EADS entre Chine et USA, avec l’“American Dream” pour toute raison

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Il est caractéristique d’observer combien les industriels européens de l’armement, ces gens qui se définissent eux-mêmes comme réalistes et peu sentimentaux, vivent dans l’intense fascination de l’American Dream (exprimé pour ce cas en contrats portant sur des $milliards). L’à-propos de cette remarque vient de la déclaration d’un des co-présidents d’EADS, selon laquelle le consortium européen déclare ne pas envisager de vendre des armes à la Chine, même si l’embargo est levé. EADS, avec BAE, est le second très grand groupe “européen” (guillemets pour BAE) à annoncer son intention de ne pas commercer avec la Chine dans le domaine des armements, pour rester disponible pour Washington.

Déclaration le 12 avril 2005, au cours d’un colloque à Berlin, de l’Allemand Rainer Hertrich, coprésident du directoire EADS: « En tant qu'entreprise nous devons suivre notre propre politique. Nous connaissons très bien nos intérêts. Et nous sommes fermement décidés à faire une offre très attractive à l'US Air Force pour le renouvellement de sa flotte d'avions ravitailleurs, et à nous établir sur le marché de la défense américain — le plus grand du monde... Les menaces américaines de cesser tous les transferts et exportations de technologies vers l'Europe montrent clairement que nous devons tenir compte des États-Unis pour ce qui touche à la Chine et à Taïwan. »

Hertrich fait allusion, bien sûr, à l’éventuel marché des ravitailleurs KC-767 de l’U.S. Air Force. Initialement, Boeing avait été choisi pour ce marché puis l’affaire a du être abandonnée à la suite d’un scandale voyant qui a envoyé un vice-président de Boeing et le chef des acquisitions de l’USAF en prison. Boeing, profitant de sa position de monopole dans le domaine, avait imposé des conditions qui lui laissaient de substantiel bénéfices évalués à 15% d’un marché de $23 milliards. La relance du programme nécessite impérativement pour le Pentagone une concurrence, pour permettre une pression sur les soumissionnaires (c’est-à-dire Boeing…) et une réduction des prix. C’est pour cette raison que Airbus a sa “chance”, — mais de quelle “chance” s’agit-il?

Croire que, dans le climat actuel, EADS ait une véritable “chance” de l’emporter relève du conte de fée, ou bien de la fascination relevé plus haut, — ce qui est la même chose, d’ailleurs. EADS servira d’abord et essentiellement de “lièvre” pour faire pression sur Boeing. Pour le reste, EADS croit-il vraiment avoir une “chance”? Oui, certainement, si l’on s’en tient à ce qu’on sait de cette psychologie si profondément naïve à force d’illusions des industriels européens.

D’ailleurs, sert-il à quelque chose de continuer à argumenter? La meilleure chance (sans guillemets) d’EADS n’est-elle pas dans les déclarations de sénateur Norm Dicks annonçant la menace d’interdiction de la participation d’EADS au marché? Cela éviterait les illusions, les dépenses somptuaires d’une campagne de marketing et de lâcher la proie pour l’ombre; on se tournerait alors vers la Chine, si l’embargo est levée, pour préparer l’avenir, face à des dirigeants chinois pas très satisfaits d’être traités de la sorte. Rainer Hertrich a-t-il lu les déclarations du sénateur Dicks? Que valent les déclarations du sénateur Dicks et les réalités washingtoniennes, et l’expérience de soixante ans de protection et de blocage des marchés de défense pour les non-US (sauf pour les néo-Américains type BAE), face à la fascination de l’American Dream?

Toutes ces possibilités auraient pu au moins suggérer un peu de sens tactique à Rainer Hertrich, par exemple en s’abstenant d’une déclaration qui revient à se débarrasser d’une carte (la possibilité éventuelle de se tourner vers le marché chinois) avant d’avoir obtenu un engagement public du côté US. Mais on ne négocie pas avec l’American Dream, on s’y soumet.


Mis en ligne le 13 avril 2005 à 13H30