Du désordre crisique des tempêtes

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

   Forum

Il n'y a pas de commentaires associés a cet article. Vous pouvez réagir.

   Imprimer

 4104

Du désordre crisique des tempêtes

4 décembre 2023 (18H09) – Nous sommes donc en pleine croisière dans ce que nous pourrions effectivement décrire comme une sorte d’immense “tourbillon crisique des tempêtes”, ou TC/DC [Tourbillon Crisique/Désordre Crisique, – bonheur d’à chaque jour son acronyme nouveau], où le désordre évidemment crisique (‘What else ?’) prime tout le reste, fussent la puissance, la force déchaînée, – où les rugissements et les hurlements des crises sont eux-mêmes emportés par la fureur divine du désordre. Nous sommes pris entre les “Quarantièmes rugissants” et les “Cinquantièmes hurlants”, là où ni les lois ni Dieu Lui-même s’abstiennent de dire leur mot, par mépris, par rage contenue et soudain délivrée, comme dans un silence hurlant et rugissant qui dirait : “Puisqu’ils l’ont voulu, nous les y laissons s’y débattre”.

« ...entre les  “Quarantièmes rugissants”  et les “Cinquantièmes hurlants” des latitudes correspondantes vers le Sud extrême des étendues glacées où jamais le vent ne s’arrête de souffler et la mer de déferler, où les marins disent qu’au-delà vers l’au-delà du Sud Dieu n’est plus.[...]

» ...un vieux dicton des vieux marins des Temps Anciens disait de ces terribles latitudes d’un Sud ressemblant à l’Enfer glacé : Sous les 40 degrés, il n’y a plus de loi, mais sous les 50 degrés, il n’y a plus de Dieu”. »

J’ai, pour cette trouvaille de la terreur humaine pour ce qui dépasse sa condition, une sorte de fascination à la fois respectueuse et terrorisée : ces expressions terribles, – les “Quarantièmes rugissants” et les “Cinquantièmes hurlants”, – qui doivent venir de ma lointaine fréquentation de la mer, comme matelot des anciennes pratiques, ayant goûté à la fois à ses splendeurs cosmiques et à ses colères venus des dieux. Je crois que ces images presque sacrées ont la puissance nécessaire à nous restituer le déchaînement des éléments et la folie des hommes dans cette période, dans ce temps de fureur, dans cette équipée sauvage que nous vivons.

Je dis cela pour symboliser ce que j’estime être un nouveau retournement, – un de plus, qu’importe, que diable, – dans le sens des évènements qui est en train de se produire sur cette incroyable route en lacets que nous suivons comme au bord du vide d’une Cordillère des Enfers, alors que nous nous trouvons placés devant le broyage, le fracassement et la désagrégation déchiquetée de toutes nos constructions infâmes, – nos simulacres, bien sûr, – dont nous avons habillés nos inmpostures crisiques en cours, fussent-elles ukraino-zélenskistes ou israélo-nétanyaesques, fussent-elles américanistes-Woke ou/et électoralistes-2024, – et tant d’autres qui suivent et s’empilent en persiflant.

En attendant la mort des Romanov

C’est, en d’autres termes moins emportés, ce que nous dit Alastair Crooke pour sa chronique hebdomadaire de ‘Strategic-Culture.sude ce jour ; l’homme le fait avec son goût soigné pour les références culturelle, comme pour rappeler au adeptes du Woke’n’Roll que l’histoire ne se laisse pas mettre facilement dans une bouteille pour en faire un cocktail-Molotov :

« Le général Wrangel (officier et commandant tsariste) a écrit dans ses mémoires comment, après avoir servi pendant la Première Guerre mondiale, il arriva à Saint-Pétersbourg juste au moment où les bolcheviks faisaient des ravages dans la discipline de l'armée impériale (“son armée”). Chaos dans les rues, mais pour les riches de la ville, la vie continuait comme si une certaine “normalité” pouvait être délicieusement goûtée, dans une coexistence confortable avec la révolution dans les rues. Il décrit avoir assisté à un film de cinématographe d’alors, où le public était clairement inconscient de l'anarchie régnant en-dehors du théâtre.

» Abasourdi, le général accourut de Saint-Pétersbourg pour avertir le tsar de la catastrophe imminente. Cependant, à son arrivée à la Cour, Wrangel fut choqué de constater que 80% des femmes Romanov, qu'il connaissait pour la plupart, portaient un ruban rouge. Leurs rubans témoignaient de leur sympathie pour les forces mêmes qui assassineraient plus tard ces femmes Romanov.

» Aujourd’hui, nos élites arborent également un ruban – non pas rouge, mais arc-en-ciel.

» Aucun de ces commentateurs ne prévoit (encore) une issue comme fut la liquidation des Romanov. Mais ils préviennent que le paysage civique américain évolue de façon spectaculaire et rapide : on peut se réveiller un matin avec l’horreur du genre imposée aux enfants ; à ce que leur classe culturelle soit licenciée de leur emploi ; à la prise de conscience qu’il n’est plus “correct” de rire des absurdités de la nomenklatura.

