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297318 février 2022 (06H40) – Il est vrai qu’on peut penser sans réellement chercher la petite bête, que la politique étrangère britannique, essentiellement ici pour la subcrise ukrainienne, brille par son étonnant illogisme, voire son nihilisme, – voire si je veux briller par mon vocabulaire, – son auto-néantisation. Mais pourtant... Je découvre un autre qualificatif de cette politique, pas de mon chef mais dans celui d’un excellent historien et commentateur, le professeur John Laughland : la bêtise, qu’il a la sagesse de placer au-dessus des conspirations sans nombre qui ne cessent de peser sur notre dialectique... Voici ce qu’il dit :
« Il y a une très grande médiocrité... Très souvent, la bêtise explique plus de choses que la conspiration en politique. Il y a une très grande médiocrité au sein des élites britanniques en général, et en particulier au sein du Foreign Office et je pense que c’est la seule explication que je puisse vous donner. C’est la bêtise et l’entêtement idéologique. »
Je me réfère ici à une émission de Rachel Marsden, formidable journaliste d’origine canadienne (anglophone), qui a travaillé aux USA dans nombre de grands organes d’information, qui a pris en charge son émission, la bien-nommée ‘Désordre du monde’ sur ‘Spoutnik-français’. (Marsden fait toutes ses émissions en français, et ses interlocuteurs, même lorsqu’ils sont anglophones, font de même.) Elle a un superbe carnet d’adresse, tout le monde l’appelle très chaleureusement “Rachel”, y compris John Laughland dont il est question ici (sur ‘Désordre du monde’, le 16 février, avec texte et vidéo).
Marsden introduit son émission sur une analyse de la politique étrangère du Royaume-Uni, traçant un tableau rapide des divers éléments ayant présidé à l’engagement extrêmement fort de ce pays, au côté des USA, voire à certains moments en avant des USA, dans l’actuel paroxysme ukrainien et antirusse.
« Se précipiter à l’extérieur en faisant semblant de s’occuper des soucis des autres est un bon moyen de ne pas faire face à ses propres problèmes intérieurs. C’est ce que semble se dire Boris Johnson, accusé d’avoir enfreint le confinement qu’il a imposé à ses concitoyens lors de la crise sanitaire. L’affaire qu’on appelle ‘Partygate’. Des révélations qui ont conduit à des appels à sa démission et à un vote de défiance. S’il semble tenir bon, c’est parce qu’il a l’air de s’investir au maximum sur la scène internationale.
» Dans le cadre de son escalade verbale contre la Russie à propos de l’Ukraine, Johnson prétend “craindre pour la sécurité de l’Europe”. Le 13 février, le Daily Mail révélait que l’hôte du 10 Downing Street souhaitait mener un “blitz diplomatique” en Europe afin d’“éviter la guerre en Ukraine”. »
En réponse à cette introduction, l’analyse de Laughland est encore plus radicale, lui-même montrant une sorte de désabusement profond à l’image de ce qu’il décrit. Justement, il écarte complètement les diverses considérations extérieures et va au fond ; il développe ainsi le constat d’une situation désormais devenue ontologique, qu’on retrouve tout au long de ses prises de position ; un constat qui revient, comme on l’a vu plus haut, à celui du nihilisme.
« L’approche belliqueuse de Londres n’est pas du tout la conséquence de quelques ennuis intérieurs [en référence au ‘Partygate’, NDLR]. La politique étrangère britannique est depuis longtemps d’une russophobie déconcertante... »
Plus loin, il précise à ce propos, toujours avec ce ton, qu’on sent décidément complètement désabusé tant il juge la politique extérieure britannique complètement informe, sans le moindre sens, molle comme un chewing-gum et liquide autant qu’insaisissable qu’une irritante goutte de mercure, – comme paralysée dans une sorte de sable mouvant qui serait une “boue mouvante” au centre d’un marigot qui les emprisonne absolument...
« ...La Grande-Bretagne suit les États-Unis dans une aventure idéologique dénuée de sens. Elle s’est investie de façon excessive dans l’alliance atlantique... »
Pour ce qui concerne l’épisode actuel, on cite les diverses “alertes” qui ont retenti au sein du bloc-BAO depuis quelques semaines (on pourrait d’ailleurs aussi bien dire “depuis quelques mois”, et même “depuis quelques mois”). Le gouvernement britannique s’est trouvé en première ligne pour annoncer sa mobilisation, qu’il se trouvait sur le pied de guerre, qu’il se tenait prêt, que c’était la civilisation qu’il entendait défendre devant tous les signes d’alarme dont bourdonnaient les services de renseignement occidentaux, particulièrement ceux des pays anglo-saxons, plus encore ceux les britanniques.
