constitutionnel devait durer au moins jusqu'aux élections législatives des 11 et 18 juin, à supposer que les nouvelles autorités auraient permis le déroulement normal des législatives.
Ce que décrit ici L’Obs aurait été la suspension la plus grave des procédures démocratiques en France par les forces de sécurité depuis la guerre d'Algérie, quand des officiers partisans de l'Algérie française ont lancé un putsch à Alger en mai 1958. Ils ont ensuite lancé un coup, Opération Résurrection, pour renverser le gouvernement à Paris. Charles de Gaulle a profité de l'occasion pour s'arroger les pleins pouvoirs et ordonné à ses partisans de ré-écrire en vitesse la constitution, ce qui a produit la Cinquième République actuelle.
Le silence médiatique sur l'article de L'Obs est assourdissant. Ce reportage soulève des questions politiques fondamentales, ainsi que des questions sérieuses sur le gouvernement que va installer le nouveau président, Emmanuel Macron.
Y a-t-il d'autres scénarios à part l'élection de Le Pen dans lesquels la police et le renseignement suspendraient la constitution et imposeraient un état de siège ?
Et si le ministère de l'Intérieur traite de menace intolérable toute manifestation de gauche où des violences pourraient être commises, par des manifestants ou des provocateurs, prépare-t-on des opérations similaires pour réprimer des manifestations contre les politiques d'austérité et de guerre de Macron ? La police pourrait-elle réagir à l'exercice de droits de grève et de manifestation inscrits à la constitution en tentant d'imposer une dictature ?
Un quart de siècle d'austérité en France et à travers l'Union européenne après la dissolution stalinienne de l'Union soviétique ont transformé le capitalisme européen. Les inégalités économiques et la colère sociale sont à des niveaux record, et les vieux systèmes politiques et sociaux s'effondrent. La répression brutale l'année dernière de manifestations contre la loi travail du PS, imposée sans vote parlementaire dans le cadre de l'état d'urgence le plus long de l'histoire de France, témoigne du stade avancé de la décomposition de la démocratie française.
Dans ces conditions, les tentatives des responsables PS et de L'Obs de minimiser l'importance de son reportage sont profondément fausses. Leurs déclarations rassurantes selon lesquelles l'opération était constitutionnelle et aurait rapidement débouché sur le rétablissement du fonctionnement normal de la Cinquième République n'ont aucune valeur.
Le Premier ministre sortant Bernard Cazeneuve lui-même a crédibilisé le reportage de L’Obs par sa déclaration qu'il n'avait «aucunement l'intention de déserter le front de Matignon, au cas où Marine Le Pen emporterait la présidentielle». Contacté par L’Obs dans le cadre de leur reportage, ses proches ont déclaré que Cazeneuve «n'a jamais, jamais mentionné ce scénario ».
Quant à L’Obs, le magazine insiste que le projet de coup était constitutionnel. Prenant au mot les responsables du PS, qui [insistent sur le fait] qu'ils auraient remis le pouvoir au nouveau gouvernement après les législatives, L’Obs conclut seulement que cela aurait été «une parenthèse inédite dans l'histoire de la République».
En fait, si la police et le renseignement avaient tenté de mettre ces projets à exécution, ils auraient rompu visiblement avec les usages républicains et ouvert la voie à une rupture même plus large de la classe dirigeante avec les formes démocratiques. Cela aurait été le prélude à une confrontation violente avec les travailleurs, parmi lesquels un engagement profond subsiste envers la démocratie.