» Et cette dissidence mène à la persécution : si vous adhérez au “Parti”, vous n’avez rien à craindre ; si ce n’est pas le cas, bonne chance à vous tout seul. »

Passé le premier point que nous connaissons tous, d’ailleurs depuis le terme du siècle dit “des Lumières” avec l’aristocratie applaudissant à la Révolution proche d’éclater et creusant dans un jacassement de persiflage les fosses où entasser les corps des décapités, un second point se forme à une vitesse explosive, avec une force jamais vue décrite par un Trump, un Carlson ou un Hanson évoquant la contre-révolution en cours de formation.

« Une contre-révolution naissante est cependant en cours – dans laquelle une partie de l’électorat se dirige vers la réinstallation de ces principes civilisationnels et métaphysiques qui ont assuré la subsistance de la nation pendant des siècles. Ils ne sont pas (à tort ou à raison) prêts à renoncer à ces valeurs, ni à assumer leur “culpabilité” en se soumettant aux demandes de réparation.

» Le point ici est évident : l’ampleur, la complexité (et la cruauté) du problème augmentent. Et avec cela, la colère monte. »

Tout cela fait qu’à tout prévoir, à évoquer une infinie variété de scénarios à l’image de l’arc-en-ciel des drapeaux, nul ne sait ce qu’il peut se passer. Comme d’autres commentateurs, un Carlson pétulant s’exclame devant les foules en délire mais en blaguant et comme on dit ‘off-the-record’ dans un immense éclat de rire (ceux de Carlson sont impressionnants), quelque chose qui ressemble au sophisme de Socrate et qui s’affirme comme une perspective absolument inédite dans l’histoire de la Grande République :

« La seule chose d’assurée que je puis vous dire pour 2024 et ses élections, c’est que j’ignore absolument quoi que ce soit d’assuré sur ce qui peut arriver ni ce qui arrivera, si les élections auront lieu ou pas, s’il y aura un ou deux vainqueurs, rien, du tout... »

Le reste, ce n’est pas mieux, et tout ressemble à tout dans un immense “sophisme de Socrate” déstructuré selon les règles de la modernité... (Mais ce qui est bien, pour notre propos et pour ma propre satisfaction à force de répéter la chose, c’est bien de lier les choses [les crises] entre elles, ô combien, globalisation enfin réalisée entre les ‘sous-crises’ de la GrandeCrise dont vous pouvez être assurés que la somme sera quelque chose de bien différent de ce qu’est leur addition)

Mister Z., comme un torrent

Aujourd’hui, c’est donc “comme un torrent” que roulent les crises et les nouvelles, et selon un rythme qui ne faiblit pas, qui s’est établi depuis plusieurs années déjà, comme s’il s’agissait de la nouvelle nature du monde, c’est-à-dire de la nature déferlante du monde (à nouveau une image qui rappelle le mugissement des flots) :

« “L’expression m’est venue à l’esprit” me suis-je dit et, très vite, je me suis corrigé de cette façon : “m’est une fois de plus venue à l’esprit”. Comme toujours, elle vient du titre de ce même film, mais ce que je voulais me dire avec ce “une fois de plus”, c’est que je l’avais déjà employé en titre. Vérification faite, c’est le cas, et telle quelle : une première fois en 2011 (le 17 octobre 2011), une seconde fois il y a un peu plus d’un an délibérément d’un texte à l’autre dont un texte des deux également sous ce titre exactement (le 6 mars 2016) dans ce Journal-dde.crisis, où je rappelais l’analogie du film (adaptation française du ‘Some Came Running’ de 1958, tiré du roman éponyme de James Jones de 1957)... L’expression désignant le même phénomène du déferlement diluvien des crises, cette expression “comme un torrent”, qui revient sous ma plume me fascine par sa puissance et sa magie à la fois symboliques et sans doute incantatoires, et peut-être même divinatoires... »

Donc, sur le même mode déferlant entre les méridiens hurlants et mugissants, l’on passe à la tragédie-bouffe ukrainienne. On se bouscule dans les sphères les plus hautes et les plus convenues qui nous assurèrent mille fois que la Russie s’écroulait sous la puissante poussée ukrainienne, qui nous assurent désormais comme allant de soi que la guerre en Ukraine est perdue, et bien perdue, – et quant à Zelenski, “Krac-boum-hue” disait Jacques Dutronc du temps de ma jeunesse et des minets du ‘Drugstore’ des Champs-Élysées.

