Du serment de Koufra à la Libye de BHL

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Du serment de Koufra à la Libye de BHL

…Effectivement, c’est l’engagement que le colonel Leclerc avait solennellement passé avec les 400 hommes de la “colonne Leclerc” qui avaient remporté la bataille de Koufra, la première victoire de la France Libre. Le serment de Koufra fut proclamé le 2 mars 1942 et il disait : «Jurez de ne déposer les armes que lorsque nos couleurs, nos belles couleurs, flotteront sur la cathédrale de Strasbourg.»

Si nous rappelons cette référence, c’est parce qu’elle a délibérément servi d’inspirateur (sinon d’aspirateur) pour le documentaire du bouffon métaphysique BHL, Leclerc de Hautecloque postmoderne, pour son film Le serment de Tobrouk, qui expose comment BHL introduisit la paradis démocratique en Libye. Thomas Sotinel, dans Le Monde du 6 juin 2012, a noté la chose, avec un certain ahurissement:

«…Le protagoniste omniprésent, omniscient, est le metteur en scène de la révolution, il en dirige du mieux qu'il le peut les acteurs, et quand ceux-ci s'écartent du scénario, la voix off vient les remettre dans le droit chemin. Il faut attendre la conclusion de ce long-métrage (ce qui réclame un peu de patience) pour en comprendre le titre : dans le cimetière des Forces françaises libres à Tobrouk (qui fut le théâtre d'une bataille pendant la seconde guerre mondiale), le metteur en scène entraîne ses compagnons libyens afin qu'ils prêtent une moderne version du serment de Koufra que jurèrent les combattants de la deuxième division blindée de Leclerc.

»La plupart des cinéastes qui se mettent eux-mêmes en scène sont des comiques, de Chaplin à Max Linder ou Emmanuel Mouret. Ils n'ont jamais eu peur du ridicule ni du danger physique. Empruntant, consciemment ou non, à leur grammaire (la constance de l'aspect physique dans toutes les circonstances, l'omniprésence, l'exagération des traits de caractère, la répétition des situations), Bernard-Henri Lévy met ses pas dans les leurs.»

Cette référence permet donc de mieux introduire les dernières nouvelles concernant la situation paradisiaque et démocratique, précisément à Koufra, à peu près 70 ans après la victoire des troupes du futur général Leclerc et à peu près un an après l’intervention décidée et dirigée par le colonel et futur général BHL. (D’après la radio La Voix de la Russie, le 11 juin 2012.)

«23 personnes ont été tuées et des dizaines autres blessées dans des combats entre la tribu des Toubous et des forces gouvernementales à Koufra, ville frontalière du Tchad, du Soudan et de l'Egypte situés dans le Sud-est de la Libye.

»Selon un médecin toubou, 20 personnes de sa tribu ont été tuées, “dont des femmes et des enfants”, tandis que le commandant de la brigade Bouclier de la Libye, a fait état de trois morts et 12 blessés parmi ses hommes. Issa Abdelmajid, le chef controversé des Toubous, a fait état quant à lui de 28 morts, appelant les Nations unies à “faire pression sur le Conseil national de transition (CNT, au pouvoir en Libye) pour lever le siège sur les Toubous” qui font face à un plan d'extermination.»

Le cas nous entraîne vers cet article de l’Observer, du 10 juin 2012, particulièrement complet pour nous faire embrasser la situation en Libye, – la Libye outragée ! La Libye brisée ! La Libye martyrisée ! Mais la Libye libérée !, – c’est-à-dire divisée, morcelée, plongée dans le désordre des fractionnements et des sécessions de fait, ce que l’auteur de l’article Chris Stevens qualifie étrangement de “the price of the success”… Ainsi est-on conduit à se demander de quelle sorte de “succès” parle l’auteur, et au nom de quoi sinon de la satisfaction de l’affectivité considérée comme manipulatrice de la raison en politique, ce terme de “succès” est employé. Si le “prix du succès” est pire que le “succès” lui-même, comme le cas ne cesse chaque jour d’être démontré, la raison au service de l’affectivité fait effectivement son travail en développant la grossière démarche sophistique d’employer le terme de “succès” dans de telles circonstances. Même Pyrrhus ne saurait qu’en faire, de ce “succès”-là, tel que le décrit Chris Stevens lui-même.

«National flags from around the world flutter in the bright sunshine by a city gate made of shipping containers painted in the Libyan national colours. A uniformed militiaman examines my passport, then waves me through with a smile. Welcome to the Republic of Misrata. Libya's third largest city, recipient of a six-month pummelling during last year's revolution against the regime of Muammar Gaddafi, has transformed itself into what is an independent state in all but name. Libya is due to hold national elections in 10 days, but these look like they may be delayed as any sense of post-Gaddafi national unity dissipated long ago. Misrata is divorced from the new government, which it views as secretive, dictatorial and heavy-handed, and, as a city with a long tradition of trading, is going its own way. Shops and restaurants are being fixed up, business is brisk, and there is enough traffic on the pockmarked streets to create honking traffic jams.

