Du JSF en balsa ou en carton-pâte

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Il est manifeste qu’il y en a bien peu, dans l’affaire du JSF, qui entendent s’en laisser compter par la réalité. C’est notamment le cas de l’USAF et du Marine Corps, placés devant la question de l’opérationnalité du JSF/F-35, qui se traduit au niveau officiel par l’acronyme IOC (“Initial Operational Capability”). Nombre de chroniqueurs, notamment Bill Sweetman, mettent en évidence depuis un certain temps qu’avec tous les délais catastrophiques que connaît le programme, les IOC de l ‘USAF et du Marine Corps pour le JSF (2013 et 2012) n’ont plus aucun sens puisqu’ils précèdent, et sans doute de beaucoup (2 ans? 3 ans? Plus encore? Paris ouverts…), le moment où l’avion sera effectivement au point en tant que système d’arme, s’il parvient à l’être d’ailleurs (le sera-t-il jamais? Paris ouverts…).

• Voici ce que dit l’USAF de cette question, – par la voix de Barbara Westgate, adjointe au chef d’état-major de l’USAF pour les plans stratégiques. A propos de plans, notons accessoirement que Westgate est incapable de dire si la restructuration du programme décidée par Gates affectera ou non le rythme de production de 80 avions par an pour l’USAF. Il s’agit d’extraits d’une conférence, retranscrits par Defense News, le 17 février 2010. Le passage qui nous intéresse, qui concerne l’IOC, est souligné par nous en gras.

«A senior U.S. Air Force requirements official said Feb. 17 that the service will get enough F-35 Lightning IIs to meet its needs despite recent program delays. Barbara Westgate, the Air Force's deputy chief of staff for strategic plans, told reporters that while the F-35 program has suffered setbacks in the testing phase, she is confident that the Air Force will be equipped with the jet in time to “have the required capabilities we need, when we need it.” […]

»…Westgate said that the Air Force is taking a different approach to the F-35's initial operational capability date than the U.S. Navy and Marine Corps. “We let the wing commander determine when he has the capability he needs to do his mission, instead of picking a different date,” Westgate said.»

• Concernant le Corps des Marines, Bill Sweetman assistait à une conférence où un représentant de cette arme parlait également de la mise en service des JSF/F-35. Le 17 février 2010, il écrit sur son blog (Ares):

«The Marine Corps still plans to declare the F-35B Joint Strike Fighter operational in 2012, according to deputy commandant for programs and resources Lt Gen Duane Thiessen. However, at that point the aircraft will be ready only for training. […] Thiessen said that declaring IOC with a training capability was not unusual and that the date need not be affected by a one-year slip in development. […] Responding to a question about the air combat capability of the F-35, Thiessen said that was “no concern. If you are in a fight like that there is a complex air defense system, one element of which is the aircraft – and if we're in that kind of fight we're not going to be there by ourselves.”

»Comment: if in that situation the Marine expeditionary force is always going to be backed up by carrier aviation, how much value does the F-35B add?

»But, Thiessen said, "we need that aircraft, we need that platform, the US needs that platform... it's all about the lance-corporal and the PFC, about making them more effective on the battlefield and bringing them home.” […] As one observer summed up Theissen's comments, which followed Navy and USAF presentations that focused on constrained budgets and joint operations: “What he was saying was that we want this, we have friends in Congress who will give it to us, so don't mess with us.”

Notre commentaire

@PAYANT Ces déclarations montrent une attitude très significative des deux forces impliquées, qui pourrait être résumée sous le terme de “reality denial”, ou du choix absolument proclamé, sans la moindre dissimulation, pour le virtualisme général. Cette “réalité”, bien entendu, c’est le sort catastrophique du JSF. D’une certaine façon, les deux forces, qui sont les deux des trois forces impliquées les plus favorables au JSF, affirment que le IOC annoncé, qui est la date déclarée de l’avion disposant de ses capacités opérationnelles devenue aujourd’hui absolument symbolique et complètement irréaliste, reste valable sans la moindre référence au sort de l’avion.

• Pour l’USAF, la solution est simple: le IOC sera maintenu, les avions affectés à des unités réelles bien qu’ils continueront évidemment à être affectés à des missions d’entraînement et de test dans le cadre du développement, et ce sera aux chefs d’unité de déclarer un jour : “Tiens, au fait, le F-35 est devenu à mon avis opérationnel par rapport à la mission qu’il doit remplir…” Cette attitude complètement surréaliste par rapport aux normes de l’USAF, implique la volonté forcenée de l’USAF d’affirmer l’existence du F-35 comme avion opérationnel d’une façon complètement virtualiste par rapport à la réalité générale de l’effectif du service. Il s’agit d’une position qui n’a aucune correspondance imaginable avec ce qui a toujours existé au sein de l’USAF comme force organisée. Dans ce cas, l’USAF se déclare comme une sorte de force virtuelle, où ce qui compte est l’effectif théorique affecté à des unités de combat, sans le moindre souci de la réalité organisée et coordonnée de cette force.

