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629219 septembre 2023 (17H15) – On découvre, pour notre compte dans tous les cas, avec un texte récent de ‘SputnikNews’ une vérité foudroyante, une analogie historique qui doit prendre le rang d’événement à la fois symbolique et ontologique. Cela ne signifie nullement que l’on ignorait le phénomène ni que le texte en question nous offre une analyse suffisante pour le constat que nous faisons ; simplement, il nous a offert diverses remarques et quelques détails qui se sont structurés d’eux-mêmes, et brusquement, sesont organisés en un schéma qui nous est revenu à l’esprit.
Voilà la chose, ce texte a plutôt éveillé une mémoire historique enrichi d’une perception symbolique très forte que nous éprouvâmes dans la période à laquelle il nous ramène, – l’URSS gérontocratique des années 1980-1985 qui sont celles du véritable effondrement métahistorique. (Sans elles, il n’y aurait pas eu Gorbatchev parce que Gorbatchev n’aurait pas été nécessaire.)
A cette époque, avec les trois secrétaires généraux du PC qui se sont succédés dans une tempête de toux et de trébuchements hagards (Brejnev, Andropov, Tchernenko), l’équilibre psychologique et physique des dirigeants (soviétiques dans ce cas) était une question d’une extrême importance. Elle interférait directement sur les questions stratégiques les plus graves en influant gravement sur la perception, les jugements et éventuellement les décisions de ces vieillards effectivement effrayés par ce qu’ils percevaient des évènements. Durant cette période, notamment durant l’année 1983 lorsqu’eut lieu un exercice de commandement en temps de guerre nucléaire de l’OTAN nommé ‘Able Archer 1983’, les dirigeants soviétiques vécurent dans l’angoisse d’une attaque en première frappe nucléaire des États-Unis. Dans son analyse générale rendue publique de ce que les services de renseignement soviétiques nommèrent l’opération ‘RYAN’ concernant ces craintes d’une agression US, la CIA décrivit notamment les réactions de la direction washingtonienne à cette attitude psychologique des dirigeants soviétiques.
« Le président Reagan déclare dans ses mémoires, sans se référer aux rapports des services de renseignement britanniques ou à ABLE ARCHER, qu'à la fin de 1983, il avait été surpris d'apprendre que “de nombreuses personnes au sommet de la hiérarchie soviétique avaient véritablement peur de l'Amérique et des Américains” et que “de nombreux responsables soviétiques nous craignaient non seulement en tant qu'adversaires, mais aussi en tant qu'agresseurs potentiels susceptibles de leur lancer des armes nucléaires lors d'une première frappe”. [...]
» Mais une enquête plus approfondie sur l'attitude des Soviétiques, envoyée à la Maison Blanche au début de 1984 par le directeur de la CIA William Casey, basée en partie sur les rapports de l'agent double Gordievsky, eut un effet beaucoup plus grand. Après avoir lu le rapport, Reagan sembla d'une gravité inhabituelle et demanda à [son conseiller] McFarlane : “Pensez-vous qu'ils y croient vraiment ? ...Je n’arrive pas à croire qu’ils pourraient le croire vraiment, – mais c'est une chose à laquelle il faut penser”... »
Cette situation tragique pour les deux superpuissances et l’équilibre la paix mondiale avait bien entendu des aspects involontairement comiques. J’avoue sans dissimulation qu’il m’a fallu attendre jusqu’à aujourd’hui pour connaître de l’excellente blague de Reagan qui passait aisément du gravement sérieux à la plaisanterie. Par la même occasion, il nous ramène à la situation présente.
« ”Rappelez-vous ce que disait Reagan lorsqu'on lui avait demandé pourquoi il ne parlait pas avec les dirigeants soviétiques [d’avant Gorbatchev] : ‘Parce qu'ils risquent de mourir de gâtisme dans mes bras’.
