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7192Depuis le début de la pandémie du COVID-19, près d’une trentaine de médicaments ont été expérimentés, dix sont encore en cours d’essai clinique. La première publication d’un essai randomisé sur des patients concerne l’association lopinavir-ritonavir. Elle a été tentée dès la première semaine après l’identification du virus. Ce sont des anti-protéase (*), mises sur le marché en 2001, catégorie de molécules mises au point pour l’HIV où elles se sont révélées très efficaces. Le protocole a été entrepris dans l’épicentre du foyer au Hubei malgré toutes les incertitudes. L’équipe soignante qui espérait trouver rapidement une solution simple pour le virus émergeant à travers un virucide dont on peut disposer à volonté a été vite déçue. La drogue n’a pas permis de modifier favorablement le cours de la maladie comparativement au groupe témoin qui recevait par ailleurs lui aussi d’autres médicaments nécessités par chaque situation clinique. Dans la discussion des résultats, on peut noter, dès ce stade, la difficulté d’interpréter les tests virologiques, ce qui souligne l’absence de leur pertinence pour juger de l’efficacité du traitement voire même du diagnostic de la maladie. 35% des patients positifs pour la recherche du virus par écouvillonnage dans les fosses nasales et l’arrière-gorge se sont révélées négatifs au premier jour de leur incorporation dans le protocole. Technique de prélèvement imparfaitement reproductible, tests de mauvaise qualité ou disparition liée à l’évolution naturelle de la maladie ? 48% étaient encore positifs au 28ème jour. L’hypothèse que soit détecté du matériel génétique viral non infectieux n’est pas à écarter. On sait que la Chine a revu la sensibilité des tests employés en début de crise, elle est estimée à 70% avec une bonne sensibilité.
Une autre catégorie de molécules a été assez vite essayée.
Le remdesevir est un analogue nucléotidique qui entrave l’enzyme de réplication du virus et qui a été mis au point par le laboratoire étasunien Gilead pour le virus Ebola. Contrairement à l’association lopinavir-ritonavir, il réprime activement le sars-CoV-2 en culture cellulaire.
Début avril, un travail rétrospectif sur un faible nombre (53 patients) ayant reçu la molécule à titre compassionnel a montré une amélioration chez 68%, une aggravation chez 8%, et il avait suscité l’enthousiasme des investisseurs.
Des données préliminaires d’un essai mené en Chine ont montré son inefficacité dans un essai rigoureux randomisé qui a été interrompu prématurément faute de malades répondant aux critères d’inclusion. Il a même été abandonné chez 18 patients (sur un total de 158 traités) en raison d’effets secondaires trop importants. Les résultats de cet essai ont été contestés par la firme qui produit la molécule. Elle a argué du faible recrutement qui ne permet pas des conclusions statistiquement significatives. A l’annonce du résultat de cette étude, les actions de la firme ont chuté de 4% à $77,78 avec une interruption momentanée de son trading sur le Nasdaq. La semaine précédente, sur l’espoir que la molécule pouvait être validée d’après une étude menée à l’Université de Chicago, elle avait atteint $84, valorisant la société à près de $100 milliards.
Un protocole mené sur 47 centres concernant des milliers de patients est en cours de recrutement aux Usa. Le Professeur Anthony Fauci, responsable du National Institute of Allergy and Infectious Disease, a fait une déclaration publique en présence du Président des Usa pour énoncer des résultats préliminaires d’un protocole réalisé sur près de 1 000 patients. Le remdesevir administré par voie intraveineuse raccourcit de 31% la durée de la maladie (11 jours versus 15 jours) sans effet notable sur la mortalité 8% versus 11% chez le groupe placebo. Gilead annonce par ailleurs que 5 jours d’administration ont le même effet que 10 jours.
Fait unique dans l’histoire, les avancées thérapeutiques sont ainsi théâtralisées et politisées. Fauci, conseiller de Trump pour le COVID-19, l’avait contredit en particulier sur un dé-confinement trop précoce et s’était vu menacé de licenciement. L’administration étasunienne a dès lors, malgré la minceur de ses effets, inscrit cette molécule comme traitement standard du COVID-19.
Le 23 mars, Gilead a demandé à la FDA que soit accordé à sa drogue le statut de médicament orphelin. Réservé à certains médicaments qui concernent un public potentiel de moins de 200 000 personnes, ce statut permettrait à la firme de bénéficier de crédits d’impôts tout en conservant l’exclusivité de sa production. Le gouvernement américain avait déjà octroyé $79 millions de financement à Gilead en 2014 pour le développement de cette molécule contre Ebola. On sait par ailleurs ses profits faramineux tirés des antiviraux catalogués comme orphelins qu’elle avait développés contre l’hépatite C, Sovaldi puis Harvoni. Après avoir acquis la firme Pharmasset qui a élaboré Sovaldi, elle a haussé le prix du comprimé à $1 000 et la cure complète sur 12 semaines à $84 000. La cure par Harnovi mis sur le marché peu de temps après coûtait $94 000. Joseph Grogan, ancien lobbyiste de Gilead, fait partie de l’équipe Coronavirus qui conseille Trump ; il ne faut alors pas s’étonner des prises de position à un si haut niveau de l’État pour une question qui aurait dû rester entre les mains de chercheurs indépendants.