Les nouvelles rapidement passées en revue hier sont rassemblées, rajoutées à d’autres comme celle du nouveau président du Comité des chefs d’état-major, le général Brown le bien-nommé puisque premier officier général africain-américain passé du commandement [CEM] de l’USAF à ce poste prestigieux de président de tous les CEM des forces armées. Korybko fait donc le compte, dans son style mesuré et rationnel habituel :

« En réunissant ces trois déclarations, on voit qu’elles ont collectivement contribué à démystifier les dernières illusions du dirigeant ukrainien en informant le public du ridicule de chaque aspect de celles-ci. Klitschko a utilisé sa crédibilité auprès des Occidentaux pour confirmer que Zelenski s’est effectivement transformé en dictateur, Stoltenberg les prépare à de mauvaises nouvelles du front, tandis que [le général] Brown leur dit d’attendre un compromis politique avec la Russie. Au total, il ne fait aucun doute que le conflit ukrainien touche à sa fin. »

... Ce à quoi il rajoute, in extremis pour nous dans cette publication, cette nouvelle qu’il présente calmement comme simplement extraordinaire :

« Ce qui était impensable il y a à peine six mois est aujourd'hui un scénario crédible, le ‘Financial Times’ venant de signaler aujourd’hui que l'UE pourrait couper les cordons de la bourse à l'Ukraine. L'impasse politique a empêché la conclusion d'un accord consensuel sur le prochain budget de l'Union, mettant ainsi en péril le financement de l'ancienne république soviétique. En outre, certains États membres, comme la Hongrie, ont menacé de bloquer la demande d'adhésion de l'Ukraine, tandis qu'un récent arrêt de la Cour constitutionnelle allemande a brusquement freiné les plans d'emprunt de Berlin. »

Poutine, de Ulm à Austerlitz

De fait, nous sommes entrés dans une sorte de domaine où l’on est convié à regarder les choses comme elles sont, écarter vite fait les simulacres où l’on ne peut plus tenir aucun rôle parce qu’il nous manque les accessoires, les acteurs qui vont bien, et puis enfin qu’on découvre que le texte est inepte. Ainsi en est-il de l’Ukraine en général, qui fut un formidable champ de déploiement du simulacre, bien plus que l’affaire Israël-Gaza malgré les efforts louables de l’équipe Netanyahou-Mossad.

D’abord, comme on le voit depuis deux, trois jours, les plus hautes autorités baissent élégamment leur culotte, parlent de la pluie et du beau temps et constatent que l’hiver sera rigoureux pour tout le monde. D’où la solitude grandissante de Zelenski, les intrigues de Kiev et les divers réalignements de force en souhaitant que les Russes n’en profitent pas lâchement pour user de leurs forces supérieures. Mais avec le flegmatique fanatique qu’est Stoltenberg, on a appris, – ô surprise, – que l’OTAN n’a plus rien à donner parce que l’industrie de défense européenne est « fragmentée » et que des “fragments” d’armement ne font pas des armements si l’on n’a pas prévu le Meccano qui convient.

Cela nous fait pénétrer sur le véritable état de la “défense européenne” (késako ?), que tous les commentateurs normaux et non-menottés connaissent bien depuis des mois et des années mais que l’on découvre tout de même et enfin, – avec horreur. Cela nous vaut un épisode charmant et assez révélateur.

C’est Mercouris qui nous le confie, jamais en retard d’une vanne railleuse dite sans avoir l’air d’y toucher, avec l’accent d’Oxford-Cambridge. En fait, il rapporte un détail d’un article qu’il dit tenir du ‘Times’ de Londres sur une récente et discrète réunion d’industriels de la défense et de chefs politiques et militaires de pays de l’OTAN qui vient de se tenir en Allemagne,

« ...et ils ont également dit, c’est une révélation fascinante [gloussement de Mercouris] apparemment venus de militaires qui ont affirmé que l’Europe, les forces militaires de l’Europe ne sont absolument pas en capacité aujourd’hui d’affronter l’armée russe... Si les Russes décidaient de pénétrer et d’avancer en Europe, ce serait une débâcle d’une ampleur comparable à l’invasion de l’Empire de l’Allemagne les armées de Napoléon au début du XIXème siècle, lorsque les diverses armées allemandes des principautés et autres, équipées de boîtes de chocolat se désintégrèrent les unes après les autres devant l’avancée de la Grande Armée... »

Qu’est-ce que cela signifie dans des termes plus courants pour les esprits français qui, plutôt que parler de “campagne” napoléonienne (dans ce cas, officiellement la “campagne d’Allemagne”), préfèrent parler des victoires de Ulm à Austerlitz. Cela signifie, en termes plus modernistes, que Poutine pourrait aussi bien préparer ses armées à aller d’une bataille de Ulm à une bataille d’Austerlitz. Et, précise Mercouris, cette situation désastreuse s’est installée en Europe, surtout dans l’élan et les effets des vingt mois de la guerre d’Ukraine qui fut un formidable effort de désarmement et d’affaiblissement des forces de l’OTAN.

Curieux pour nous autres et tous les autres, qui avaient entendu dire que cette guerre avait pour objectif d’affaiblir décisivement la Russie. Il faudra garder à l’esprit cette image digne de ‘Tintin et la campagne d’Allemagne’, d’un Poutine chevauchant d’Ulm à Austerlitz et disant à ses soldats : “Il vous suffira de dire ‘j’y étais’ pour que l’on dise : ‘Voilà un brave’”.

Ainsi donc, tous ces imposants généraux qui venaient commenter pour nous les péripéties de la guerre avec la précision et l’exactitude qu’on a retenues, envisageaient même, et envisagent toujours j’imagine moi, la planification de la possibilité d’une incursion russe sur nos terres sacrées et bien-aimées. Au moins, ils remplissent leur devoir : ils planifient, “les braves”.