» Si la réplique de Reagan fait bien fait rire, ajoute [l’historien David] Lazare, c'est aujourd’hui des États-Unis que l’on se moque, avec ses législateurs âgés qui s’accrochent désespérément à leur siège au Sénat, sans parler de la “sénilité croissante” de Biden. »
Ce fut une période d’extrême tension entre l’URSS et les USA, bien que les conditions détaillée par la CIA, telle qu’elle sont rapportées dans le rapport cité et nommé « The 1983 Soviet War Scare » aient été très largement dissimulée au grand public. Pourtant, cette tension sans raison précise sinon des crises éparses qui semblait pourtant sous contrôle sauf par instant et qui avaient dans tous les cas une explication rationnelle (les euromissiles, l’arrivée de Reagan, la renaissance de la peur d’une guerre nucléaire avec de grandes manifestations pacifistes), – cette tension pesait chaque jour sur nos épaules et nous dévastait.
Je l’ai moi-même ressentie, cette attente d’une possible catastrophe, et bien entendu à Bruxelles où se trouvaient des centres politico-militaires importants (l’OTAN, bien sûr). C’était comme la tension électrique d’un temps d’orage qui n’arrivait pas à crever, que tout le monde ressentait plus ou moins confusément, jusqu’à des prévisions de conflit même chez ceux qui n’étaient pas directement concernés (Mitterrand confiait à des proches qu’il y aurait la guerre en 1984, année fameuse puisqu’elle retrouvait le roman d’Orwell). Ainsi se trompait-on complètement sur les faits et les évènements, mais absolument pas sur l’importance catastrophique de la période.
Par rapport aux indications sur cette période d’extrême tension entre l’URSS et les USA de 1980-1985, on comprend mon empressement à mettre en évidence le facteur essentiel d’une situation psychologique, et pour ce qui concerne notre sujet, cette situation psychologique générale qui est la véritable marque d’une gérontocratie en considérant ce qui se passait en URSS : la crainte de tout changement, de toute décision perçue comme brutale ou déséquilibrée. Cela conduit paradoxalement à des attitudes inverses dans les deux cas qui nous occupent...
Alors qu’en 1980-1985, les dirigeants soviétiques très vieux et très effrayés par le monde craignaient une attaque-surprise des USA et donc la perspective de la guerre, les dirigeants américanistes d’aujourd’hui, de Biden aux sénateurs indéboulonnables, craignent par-dessus tout toute décision qui freinerait ou menacerait de stopper le conflit en cours en Ukraine avec son absurdité sanglante et ses perspectives potentiellement catastrophiques, parce qu’ainsi une dynamique bien en place, à propos de laquelle ils savent comment voter, est en marche régulière et comme-il-faut. La chose qui leur importe c’est la poursuite d’une dynamique en cours, même si cette dynamique mène à un affrontement nucléaire, – quel drôle de contraste avec la « The 1983 Soviet War Scare » !
Ici, on retrouve l’excellent texte de ‘SputnikNews’ déjà cité qui nous annonce simplement cette évidence qu’il faut structurer dans notre esprit, selon l’état d’esprit qu’elle nous suggère, pour en comprendre l’importance :
« Les dirigeants des États-Unis vieillissent et n'ont pas de remplaçant en vue, dans un contexte de blocage politique incessant qui rappelle les conditions qui ont précédé la chute d'une autre superpuissance il y a trente ans, ont déclaré des experts à Sputnik. »
Vous comprenez que le plus grave n’est pas l’Ukraine qui peut tourner en affrontement nucléaire, mais la question des gens en place et de ceux qui prétendraient les remplacer... Et l’on nous donne aussitôt quelques exemples de ces octogénaires, voire nonagénaires (beaucoup de femmes dans le lot !) qui continuent à aménager les conditions nécessaires à leur maintien en place, c’est-à-dire à rien de moins qu’à leur survie.
« La semaine dernière, l'ancienne présidente de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, aujourd'hui âgée de 83 ans, a annoncé qu'elle se représenterait l'année prochaine, tandis que la sénatrice Diane Feinstein, âgée de 90 ans, continue de siéger au Sénat sans penser à la retraite, même si sa propre fille lui a donné une procuration pour payer ses factures. La semaine dernière, le chef de la minorité sénatoriale, Mitch McConnell, 81 ans, s'est engagé à terminer son mandat en répondant aux inquiétudes concernant sa santé, suite à des épisodes de “congélation” en public. »
On pourrait, – sans s’attarder à leur-Président bien aimé, – y ajouter le cas de la sénatrice Feinstein, 89 ans et un poste important à la commission sénatoriale du renseignement, qui se repose presqu’entièrement sur ses aides pour le travail à faire après une vilaine attaque cérébrale.
