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3100Signalons d’abord que nous nous situons à côté, plutôt sur la rive de ce fleuve tumultueux, ce stupéfiant déferlement d’exclamations d’extase, de longues salutations hagiographiques, d’acclamations miraculeuses qui ont accompagné la mort du président Chirac. “Après Johnny, pourquoi pas ?”, observerait quelque esprit sceptique sinon cynique... On s’autorisera aussitôt, pour lever toute ambiguïté, même d’observer tout de même que la chose relevée ici nous en dit plus, beaucoup plus sur l’époque que sur un éventuel Saint-Chirac. Pour ceux qui ont le privilège pesant d’avoir vécu avec une conscience politique nette et undépendante, tout en en gardant aujourd’hui bonne mémoire, du temps du Chirac des années 1970 ou 1980, voire des années 1990, la stupéfaction est effectivement de mise car nul n’épargna Chirac et ses multiples voltefaces, et une haine solide des milieux “comme-il-faut” (PC aujourd’hui, toujours caviar et poil-de-chameau) l’accompagna tout du long, souvent exagérée mais pas toujours imméritée. Le traitement dont bénéficie aujourd’hui Chirac égale par exemple, dans le stupéfiant, le culte dont est entouré aujourd’hui également dans notre monde-PC le dialoguiste, cinéaste et artiste Michel Audiard, qui fut en son temps le sujet d’une haine à peu près similaire chez les “comme-il-faut”.
Mais l’analogie suggérée ici concerne effectivement les époques et leurs contrepieds, leurs slaloms entre principes et simulacres. Elle s’arrête là et ne concerne pas les sujets ; donc, il n’est pas lieu de comparer un Chirac à un Audiard en aucune façon, ni précisément au niveau des idées (Audiard en avait beaucoup).
Pour caractériser l’homme et l’homme politique successivement, nous avons emprunté deux textes, – peut-être avant que PhG ne se décide à sortir son artillerie, ce qui est dans la zone des possibles tempêtes... L’un, à notre sens, illustre plutôt le personnage symbolique et l’indéniable sympathie, presque instinctive, dont il était effectivement entouré au niveau du “populo” disons dans le langage d’alors, et qui s’impose aujourd’hui comme une étrange vertu, comme si nous regrettions nos vertus perdues ; puisque, après tout, il s’agit d’un personnage “bien français”, type-“mâle blanc...” etc., gouailleur, franc du collier, énergique et ripailleur, ne mâchant pas ses mots pour exprimer les sentiments des fans du Michel Sardou des Bals populaires... Bref, diraient certains contradicteurs à l’image facile, une sorte de Gilet-Jaune qui ne serait pas encore malheureux, un populiste vieux style (après tout, Victor Hugo était bien un “populiste” et c’était sa vertu de géant du Génie français, selon Régis Debray), celui qui force au constat que La nostalgie n’est plus ce qu’elle était (auteure Simone Signoret)...
L’autre texte est plus concret, plus politique, venu d’un gaulliste sourcilleux qui jauge l’action politique avec une certaine sévérité qui n’est pas sans justification. Le constat est celui d’un va-et-vieux entre approbation et dénonciation, ce parcours incertain d’un Chirac préoccupé de la durée politique plus que de la durée d’une politique, illustrant fort bien le cheminement français dans ces décennies à la fois chaotiques et amères, souvent crépusculaires dans la pente suivie, – mais parfois, il est vrai, éclairées sinon illuminées d’un éclair de lumière. Pour Chirac et pour terminer sur le meilleur, il faut donc lui reconnaître qu’il en eut un qui surgit comme une étrange surprise, – “divine surprise” sans lendemain ? – au milieu d’un quinquennat sommeillant ; tout le monde l’a reconnu puisqu’il s’agit du sursaut de 2003 et l’opposition tragique et sublime à la guerre contre l’Irak. La chose est, d’une manière assez étrange par rapport au courant politique dominant de l’époque qui est cette époque que nous vivons, retenue presque unanimement comme l’acte héroïque pur, effectivement sursaut d’une intuition purement française contre la catastrophe s’abattant sur le monde.
Le premier texte (titre originel : « Pourquoi les Français ont tant aimé Chirac ») est de Arnaud Benedetti, professeur associé à la Sorbonne, spécialiste en communication, auteur du Coup de com’ permanent (Éd. du Cerf, 2017), dans FigaroVox le 26 septembre 2019. Le second (titre originel : « Chirac : “quand il était là, la France ne passait pas inaperçue” ») est une interview par Maxime Perrotin de Roland Hureaux, ancien diplomate et homme politique, président de “Mouvance France” et auteur du livre L’actualité du gaullisme, dans Spoutnik-français, le même 26 septembre 2019.
