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1357Le 12 avril 2002 — Pour mieux sentir, voire mesurer l'évolution des rapports entre l'Europe et les États-Unis, il n'est pas déplacés de s'en remettre aux détails (les « petits faits de la vie » de Stendhal). Mentionnés par inadvertance ou accessoirement dans une époque qui emprisonne extraordinairement le sens de la pensée (le conformisme est aujourd'hui le plus efficace des geôliers), dits dans un contexte qu'on juge “sécurisé”, ils sont infiniment révélateurs. En voici deux. Ils sont là plus que pour l'exemple.
• Le premier vient d'un article du Financial Times du 11 avril sur la question de la crise euro-américaine des tarifs de l'acier. C'est un mot de Robert Zoellick, U.S. Trade Representative, parlant à des négociateurs chinois. Il nous montre que les Européens n'ont pas très bonne réputation, et cela est dit dans des termes que n'aurait pas désavoués le président Mao Zedong, in illo tempore certes, le Mao de la révolution culturelle. Selon le FT :
« Robert Zoellick, US trade representative, on Wednesday warned China against joining the ''running dogs of European imperialism'' to oppose the tariffs. But Chinese officials said they would press on with a complaint to the WTO. »
• L'autre vient d'une analyse de l'agence Reuters,en date du 11 avril également, concernant l'installation du nouveau Tribunal International à La Haye. Les Américains y sont viscéralement opposés, particulièrement les républicains. On apprend dans cette analyse que ces mêmes républicains travaillent sur une législation qui prévoit notamment l'usage de la force pour libérer tout Américain qui serait éventuellement traduit devant le tribunal de La Haye ; il s'agit donc explicitement de l'usage de la force par les Américains à La Haye, non ? Cette législation en préparation ouvre des horizons, par l'esprit qui l'habite.
« >MI>Republican Congressmen have introduced a smattering of retaliatory legislation, ranging from forbidding any U.S. contact with the court and punishing those ratifying the treaty to using force to free any American brought to The Hague.
Ce domaine précis de l'évolution de la rhétorique américaine par rapport à l'Europe est intéressant. C'est le seul où une radicalisation aussi extrême du langage américain s'exerce à l'égard, ou plutôt à l'encontre d'une entité identifiée très précisément, historiquement et géographiquement, culturellement et politiquement. (La rhétorique américaine contre le terrorisme, qui est la plus violente, est abstraite, notamment parce qu'elle écarte absolument le syndrome du soi-disant “choc des civilisations” en écartant l'identification des terroristes comme musulmans.)
Les Européens s'abstiennent de tels écarts de langage, dans tous les cas en public. (En privé, c'est une autre affaire : là aussi, il y a une évolution en cours, qui laisse à penser, qui en dit long.) Au contraire, les Européens continuent à pousser le langage d'amitié avec les USA au maximum du conformisme (les Britanniques sont les maîtres de cet exercice). Cette posture en porte-à-faux aura du mal à se poursuivre très longtemps, surtout si les Européens parviennent à commencer à s'affirmer politiquement comme voie alternative à la voie unilatéraliste américaine.
Tout cela n'est pas indifférent, certainement pas accessoire malgré l'apparence. Notre époque est celle de la communication à très grande vitesse de l'information. Le langage, même accessoire ou par inadvertance, même derrière le rideau de fumée du conformisme, d'abord reflète le jugement en formation, et aussi il est déjà un acte politique en soi. La logique est inexorable : elle ne peut pas ne pas produire, d'une façon ou d'une autre, des conséquences politiques.