« Il n’y a aucun nouvel élément, bien au contraire. Londres est sur une vision je dirais extrêmement idéologique de son conflit avec la Russie, là où les pays continentaux (Allemagne et France) ont une ligne plus nuancée, une ligne diplomatique en fait. Macron a même essayé de désamorcer la crise, le chancelier allemand aussi. Londres est ce qu’il y a de plus agressif et de plus belliqueux, je dirais même davantage que Washington... »
Est-ce à dire que le Royaume-Uni est prêt à la bagarre, que même et éventuellement il la souhaite ? Laughland admet que cette posture s’appuie sur « une puissance militaire [britannique] importante en Europe », et que les dirigeants britanniques peuvent juger que cet argument peut renforcer leur position générale en Europe, après l’érosion brutale d’influence qu’a suscité le Brexit.
Pourtant, non... Sur ce terrain d’une posture agressive et flamboyante contre la Russie, le Royaume-Uni s’en tient aux insultes habituelles qu’il tempère radicalement, aussitôt, par une promesse de non-engagement, selon une posture qu’on jugerait presque, d’ailleurs à l’image imitative du comportement américaniste, ’isolationniste” (“Splendid Isolation” ? ...A part qu’on cherche la splendeur qu’on lui voyait à la fin du XIXème siècle).
Ainsi pourrait-on penser que les deux compères anglo-saxons vont de pair, presque comme avec une sorte de mimétisme qui les fait agir et réagir de même façon : le simulacre, la fureur devant les autres forces qui existent, l’arme principal de l’anathème dialectique, encore une fois le suprémacisme anglo-saxon dans le débusquement des dangers. L’affirmation de ce suprémacisme (sans autre précision, BLM veille) est abruptement suivie d’une affirmation presque grandiloquente qu’il n’est pas question qu’un seul de leurs soldats se batte pour l’Ukraine qu’ils viennent d’exhorter à ne pas craindre de se dresser pour ne faire qu’une seule bouchée de cette “invasion” russe.
« Londres dit depuis au moins dix jours que jamais un seul soldat britannique ne sera envoyé en Ukraine. Les quelques militaires sur place sont rapatriés. C’est tout le côté absurde de cette posture puisqu’aucun pays de l’Otan ne se dit prêt à faire la guerre contre les Russes en Ukraine. »
D’où ces autres extraits des déclarations de Laughland durant cette interview, qui raisonnent avec une grande amertume, puisqu’après tout c’est le spectacle d’un citoyen britannique de grand talent et historien notoire, qui décrit le déclin, la décadence de son pays. (Et l’on n’oublie pas que, plus haut, Laughland nous confiait qu’“au moins, la France « conserve une ligne diplomatique », alors que les Français ne cesser de “pleurer, ô mon pays bien-aimé”, et pour les meilleures raisons du monde de mon point de vue : Laughland n’a pas tort pour :le Royaume-Uni mais il n’a pas raison pour la France.)
Suit par conséquent l’analyse désolée de Laughland sur le triomphe de la bêtise, ce qui est parfaitement frappant et désolant pour un grand pays tel que l’Angleterre.
« Londres a une politique étrangère totalement idéologique. Les élites britanniques n’ont plus le sentiment de leur pays comme un État. Elles ne raisonnent plus en termes d’État. Elles raisonnent uniquement en termes de valeurs universelles telles qu’elles les perçoivent... [...]
