Du désarroi britannique aux nécessité de la défense européenne

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Du désarroi britannique aux nécessité de la défense européenne


12 décembre 2003 — Il est intéressant, comme un signe du ciel en un sens, qu’on connaisse le même jour les nouvelles structures des forces britanniques dans le futur, avec la publication du nouveau Livre Blanc, et la signature de l’accord sur la défense européenne, des trois grands pays (Allemagne, France, UK). (De ce point de vue de l’accord UE des trois pays, il est également intéressant de constater qu’un journal comme le Guardian présente son article annonçant l’accord de défense européen sous le titre : « Washington accepts EU's independent military plan ».)

La réforme militaire britannique est imposante. Elle s’impose, c’est le cas de le dire, à cause de la faiblesse des moyens budgétaires britanniques, et à cause, surtout, des ambitions militaires britanniques (c’est-à-dire, les ambitions de Tony Blair plus exactement.). C’est là qu’on se trouve plongés au coeur du dilemme qui nourrit le désarroi britannique dont nous parlons en titre. Tout cela est fort bien exprimé par un remarquable éditorial du Guardian qui est couronné d’un titre qui, lui aussi, nous dit tout à cet égard : « We cannot have it all » Les deux derniers paragraphes de ce texte court et significatif nous paraissent aller encore au-delà en plongeant au coeur du dilemme britannique, qui est, là encore, celui de Tony Blair ; au reste, il est symptomatique que le Guardian n’est pas hésité une seconde à plonger au coeur du malaise à cet égard, que le journal ait tout de suite compris que l’affaire était d’abord une question de concurrence, de choix, etc, à faire entre l’Europe et les États-Unis..


« There is a strong case, too, for ensuring that well-trained and equipped combined British forces can if necessary be used independently, with speed and agility, to intervene in small-scale wars such as Sierra Leone or, with allies, in medium-sized conflicts, as in Kosovo. Likewise, greater EU cooperation in non-Nato joint missions, shared procurement - and, crucially, in curbing arms sales to combat zones - are desirable aims. By all means use new technologies to improve communications and field intelligence - a clear priority in the wake of Iraq - while never forgetting, as Tory defence spokesman Nicholas Soames says, the primary importance of the foot soldier. To try to be "a force for good" in the world is entirely laudable, as long as the world, and the British people, can broadly agree on what is "good".

» Where the white paper goes wrong is in proposing to further develop "expeditionary force" capabilities inter-operable with US forces, thus increasing the potential for more all-out wars of conquest like Iraq under US/Nato command. In any case, Mr Hoon cannot have it all ways. Trying to keep up with the Pentagon Joneses is not a sensible idea financially or militarily. Politically, the war in Iraq was a regression, not a paradigm. »


Le dilemme est là et bien là, aussi évident que les complications des relations internationales qui se manifestent avec les difficultés pour Blair de tenir une balance entre ses relations avec les USA et sa présence en Europe. Autant il est justifié de restructurer les forces britanniquesn dans le sens de l’allégement et de la mobilité, pour des missions de projection de force, d’intervention, de stabilisation, etc, autant il est complètement aléatoire, — et plutôt absurde et complètement contre-productif à notre sens, — de lancer ces forces dans le développement de systèmes de hautes technologies dans le seul but de pouvoir continuer à opérer en interopérabilité avec les Américains. Les Britanniques sont-ils aveugles au point de ne pas voir ce qui se passe en Irak, où ils enragent chaque jour du comportement absurde des Américains, déterminé pour la plus grande part, sans aucun doute, par leur équipements en haute technologie dont ils attendent qu’ils leur dictent leur tactique sur le terrain, voire leur stratégie générale ?

(Mais on ne peut arrêter la critique aux seuls Britanniques. Les militaires français, principalement, doivent y être soumis également, eux qui, dans leur état-major général, ont introduit le mot-clé de Rumsfeld, “transformation”, eux qui ne rêvent que de participer à des opérations conjointes avec les Américains, eux qui soutiennent l’affectation du plus de forces possibles à la nouvelle NATO Reaction Force notamment pour être impliqués dans les conceptions US et ainsi de suite. Les armées françaises et britanniques sont de loin les meilleures du monde pour la seule mission qui compte aujourd’hui, le maintien et le rétablissement de l’ordre dans les pays déstabilisés par les menaces criminelles, sociales, sanitaires, anarchiques, etc. Pourtant, ces forces ne rêvent que de ressembler au système militaire le plus gaspilleur, le plus dispendieux, le plus inutile et le plus inefficace du monde, — le système US, bien entendu, dont l’effet des interventions n’est que de déstabiliser les zones où il intervient. Cette profonde fausseté du jugement fait partie de la déstabilisation des psychologies, qui est aujourd’hui la seule menace fondamentale contre la civilisation, une menace qui vient de la civilisation elle-même, évidemment.)

Là-dessus, la signature de l’accord de défense entre les trois grands pays européens, avec l’accent lourdement mis, dans la presse britannique notamment, sur l’“accord” des Américains, dévoile une dimension à la fois essentielle et dérisoire. La dynamique de la défense européenne est quelque chose qui tourne, dirait-on, d’une façon irrésistible. Les chamailleries et chicaneries des innombrables Européens autour de cette perspective ressemblent à des vaines querelles procédurières. Rien n’empêche la perspective de sécurité européenne d’avancer, pour le meilleur et pour le pire.

Souligner là-dessus que les Américains sont d’accord ou ne le sont pas tout à fait a, aujourd’hui, un aspect grotesque et un aspect complètement vain. Ce qui était justifié il y a vingt ans, lors de la Guerre froide (nécessaire coordination des alliés et ainsi de suite), a aujourd’hui un irrésistible cachet d’imposture. L’extrême sottise et la grossièreté complète de la politique américaine, le désordre confus de son expression font le reste. Il est assuré désormais que la question de la défense européenne est entrée dans une phase nouvelle ; non plus de savoir si elle va exister, mais de savoir quelle forme elle aura et, par conséquent, quels seront ses rapports avec les Américains, dans un cadre nécessairement autonome pour son compte, dans ce domaine de la sécurité.