Que disent les experts de tout cela ? Cette “crise de l’âge” va-t-elle durer ? Sans aucun doute, répondent-ils : elle va non seulement durer mas elle va s’amplifier car partout règne la peur, – laquelle n’est pas l’apanage des vieux croutons paralysés dans leur position d’impuissante-puissance... La peur de perdre un siège, une majorité, la peur de perdre un électorat, la peur des Russes, la peur de Trump, c’est ça oui ! La peur de Trump qui va les gober, les mâcher et recracher les morceaux... La peur, en un mot.
« Les experts estiment qu'il est peu probable que la crise de l'âge aux États-Unis soit résolue de sitôt, surtout lorsque le contrôle de la Maison Blanche et du Congrès est en jeu. L’historien Daniel Lazare explique que les dirigeants du Parti démocrate sont actuellement particulièrement vulnérables à l’exacerbation de la crise de l’âge en soutenant Biden, quelles que soient les ramifications ou l’opposition au sein de son propre parti.
» Pour les démocrates qui ont peur que l'ancien président Donald Trump ne les gobe, ne les mâche et ne les recrache en morceaux, le message adressé à Biden est de tenir le coup “à tout prix”, explique Lazare. Trump, bien que touché par ses inbculpations, est toujours en vie et semble plein d’énergie – surtout comparé à son adversaire, a-t-il noté.
» “Si Donald Trump semble toujours en bonne santé, c'est parce qu'il n'a que 77 ans”, dit Lazare. “En termes de politique américaine, c'est pratiquement un gamin”.
» Parmi d’autres exemples, Lazare a déclaré qu’une démission de Feinstein pourrait déclencher une bataille meurtrière au sein du parti entre les membres du Congrès. Les démocrates préféreraient donc que Feinstein reste en poste jusqu'à la fin de son mandat afin que les électeurs puissent décider des questions lors des élections de 2024.
» Les républicains, à leur tour, a ajouté Lazare, ont des partisans de McConnell qui craignent que s'il démissionne, le gouverneur démocrate Andy Beshear tente de défier une loi de l'État de 2021 l'obligeant à nommer un autre républicain pour le remplacer. »
Enfin, y a-t-il une explication à cette situation déplorable ? D’où cela vient-il ? Où cela nous mène-il ? Lazare ne manque pas évidemment d’évoquer le précédent soviétique et d’avertir qu’il faut vite trouver une situation sinon la glace va craquer et nous allons tous nous noyer ! Ce n’est pas le plafond de verre, c’est le plancher de glace...
« Lazare a suggéré que ces développements font partie d'une maladie générationnelle affligeant une élite gouvernante américaine déconnectée qui est restée trop longtemps au pouvoir, un peu comme ce qui est arrivé à l'Union soviétique dans les années 1980, lorsque le Kremlin était manifestement désemparé face à une économie en déclin et à un système politique dysfonctionnel.
» “Après qu'une superpuissance soit tombée dans la gérontocratie, comment se fait-il qu'une autre fasse la même chose 40 ans plus tard ? La réponse à cette question est l'impasse politique”, a déclaré Lazare. “Tout le monde est terrifié par ce que pourrait signifier un changement.” [...]
» L’aggravation de l’impasse a conduit à 30 ans de guerre de tranchées au Capitole, a souligné Lazare. A cause de cette impasse, la composition des assemblées et autres ne bouge pratiquement pas d'une année sur l'autre, a-t-il ajouté.
» Cependant, prévient Lazare, l’histoire a prouvé que cela ne peut pas durer éternellement. En Union soviétique, a-t-il expliqué, “la glace a fini par se briser” avec la nomination du premier ministre Mikhaïl Gorbatchev en 1985 – mais le changement est arrivé trop tard.