» Il y a une très grande médiocrité... Très souvent, la bêtise explique plus de choses que la conspiration en politique. Il y a une très grande médiocrité au sein des élites britanniques en général, et en particulier au sein du Foreign Office et je pense que c’est la seule explication que je puisse vous donner. C’est la bêtise et l’entêtement idéologique. »
Cette introduction dans le jugement de l’élémentaire bêtise n’est pas une chose isolée aujourd’hui. Moi-même en, fait grand usage, et l’on se rappellera, déjà rappelé il y a peu, ce que Pierre-André Tazieff disait à propos du wokenisme, en citant Raymond Aron :
« Le déni du racisme anti-Blancs peut en effet exprimer soit une adhésion idéologique au racisme anti-Blancs doublée d’une volonté de cacher cette adhésion, soit une forme de conformisme relevant du politiquement correct, soit une forme de bêtise consistant à nier les évidences... [...] On a trop négligé de considérer le rôle de la bêtise dans l’histoire, comme le notait Raymond Aron. »
Il semble donc que nous nous trouvions dans une dérive collective, où nous retrouvons les mêmes tendances, les mêmes travers. Bien entendu, il s’agit du courant de la décadence accélérée qui touche toute la civilisation occidentale, qui impose une terrible désintégration des principes fondamentaux structurant une vie. Nous avons déjà rencontré cette sorte d’analyse avec les services de renseignement britanniques notamment, comme signalé dans différents textes sur la décadence extraordinaire du travail réalisé par des services aussi fameux que les MI5 et MI6 britanniques, notamment dans leurs entreprises de réalisation de faux documents, de provocations, de fausses nouvelles et de simulations d’agression, et tout cela nullement dans un but de sécurité nationale mais dans un but servant une politique partisane et la dynamique idéologique dénoncée par Laughland, et cela sans la moindre appréciation critique de cette politique et de cette dynamique.
Nous avions signalé une fiction qui décrivait excellemment le processus de désintégration interne de ces agences de sécurité dont le Grand initiateur est évidemment Tony Blair, ce faussaire qui fournit à GW Bush une bonne partie des documents où appuyer le simulacre conduisant à l’invasion de l’Irak en 2003. J’écrivais dans une des pages de ce ‘Journal-dde.crisis’, le 13 mars 2018 :
« Il y a une fiction TV qui reçut en son temps un juste accueil de reconnaissance d’excellence, qui décrit bien cette décadence vertigineuse. Il s’agit de Page Eight de 2011, avec comme héros désabusé mais opiniâtre et inflexible, un analyste du MI5, Johnny Worricker (Bill Nighy). C’est un de la vieille-école, qui se trouve plongé dans les méandres des manœuvres de corruption et de simulacre des hommes politiques (on reconnaît au passage un pseudo de Tony Blair) et de ses collègues de la nouvelle génération, ou bien de l’ancienne qui s’est adapté aux nouvelles mœurs. Le voilà face aux insinuations de divers collègues, lui conseillant de rentrer dans le rang et d’aller dans le sens du vent alors qu’il s’est lancé dans la poursuite de la révélation honnête (“pour le bien du pays”, dit-il) d’une manœuvre politicienne ; et chaque fois, son interlocuteur qui lui dit : « Réveille-toi, Johnny, nous sommes au XXIème siècle » ; et à un moment, agacé de cette répétition, Worricker qui grommelle « Mais qu’est-ce qu’ils ont tous, avec leur XXIème siècle ! » (Il finira par prendre le large, menacé de liquidation par le XXIème siècle et ses copains du MI5 rénové.) »
Le même processus a touché bien entendu les autres domaines de la sécurité nationale, comme le fameux Foreign Office si réputé pour son professionnalisme diplomatique, pour la valeur de ses analyses, pour le respect des principes de la forme diplomatique, et la culture qui va avec. Aujourd’hui, il y a Elizabeth Truss, un personnage dont on retrouve l’esquisse, en un peu plus cultivé, d’une des collègues de Worricker qui va accéder à la direction du MI5 en jetant à la mer toutes les embarrassantes contraintes des principes de son métier...
« Il est vrai que si vous dites Anthony Eden et que l’on vous réponde Elizabeth Truss, vous êtes un peu déconfit... »
Ainsi bien sûr voit-on le même processus, effectivement lancé par Tony Blair & toute sa clique en véritables modernistes-tardifs et modernistes-catastrophiques, dont Peter Laughland décrit aujourd’hui les épouvantables effets. Il est vrai encore que tous ces gens à l’esprit réputé, à l’intelligence affirmée, se trouvent, dans le maelstrom de la décadence accélérant jusqu’à l’effondrement, se ranger avec une grâce moutonnière sous l’empire de la bêtise. En effet, la bêtise à ce point, à ce niveau, à cet effet, n’est pas donnée à n’importe quoi ; il s’agit d’une sorte d’art.
Ainsi finit la gloire du suprémacisme anglo-saxon, : le suprémacisme de la bêtise.
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