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5 mars 2008 — La journée du 4 mars a été capitale pour Hillary Clinton en ce sens qu’elle a sauvé sa campagne d’un effondrement. Clinton ne se serait pas relevée d’une défaite dans l’Ohio et au Texas, peut-être même d’une défaite dans l’Ohio ou au Texas. Par contraste, ses victoires dans ces deux grands Etats constituent non seulement la poursuite de sa campagne mais une relance de sa campagne et un coup d’arrêt de la marche triomphale d’Obama.
La bataille entre les deux démocrates n’est pas une “guerre de tranchées” bien que les scores réciproques le laissent croire, mais une succession d’élans et de coups d’arrêt suggérant l’intensité de l’affrontement. Il y a donc les deux caractères de la montée aux extrêmes, additionnés, ce qui constitue une occurrence rarissime: la proximité des résultats suggérant une continuité assez assurée de l’affrontement, – alors qu’il n’y a aucune impression d’assurance de part ou d’autre, – et l’aspect éclatant des victoires et des défaites suggérant des circonstances décisives mais qui n’en sont pas.
Un coup d’œil rapide sur les circonstances des victoires d’Hillary, dans le New York Times du 5 mars:
«Senator Hillary Rodham Clinton defeated Senator Barack Obama in Ohio and Texas on Tuesday, ending a string of defeats and allowing her to soldier on in a Democratic presidential nomination race that now seems unlikely to end any time soon.
»Mrs. Clinton also won Rhode Island, while Mr. Obama won in Vermont. But the results mean that Mrs. Clinton won the two states she most needed to keep her candidacy alive.
»Her victory in Texas was razor thin and came only after most Americans had gone to bed. But by winning decisively in Ohio earlier in the evening, Mrs. Clinton was able to deliver a televised victory speech in time for the late-night news. And the result there allowed her to cast Tuesday as the beginning of a comeback even though she stood a good chance of gaining no ground against Mr. Obama in the hunt for delegates.
»“No candidate in recent history — Democratic or Republican — has won the White House without winning the Ohio primary,” Mrs. Clinton, of New York, said at a rally in Columbus, Ohio. “We all know that if we want a Democratic president, we need a Democratic nominee who can win Democratic states just like Ohio.”»
Pourtant, malgré ce caractère capital pour Clinton et comme on le voit par ailleurs, il est bien possible que cette étape des primaires doive être mieux définie par une défaite d’Obama que par une victoire de Clinton. Obama a le rythme de la nouveauté excitante pour lui, Clinton le souffle de l’expérience affirmée. C’est Obama qui règle la course mais toute faute de sa part est aussitôt exploitée par l’expérience politicienne de l’équipe Clinton. Il semble que cela a été le cas cette fois, – faute d’Obama aussitôt exploitée par Clinton. C’est un schéma logique à l'intérieur d'une élection exceptionnelle. L’élément le plus déterminant reste la proximité du nombre de délégués pour l’un et l’autre.
Le décompte des délégués, chiffres curieusement très aléatoires dans une comptabilité qui devrait être rigoureuse, donne une différence d’une centaine (plus ou moins) en faveur d’Obama (CBS News: 1.512 pour Obama, 1.423 pour Clinton ; ABC: 1.555 et 1.423), de plus en plus proches de chiffres où il deviendra impossible à l’un ou à l’autre de parvenir au total mathématiquement nécessaire pour l’emporter. Dernière grande étape où une victoire massive pourrait encore faire la différence, le 18 avril en Pennsylvanie.
Face à McCain qui a atteint le chiffre de délégués nécessaire pour la désignation républicaine, le camp démocrate, favori de l’élection, est plus que jamais divisé. Le paradoxe comptable de l’élection présidentielle 2008 tend de plus en plus à la confirmation: le camp largement favori est aussi le camp le plus divisé.
Les démocrates étaient devant deux options : une victoire massive d’Obama, accompagnée des interrogations autour d’un candidat peu connu dans ses options politiques et porté par un courant politique d’une vigueur sans guère de précédent; un enlisement dans une quasi-égalité, pouvant mener à une convention démocrate dramatique, avec des manoeuvres diverses avant et pendant cette convention pour aboutir à une nomination qui a de fortes chances d’être contestée. Dans ce deuxième cas, qui est désormais à nouveau le plus probable, que devient le courant populaire qui a porté Obama? Existe-t-il encore et comment se manifeste-t-il? Abandonne-t-il Obama, mais pour quoi, et pour qui? Il est peu probable qu’il se porte sur Clinton, qui n’a certainement pas le rythme pour l’amener vers elle. Dans ce deuxième cas, c’est toute la question de la légitimité démocrate du candidat qui est posé, parce que la vigueur de l’affrontement Obama-Clinton est telle que leur antagonisme met en cause la légitimation du vainqueur.
Dans le cas qui se dessine, l’élection présidentielle devient encore plus mystérieuse. Jusqu’alors, et tant qu’il avait son rythme avec lui, Obama était l’énigme de cette élection, – mais étant admis qu’il serait un candidat démocrate légitime, – l’énigme étant plutôt pour après sa désignation, voire sa victoire de novembre prochain. Désormais, c’est l’élection elle-même, y compris durant ces primaires, qui tend à devenir l’énigme, avec la situation démocrate incertaine. L’énigme est partout. Par exemple, c’est la quasi-certitude où l’on se jugeait être d’une désignation démocrate d’Obama qui décourageait l’un ou l’autre projet de candidature indépendante, puisqu’il semblait acquis qu’Obama attirait à lui, selon une perception plus ou moins justifiée, un courant populaire puissant (la seule occurrence qui justifie une candidature indépendante sérieuse lorsque ce courant populaire ne se satisfait pas d’un des deux partis institués). Si cette dynamique abandonne Obama, qui pourrait la reprendre à son compte? N’est-il pas trop tard pour quiconque, pour tenter de la reprendre à son compte?
Ces primaires ne cessent de nous étonner. Elles existent pour clarifier la situation mais les circonstances aboutissent au contraire. En un sens, la situation est, aujourd’hui, bien moins claire qu’elle ne l’était au début des primaires.
Même la situation républicaine n’est pas si claire, malgré qu’elle soit mathématiquement réglée. Il est difficile de saisir quel sera l’axe de la campagne de McCain, qui s’est aisément imposé dans son parti mais qui semble toujours aussi marginal dans ce parti, maintenu aux marges autant par sa réputation (usurpée ou pas, qu’importe) de maverick et de “libéral” (tout de même, type “libéral hawks” à la sauce neocon mais cela ne joue guère dans ce cas), McCain toujours fortement soupçonné de n’être certainement pas un vrai conservateur. Curieusement, l’absence de décision chez les démocrates paralyse McCain parce que son argumentation serait différente selon que Clinton ou Obama s’imposerait; et cette paralysie de l’argument empêche McCain d’entreprendre une vraie tentative de conquête de son parti…
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