» “La glace finira par se briser aux États-Unis également, et les résultats pourraient être tout aussi explosifs”, a déclaré Lazare. »
Ces divers avis sont fondés mais ils ne sont pas suffisants. Tout comme il y avait eu des périodes de paralysie dans le pouvoir soviétique, certaines parfois dramatiques (la période de l’attaque allemande de juin à août 1941), il y eut également des présidents vieux et des sénateurs restant en fonction jusqu’à des âges vénérables au milieu d’un pouvoir temporairement bloqué. Cette fois, comme en URSS en 1980-1985, il y a quelque chose d’autre, quelque chose en plus (ou “en moins”, si l’on veut).
Ce quelque chose n’est pas explicable rationnellement ; il s’agit d’intuition fondamentale, d’“intuition haute”, – vous l’avez ou vous ne l’avez pas, vous y croyez ou vous n’y croyez pas, – du constat d’une pression supérieure qui règle tout, oriente les arrangements entre politiciens un peu marrons vers des impasses, fait capoter les ententes tactiques habituelles entre copains-coquins, etc., une de ces choses mystérieuses et infiniment puissantes que je désigne notamment comme “un événement d’en-dessus de nous”. Ce qui domine tout et convoque toute la perception possible, comme en URSS pendant ces années décisives, c’est la sensation incertaine mais très puissante de la décadence finale, l’impression de se trouver emporté dans un flux supérieur qui organise la chute qui importe.
Effectivement, le blocage politique plus ou moins surmonté pour un coup de plus, contourné pour quelques temps avant d’y retomber, règne depuis trente ans aux États-Unis, après l’ère Reagan et l’intermède Bush-père qui a suivi. Les évènements extérieurs, en empilant les constructions et les simulacres et se référant de moins en moins à la réalité, – un peu de cette vérité-de-situation si vous voulez, pour un instant qui revigore ! – ont décisivement fabriqué un environnement complètement faux, insupportable à force de l’empilement des mensonges. Finalement Trump d’un côté, le wokenisme et le sociétal-progressisme de l’autre n’ont fait que donner une vie contrainte et une apparence brinquebalante de logique d’affrontement à une rupture si profonde et définitive qui déchire le pays et installe la dernière scène de l’effondrement.
Les vieux sénateurs accrochés à leurs sièges comme des arapèdes à leurs rochers, comme des parasite au terrible requin, ne sont que les ornements des temps anciens qui disparaissent, les derniers lambris de l’Empire, l’argument final qui fait dire : “Tout ça pour ça ?” (“Ce sont donc les fastes de l’Empire, ces vieillards gâteux et inutiles et votant comme des robots, dans cette réplique prétentieuse du cadre inoubliable de l’Empire de Rome, pour une guerre dont nul n’a que faire, sous les voutes solennelles du Sénat ? Si c’était pour devenir ça, c’était en effet inutile”).
Sans doute trouvera-t-on, dans cette explication qui se garde bien d’expliquer quoi que ce soit, bien peu de constructions rationnelles et donc d’arguments prompts à emporter la raison mais on pourra, à mon avis, saisir les odeurs de la mort historique des choses, du moisi glacial du nihilisme, des simulacres présentés avec le clinquant du Progrès triomphant et qui rouille avant même d’être déployé. Il n’y a rien de plus vite détruit par la lèpre du toc que les immenses et prétentieux artifices offerts par la modernité et le progrès qui l’accompagne. Pour les USA, nous y sommes, et les pauvres sénateurs s’accrochent à leur sièges pompeux comme à une ultime bouée de sauvetage.
Comme dit Orlov, le sarcasme aux lèvres, à propos de Trump qui viendrait d’être triomphalement réélu POTUS :
« ...Ou peut-être se montrera-t-il à la hauteur de la situation, peut-être prendra-t-il une pose avantageuse et déclarera-t-il avec sa pompe et sa grandiloquence habituelles que l’Amérique est finie : c’est tout, les amis, Washington est définitivement fermé aux affaires, l’autorité constitutionnelle est dévolue aux États, le spectacle est terminé, merci à tous d’être venus et veuillez rentrer chez vous en toute sécurité. »