Du grand écart de Blair à la multipolarité (à la française) bien tempérée

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Du grand écart de Blair à la multipolarité (à la française) bien tempérée

21 septembre 2003 — Les Anglo-Saxons sont devenus, d’une source à l’autre, des commentateurs éclairés, même si par inadvertance, de l’évolution de la crise, et du rôle essentiel que joue la France dans cette évolution. L’édito de ce samedi matin du Guardian résume bien l’enjeu qu’on pouvait envisager pour la rencontre de ce même jour à Berlin des trois Européens (Blair, Chirac, Schröder), au niveau européen et au niveau de la crise mondiale avec les USA. Mais on sait que tel niveau (l’Europe) dépend de l’autre (la crise mondiale). Et l’on appréciera alors combien cette publication en apparence farfelue ou outrancière de l’article de Friedman que nous commentions hier, préparait bien la réflexion qu’on pouvait faire à propos du sommet du 20 septembre, y compris la réflexion introductrice du Guardian. On appréciera également combien le titre de l’édito du Guardian résume l’essentiel de la situation pour notre compte et éclaire la chute extraordinaire de l’article de Friedman, et il est excellent que cela vienne d’une voix publique anglo-saxonne : « French lesson for Bush ».

Effectivement, la chute de l’édito du Guardian est intéressante à cet égard, qui nous dit que le « common sense » recommande que les Américains suivent les propositions françaises ; mais qui nous laisse entendre, également de façon fort judicieuse, qu’il y a bien peu de chances que les dirigeants américains fassent preuve de ce « common sense » :

« A compromise is not impossible and the Berlin meeting may yet facilitate it. But in the end, success will not depend on Mr Blair's arguments. Rather, success depends on Mr Bush and his advisers overcoming their state of denial, admitting the US needs help and agreeing to work along the lines proposed by France. Common sense insists America's discredited leaders open their eyes. Pride and prejudice suggest they may not. »

Le sommet de Berlin n’a pas apporté d’évolution décisive sur la question de la (des) position(s) européenne(s) concernant l’Irak. L’intervention de Blair n’a pas modifié grand’chose. En fait, le sommet n’a fait, du point de vue britannique, que mettre en évidence l’isolement de Blair et l’évidence qu’il ne pourra réintégrer à sa vraie place le cadre européen qu’en faisant de substantielles concessions du point de vue de la crise mondiale (c’est-à-dire l’Irak, c’est-à-dire les relations US avec les USA), c’est-à-dire suivre une évolution exactement inverse à celle qu’il aimerait provoquer (amener les deux autres “grands” Européens vers ses conceptions). Rien ne montre que ce soit une possibilité, et de la politique britannique aujourd’hui, et de Blair lui-même. (Une nouvelle sur une question d’environnement montre que, plus que jamais, la politique britannique est totalement dépendante des consignes américaines.)

La réunion de Berlin, hier, a eu le mérite de montrer la réalité de la puissance européenne aujourd’hui, à partir des positions des uns et des autres dans la crise irakienne.

• Le Royaume-Uni est de plus en plus condamné à faire un va et vient avec le continent pour tenter d’améliorer ses relations, mais en ayant de moins en moins à offrir puisqu’il se trouve de plus en plus dépendant des USA (et ses “special relationships” étant fonction de cette dépendance grandissante).

• L’Allemagne semble de plus en plus s’installer dans sa position, où elle finit par trouver un certain confort, de second de la France en Europe, à la fois avec moins d’influence mais aussi moins de responsabilités et donc moins d’exposition.

• La France s’affirme de plus en plus comme la force dominante en Europe, appuyant pour l’instant cette puissance sur ses liens avec l’Allemagne.

D’un point de vue plus large, on peut douter que l’attitude de l’Amérique puisse amener une modification sensible de cette répartition des positions, autant que des relations entre les USA et l’Europe. En même temps que paraissait l’édito du Guardian qu’on a signalé, des indications montraient que les habituelles manoeuvres se poursuivent, de la part de l’Amérique, contre la France. Aujourd’hui comme hier, les Américains n’ont de leçons à recevoir de personne, surtout pas des Français.