Il semble que la requête de Gilead pour bénéficier de la désignation d’orphelin ait été motivée par le succès enregistré en Chine de l’Interféron recombinant alpha 2-B, de fabrication cubaine, dans le traitement du COVID-19 à un stade précoce.
A l’international, la molécule est généricable, il faut s’attendre à ce que nombre de pays la produise, en particulier l’Inde et la Chine et la distribuent autour de son prix réel de production.
Les molécules candidates pour le traitement de COVID-19 sont toutes anciennes. Ainsi testées souvent après l’argument de leur efficacité en culture cellulaire ou chez l’animal, elles sont repositionnées. Le public ignore le niveau d’indigence des firmes privées en matière de recherche et développement entre les mains desquelles repose l’initiative de la conception et de la production des médicaments. L’absence de leur investissement dans la mise au point de nouveaux antibiotiques contre des bactéries émergentes multi-résistantes en est une illustration. Cette menace pour la santé mondiale ne les préoccupe pas car il s’agit de niches peu rentables.
Le remdesevir est un métabolite leurre qui agit en trompant la synthèse de l’ARN ou de l’ADN (**). Le principe de l’utilisation de tels métabolites leurres par modification minime de leur structure est connu et pratiqué depuis les années cinquante pour le traitement du cancer. Le 5 fluoro-uracile ou 5 FU a été employé la première fois en 1957. Charles Heidelberger, qui a eu l’idée d’incorporer le fluor dans une base de nucléotides était professeur à l’université du Wisconsin avant de collaborer avec la firme Roche pour élaborer le 5FU.
Sans la recherche fondamentale publique qui découvre de nouvelles voies thérapeutiques, les firmes ne peuvent développer de nouveaux médicaments.
Le dogme de l’austérité appliqué à tous les secteurs de l’activité publique a réduit considérablement les moyens de l’enseignement et la recherche. La raréfaction des postes dans les unités de recherche a par ailleurs conduit à des distorsions dans le recrutement, la sélection se fait souvent sur la cooptation et le conformisme des candidats. Le plus souvent les contrats précaires, mal payés, sont multipliés et assurent leur fonctionnement. La vie des laboratoires est ensuite conditionnée à leur financement de plus en plus subordonné à un partenariat avec le privé. Le nombre de publications est le label des laboratoires, ce qui conduit à une inflation de papiers souvent sans grande valeur et parfois entachés de fraudes.
La connaissance extensive des interactions entre le virus et les molécules de la cellule hôte a permis à des chercheurs de l’Université de Californie de lister près de 70 médicaments déjà approuvés par la FDA dans d’autres pathologies et 47 furent retenus pour être testés sans que l’on sache quel type d’effet serait obtenu. Certaines semblent prometteuses, d’autres risquent d’aggraver la pathologie. C’est pourquoi dans le COVID-19 on voit réapparaître les antipaludéens, l’hydroxy-chloroquine mise sur la marché en 1997, l’ivermectine, un antiparasitaire avec une autorisation datant de 2001, et le mésylate de camostat, un médicament développé pour le traitement de la pancréatite en 1985 comme hypothèses thérapeutiques. Ces trois molécules sont candidates car elles ont montré leur efficacité en culture cellulaire contre le Sars-CoV-2.
De l’observation sur cellule isolée artificiellement éternalisée à l’administration à l’organisme humain, l’épreuve des tests cliniques rigoureux est impérieuse. Partant du constat que la présence de matériel génétique dans l’oropharynx n’est pas pathognomonique de la maladie et que son absence vérifiée au moyen de technique supposant un écouvillonnage et une RT-PCR n’exclut pas la maladie, il faudra raisonnablement s’adresser à des critères cliniques d’efficacité.
La recommandation de limiter l’administration de substances présumées actives à des stades précoces de la maladie suppose le diagnostic massif de porteurs, leur observation et leur mise sous traitement dès l’annonce de symptômes et la surveillance de leurs effets secondaires. Autant mettre de l’hydroxy-chloroquine et de l’ivermectine dans l’eau du robinet dans le contexte d’une épidémie.