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Une France des cantons et des marchés, une France du “cursus honorum” républicain et des poignées de mains, une façon virile et cordiale de procéder à l’exercice politique. Chirac dont il est trop tôt pour établir un bilan politique était une synthèse: son ambition était le pouvoir ; son ambition au pouvoir était de s’y maintenir ; son pouvoir était la sympathie qui émanait du personnage.
Pompidolien par son goût de la simplicité, travailliste par nostalgie progressiste de jeunesse, gaulliste par socialisation militante, Chirac était d’abord un radical-socialiste. Il respirait une république des terroirs avant la France des périphéries.
Rien en lui n’allergisait. Il respirait le pays, il en était le reflet: opportuniste quand il le fallait, velléitaire parfois quand, – au bord de la réforme et de ses précipices d’opinion, – il se cabrait au moindre souffle d’une opinion qu’il jugeait rétive pour mieux reculer et se réserver, incantatoire quand il s’agissait de dénoncer “le parti de l’étranger” ou de vouloir défier la “fracture sociale”, retors aussi quand il s’agissait d’éliminer un concurrent, inspiré enfin lorsqu’il opposa le refus du “vieux pays” à suivre les boys de l’US army dans un raid irakien dont on n’a pas fini de solder dans la souffrance les conséquences.
Les Français aimèrent Chirac pour l’imaginaire de contradictions et parfois de faiblesses qu’il incarnait, pour l’énergie à la hussarde qu’il déployait quasi physiquement. Cet athlète de la politique, qui avait traversé les déserts de l’impopularité aussi, qui avait échoué souvent dans son irrépressible envie du pouvoir, qui s’était mu de jeune loup carnassier de la chose publique en vieux fauve des rings électoraux, ne portait pas une idée à l’instar d’un De Gaulle mais une intuition. L’intuition d’un pays blessé qui n’était plus ce qu’il fut, d’un pays qui avait sédimenté tant de traumas qu’il ne fallait pas bousculer au-delà du nécessaire, ni blesser par une sémantique excessive.
Chirac sentait le pays, ne le transforma pas fondamentalement, l’accompagna dans des changements imposés plus par le cours des événements que par volontarisme personnel, l’habita comme on habite une vieille maison dont la façade dissimule l’usure des temps. Chirac fut de son temps, de son peuple, et des hésitations de ce dernier. En ce sens il fut l’homme du destin de son époque. C’est à cela que l’on reconnaît l’animal démocratique. Chirac en fut un: sans conteste, avec ses aspérités, ses spontanéités également, et cette infatigable capacité à ne jamais renoncer, à “tarauder les planches de bois dur” dont Max Weber fait la matrice de celui qui a “la vocation” de la politique .
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Héritier ou liquidateur de l’héritage gaullien? Affirmation de la France à l’international, mais réformateur timide, Européen convaincu, mais fervent défenseur des paysans… Jacques Chirac a laissé des « souvenirs mitigés » aux Français, détaille Roland Hureaux, ancien diplomate et homme politique.
« Il a été le dernier des chefs d’État occidentaux à jeter un défi à l’Amérique, avec un refus de participer à la guerre contre l’Irak. [...]C’est un dernier témoignage aussi du fait que la France pouvait avoir dans des circonstances exceptionnelles et graves une politique indépendante. »
Roland Hureaux, ancien haut fonctionnaire, diplomate et homme politique proche de Philippe Séguin puis de Jean-Pierre Chevènement, revient pour Sputnik sur la figure politique que fut Jacques Chirac. «Il a été incontestablement le chef de la droite sur le plan politique, de 1981 jusqu’à la fin de sa carrière politique en 2007.» L’ancien locataire de l’Élysée, de Matignon et l’Hôtel de Ville de Paris s’est éteint ce jeudi 26 septembre au matin, à l’âge de 86 ans, des suites d’une longue maladie évolutive.
Des douze années qu’il passa à la tête de l’exécutif, son opposition à la Guerre du Golfe de 2003, est sans conteste le premier élément qui vient à l’esprit des Français, mais aussi des étrangers, interrogés à son sujet. Un rayonnement international « largement » acquis par ce refus d’emboîter le pas à Georges W. Bush dans un conflit qui perdure, ce que « les Français ne soupçonnent pas toujours », estime Roland Hureaux.