• Pour le Marine Corps, la date IOC existe, elle ne change pas, d’ailleurs on vous affirme que ce n’est pas la première fois et point final. Par contre, on a une explication indirecte sous la forme de la réponse apportée aux préoccupations sur les capacités opérationnelles de l’avion. Le porte-parole du Marine Corps laisse entendre que ces capacités opérationnelles sont très largement insuffisantes, voire complètement inadaptées à un environnement opérationnel moderne, – cela pouvant impliquer effectivement la situation des F-35 déclarés opérationnels (IOC) alors qu’ils ne le sont pas du tout. Aussi en arrive-t-on simplement à annoncer que le JSF/F-35 devra être protégé pour éviter tout contact direct avec l’ennemi, dont on ne dissimule pas qu’il sera très dangereux, sinon mortel pour le JSF. Le général Thiessen ne cache d’ailleurs pas plus que ce pourrait être effectivement la situation du JSF dans sa vie opérationnelle, même lorsqu’on aura terminé ses essais et sa “mise au point”, impliquant par là que le Marine Corps pourrait accepter des avions notoirement défectueux, aux capacités opérationnelles extrêmement faibles et le rendant incapable d’évoluer lui-même en situation de combat, c’est-à-dire sans protection. L’absurdité du propos se mesure au fait que le JSF est présenté comme un avion remplaçant plusieurs modèles d’avions, aux capacités telles qu’on estime qu’un seul exemplaire remplacera en volume de capacités quantitatives de combat plusieurs avions, ce qui correspond à une situation de réduction dramatique des effectifs; alors que, dans le même temps, on annonce que des effectifs supplémentaires seront nécessaires pour assurer sa survie en conditions de combat.

Finalement, tout se ramène sans doute à la remarque finale citée par Sweetman pour le cas du Marine Corps, mais qui vaut pour l’USAF, et qui signifie que les deux armes “veulent cet avion, qu’elles ont des amis au Congrès qui leur permettront de les acquérir, et qu’on ne vienne plus les ennuyer avec le reste”. Il s’agit d’une attitude complètement corporatiste, dans le sens le plus étroit, le plus nihiliste du terme, avec ce fameux “déni de la réalité”. Il y a un refus brutal de la situation du JSF, une affirmation brutale que tout se poursuivra selon les plans prévus. On peut aussi bien imaginer que les deux services pourraient demander à Lockheed Martin, qui s’exécuterait avec empressement, des JSF en bois pour pouvoir les aligner sur le tarmac de leurs bases ou sur leurs porte-avions pour ADAC/V et proclamer que leurs effectifs avec le meilleur avion du monde est fourni selon le plan prévu. (Une indiscrétion d’une source de l’OTAN nous rapportait qu’au cours de la dernière réunion des ministres de la défense de l’OTAN à Ankara, dans un a parte chuchoté au cours de la réunion, le secrétaire à la défense Robert Gates avait glissé à l’oreille du secrétaire général de l’OTAN Rasmussen, presque suppliant, cette phrase: «Faites tout votre possible pour nous débarrasser de la pression de la bureaucratie». Peut-être songeait-il, notamment, au JSF?)

L’idéologie déjà utilisée in illo tempore par la partie soviétique du “tout se déroule selon le plan prévu” règne. Il n’y a plus aucune préoccupation de la réalité des performances, de la validité des capacités générales, mais la marche vers un nihilisme complet et un repli, un enfermement sur les conceptions les plus étroites des intérêts des centres de pouvoir que représentent les forces. Cela signifie une espèce de retrait de la situation générale du programme, du refus du partage des responsabilités pour une bataille commune en faveur du JSF, une politique du “je m’en lave les mains” assortie du “puisqu’on m’a promis l’avion, je m’en tiens à cette promesse” – c’est-à-dire le choix du JSF virtualiste transformé en F-35 caractérisé par une opérationnalité totalement virtualisée. C’est, d’une façon larvée, une sorte de révolte des bureaucraties au nom d’intérêts promis et que la réalité du monde ne tient pas, et un refus complet d’assumer leur part de la responsabilité collective du sort du programme. Bientôt, il n’existera plus aucune barrière contre l’écroulement complet du programme JSF, et, effectivement, le choix d’une version en bois, si possible le balsa fort léger, ou bien encore en carton-pâte, s’imposera de lui-même. Il sera demandé à al Qaïda, qui n’existe pas, et aux Chinois, secoués par la menace terrible de la poignée de main BHO-Dalaï Lama, d’y croire sans plus poser de question.


Mis en ligne le 19 février 2010 à 18H48

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