Des pistes séduisantes sont néanmoins offertes par la connaissance précise de la structure du virus et sa physiologie. Par exemple, des chercheurs du MIT ont mis au point une séquence de 23 acides aminés qui représentent la zone de contact entre la spicule de la couronne du virus et le récepteur ACE2 de la cellule, préalable à sa pénétration. Fourni à l’excès au virus, le polypeptide pourrait en recouvrant tous les spicules cantonner le virus qui resterait dans le secteur extracellulaire. Ils mettent à la disposition des équipes qui le souhaitent le peptide et ses variantes. Il faut maintenant trouver la forme galénique qui permette de conserver en circulation le peptide concurrent du ligand cellulaire.
La consultation de la littérature scientifique la plus récente sur le COVID-19, en particulier les articles non encore admis à la publication, montre une part très réduite, autour de 6% réservée à la recherche thérapeutique. Beaucoup s’intéressent à l’épidémiologie, l’expression de la maladie et ses mécanismes physiopathologiques. Il est vrai que nombre d’essais lancés ne donneront des résultats interprétables que dans seulement quelques semaines. Le résultat du travail mené par une équipe danoise sur la mésylate de camostat, déjà existante et génériquée et d’une possible utilisation très ample comme le nécessite une pandémie ne sera connu que dans trois mois. On doit à une équipe allemande l’identification début mars du rôle d’une enzyme transmembranaire de la cellule hôte recrutée par le virus pour assurer sa pénétration inhibée par le camostat.
Il est d’autant plus impératif de trouver rapidement un virucide contre le SARS-CoV-2 qu’il existe une probabilité que la maladie ne soit pas immunisante. La réadmission à l’hôpital d’une patiente un mois après sa guérison apparente illustre ces difficultés. Les coronavirus des rhumes saisonniers peuvent réinfecter le même patient deux ou trois fois de suite au cours de la même saison en produisant à chaque fois les mêmes symptômes avec une gravité équivalente. Le Sars-coV-2 pourrait fonctionner de la même manière et faire que l’immunité de groupe espérée ne soit qu’une illusion, de même l’investissement mis dans l’élaboration de vaccins. De plus, outre les problèmes techniques liés à une possible réaction hyper-immune, la validation d’une vaccination de masse nécessite une dizaine d’années en temps normal.
La pandémie met à nu nombre de distorsions dans le fonctionnement social au niveau de la santé publique. L’abandon des services publics apparaît dans sa pleine cruauté dans le manque de lits hospitaliers et particulièrement dans les services de soin intensifs. Elle met en lumière l’insouciance coupable des responsables incapables d’imaginer le principe de précaution qui imposait jusqu’à il y a peu l’obligation d’entretenir des réserves de médicaments et de matériels de protection. Elle dénonce l’indolence irresponsable des dirigeants politiques incapables de réquisitionner pour produire localement et souverainement ce dont le pays a besoin.
Elle permet de mettre le doigt sur la désindustrialisation des pays occidentaux qui ont délocalisé le ‘sale’ et le ‘hard’ dans des contrées lointaines où la main d’œuvre est à moindre coût et non organisée pour se défendre. Ces pays connaissent une pénurie quasi-chronique en médicaments car les Big Pharma les délivrent à flux tendus depuis la Chine en particulier. Le public s’est mépris sur le contingentement de l’hydroxy-chloroquine. Importée, une demande massive aurait laissé les patients sous traitement chronique sans accès à leur médicament et révélé la pénurie organisée par Big Pharma et consentie sans discussion par les autorités sanitaires et les organismes payeurs.
Mais aussi, cette pandémie devrait instruire les peuples sur la scandaleuse gestion du médicament par des sociétés paralysées par l’obligation de permettre des profits gigantesques immédiats à des entreprises payées par l’épargne des travailleurs.
Les Big Pharma ont un taux de rentabilité supérieurs aux banques.
Elles utilisent les États pour leur faire admettre leurs prix.
Elles dépensent davantage en marketing et subornation des prescripteurs qu’en recherche.
Elles innovent peu. En amont, la recherche publique qui les fournissait en idées devient indigente.
Leurs études précliniques et cliniques sont peu contrôlées par les autorités sanitaires. Pour mémoire, on peut citer les scandales du Mediator en France et de l’Oxycontin aux Usa.
Elles ne doivent leur existence qu’aux caisses de sécurité sociale qui n’ont aucun droit de regard sur leurs produits et leurs prix.
On change tout ça ?
(*) Molécules qui contrarient des enzymes de l’hôte indispensables à la production du matériel viral.
(**) Le matériel génétique est en effet une combinaison de 4 briques, les nucléotides faits d’une base et d’un sucre, désignées par la première du nom de la base qui les constitue. L’adénosine, résultat de l’adénine et du sucre ribose pour l’ARN ou désoxyribose pour l’ADN est désignée par A les trois autres sont T, G et C.