Un coup d’éclat qui a éclipsé dans la mémoire collective le précédent alignement de Jacques Chirac sur les positions américaines, durant la guerre de Yougoslavie [“guerre du Kosovo”] à la fin des années 90. Une position « désastreuse » aux yeux de notre intervenant, « où la France s’est liée aux États-Unis contre un ami historique qu’était la Serbie », rappelant l’engagement de Paris aux côtés des forces de l’Otan. Roland Hureaux souligne qu’à l’époque, le fils et le petit-fils du Général de Gaulle, respectivement au Sénat et à l’Assemblée nationale, s’étaient opposés à cette intervention militaire de la France.
« Je pense que si la France avait refusé de participer, cette guerre n’aurait pas eu lieu. […]François Mitterrand, qui pourtant n’était pas gaulliste, avait dit de son vivant “Tant que je serais Président, je ne ferai pas la guerre à la Serbie”, c’est un engagement que Chirac n’a pas tenu. »
Il faut dire que s’il s’est distingué sur la scène internationale et qu’il fut « une figure emblématique très précieuse » pour la droite, l’ancien chef d’État a « déçu incontestablement » dans son camp sur le plan de la politique intérieure, en premier lieu ceux qui voyaient en lui un réformateur, souligne notre intervenant. Ce dernier dresse ainsi les différents éléments qui contribuent au souvenir « un peu intermédiaire, pour ne pas dire mitigé » que gardent les Français de son passage au pouvoir.
« Sous ses allures cheveux courts, “fana mili” autoritaire, il masquait un radical-socialiste prêt à tous les compromis, qui voulait rester proche des syndicats, même proche d’une certaine gauche et qui n’a pas voulu remettre en cause l’héritage social –il faut bien dire– un petit peu lourd de la France. »
Roland Hureaux dresse ainsi le parallèle entre ceux qui estiment que Jacques Chirac a permis au gaullisme de se survivre et ceux qui estiment qu’il a été le « liquidateur » de l’héritage gaullien. Un dernier point de vue qu’il estime « sans doute exagéré ».
« Il y avait au moins dans son allure physique, sa manière de parler de la France, des échos de ce qu’avait été et de ce qu’avait voulu le Général de Gaulle. »
Quoi qu’il en soit, Jacques Chirac fut un « Président de transition » dans la Ve République, entre ceux de l’ère gaullienne (de Gaulle et Pompidou) et ses successeurs qui ont « incontestablement tourné le dos » à l’héritage du Général de Gaulle.
Un héritage auquel Jacques Chirac tourna parfois lui-même le dos, « d’abord par rapport à l’Europe », estime Roland Hureaux. Il rappelle son « ménagement » à l’égard des centristes « attachés à la construction européenne », Jacques Chirac prenant position en faveur du “Oui” aux référendums de 1992 puis de 2005 –respectivement pour le traité de Maastricht instaurant l’euro et pour le traité établissant une Constitution pour l’Europe. Ce dernier sera toutefois rejeté à plus de 54,6% par les Français.
« On pourrait dire que lui croyait en toute sincérité que les Français étaient acquis à l’Europe et qu’il y aurait un vote massif, ce qui témoignait d’un certain décalage avec l’opinion publique, qu’il avait très, très bien ressentie en début de carrière et qu’il ressentait moins bien en fin de carrière. »
Autre référendum, celui de la réforme sur le quinquennat à l’automne 2000, qui réduisit la durée du mandat présidentiel de sept à cinq ans. Aux yeux de Roland Hureaux, ce remaniement constitutionnel n’a pas eu seulement pour effet d’affaiblir l’image présidentielle en faisant du président un homme de parti plutôt qu’un homme au-dessus des partis:
« Paradoxalement, le passage du septennat au quinquennat a aussi abouti –ce que Chirac n’avait pas du tout prévu– à l’abaissement du rôle du Parlement, puisque depuis, il est toujours élu dans la foulée de l’élection présidentielle, donc il a très peu d’autonomie par rapport au Président de la République élu, qui obtient généralement une majorité. »
Pour autant, Jacques Chirac conserve auprès de nos concitoyens une image « très française », notamment par ses origines qu’il ne trahira jamais, conservant une gouaille et un style qui le rendaient très attachant pour de nombreux Français:
« Il aimait la bière, il aimait les femmes, il avait tout un côté conforme à l’image qu’on se fait généralement de la France et puis il avait une présence physique qui faisait que quand il était là, le représentant de la France ne passait pas inaperçu. »
Roland Hureaux rappelle enfin qu’au premier rang de ceux qui regrettent le plus l’ancien Président de la République figurent les agriculteurs, rappelant son tact et sa bonhomie quand il s’adressait à eux et surtout
« En tout début de carrière, il s’était taillé une grande popularité chez les éleveurs du Massif central, en obtenant de Bruxelles, par des coups d’éclat, dont beaucoup ont encore la mémoire, des avantages tout à fait considérables. »