»Qasr Ahmed, Libya's biggest container port, is the jewel in the city's crown. The harbour that once spouted the geysers of incoming rockets is now jammed with shipping, and I get a tour in the only tug in Libya that can do something complicated with its engines that allows it to move sideways. The port authority has decided to run the place without reference to central government, which means that the port is open 24 hours a day, and also means that Misrata gets to keep the tugboat. “In the old days there would be 12 forms and it would take 10 days to pay all the bribes,” says Nasser Mokhtar, who printed photographs of the shaheed – martyrs – in the war in his print shop and is now back at his clothing import business. Now, he explains, there are no bribes; customs officers fear the wrath of the port authority if they try it on.

»Misrata held its own city elections in February, the first anywhere in Libya for four decades, and the new council is now busy organising the police, army, education and health services. And that is the problem. The price of this success has been a divorce from a central government. “We don't want to be independent, we want Libya to be like us,” says Farouk Ben Amin, a former rebel fighter now working in the family import business, who has shaved off his rebel beard and looks 10 years younger.

»It's not just Misrata. From all points of the compass, revolt, even revolution, is in the air as Libya's former rebel towns go their own way… […]

»The most serious challenge to central authority is Benghazi, where the revolution began in February last year. Like Misrata, Benghazi held its own elections earlier this year, and like Misrata the city council is busy assuming powers for itself at the expense of central government. Some in the city want to go further. Benghazi is the capital of Cyrenaica, which with the regions of Tripolitania and Fezzan make up Libya, and many citizens are unhappy that the province gets only 60 of the 200 seats in the national elections. A self-proclaimed Council of Barqa – the Arab name for Cyrenaica – is urging a boycott of the national elections unless it gets a bigger slice of seats.

»Benghazi is a good place to feel the continuing heartbeat of the revolution: teams of teenage volunteers collect the rubbish, fix up the streets and paint white lines on the highways. Those white lines zigzag alarmingly, but the citizens appreciate the effort; a vivid contrast to the potholed roads of Tripoli.

»It's not independence but democracy that the people want, says Hanna El Gallal, a human rights activist. “We got rid of Gaddafi, but not the regime,” she tells me. She points to the secrecy of the NTC, which, despite promising democracy, keeps its meetings secret and refuses even to disclose its full membership. “We didn't do a revolution and our people did not die to bring a new dictatorship.”

»When the NTC does issue decrees, Libyans are aghast; last month it issued law number 37, making it a criminal offence to criticise the “17 February revolution”. Human Rights Watch pointed out in a scathing report that the law is, word for word, almost the same as Gaddafi's rule banning criticism. In London last month, Libyan prime minister Abdurrahim el-Keib insisted that the law would soon be cancelled, but failed to explain why the government had introduced it in the first place. “The NTC don't mean to act this way,” said an official with a western embassy in Tripoli. “But they don't know any other way.”»

…Et ainsi continue l’article, remarquablement complet et sans rien dissimuler de la situation libyenne. Il est vrai que la Libye n’intéresse plus grand monde aujourd’hui, à l’heure où tous les regards sont conviés à se tourner vers la Syrie comme champ d’action idéal d’application du “modèle libyen” puisque le modèle a ainsi fait ses preuves. L’effet général que procure l’article est celui de la Libye transformée en une nébuleuse animée d’un mouvement centrifuge, fractionnant le pays en régions et entités diverses, certaines satisfaites de leur sort et s’offrant en modèle au reste du pays, d’autres plongées dans des affrontements insaisissables et incontrôlables, chacun organisant ses élections de son côté, le tout couronné par un “gouvernement” impuissant et conduit à des décisions arbitraires dont l'inspirateur est le colonel Kadhafi.

Les commentaires suscités par l’article ont souvent le mérite de mettre en évidence la chute vertigineuse de crédit de cette “presse libérale” de gauche dont fait partie le Guardian, qui assura une part importante de la croisade de communication contre l’interventionnisme des USA du temps de G.W. Bush. Aujourd’hui, cette presse en remonterait aux neocons, en fait de soutien à l’interventionnisme du bloc BAO et d’organisation du soutien à l’interventionnisme du bloc BAO par le biais de la manipulation de la communication. Par exemple, ce commentaire du lecteur “Rantalot”, du 10 juin également :

«The Guardian and all the rest of the mainstream media supported the criminal theft of Libya. US hegemony supported by toady brown-nosed UK, France etc, sickening to behold. The Guardian went along with the whole crock, never has such a publication lost so much credibility in such a short time.»

...D'autres, enfin, noteraient que cette évolution des “libéraux de gauche” n'est pas réellement une trahison mais plutôt un retour aux sources. Nous parlons alors des libéraux bellicistes (liberal hawks), tels qu'ils se manifestèrent lors de la guerre contre le Kosovo de 1999, qui fut complètement leur oeuvre. Ils apparaissent, ces liberal hawks dont Hillary Clinton est la pure représentante, comme les vrais architectes de la doctrine interventionniste purement d'inspiration libérale, se référant au wilsonisme (le président démocrate Wilson, de 1912 à 1920). D'ailleurs, on sait bien la filiation réelle des neocons, du trotskisme à ce même libéralisme interventionniste, et la “trahison” serait plutôt celle du “bushisme”, qui parachève l'évolution perverse du conservatisme traditionnel US, fondamentalement isolationniste à l'origine.


Mis en ligne le 12 juin 2012 à 05H36