Éclairs de vérités, nucléaires et autres

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Éclairs de vérités, nucléaires et autres

Il faut mettre ensemble deux très récentes nouvelles qui concernent Israël et l’Iran, qui ont un caractère extraordinaire, – qui passent, dirait-on, “comme deux lettres à la poste”, qui ne soulèvent guère d’interrogations, – qui n’en restent pas moins extraordinaires et révélatrices, et parties évidentes de changements en profondeur. Ces changements concernent l’essence du pouvoir, la légitimité du pouvoir “normal” (civil), essentiellement dans les pays du bloc BAO, et sa mise en cause, à la suite de ses excès et de ses errements, par des pans importants des forces substantielles dont le soutien est nécessaire à ces pouvoirs.

Il s’agit de la révélation faite il y a trois jours, dans un documentaire TV, que le chef du Mossad d’alors, Meir Dagan, refusa en 2010 un ordre du Premier ministre israélien Netanyahou de mettre ses services sur pied de guerre (condition dite P Plus), pour une attaque qu’Israël aurait dû être sur le point de lancer, – contre l’Iran, bien entendu. (Le chef d’état-major d’alors Gabi Askhenazi eut une position assez similaire, dans tous les cas estimant que les forces armées n’étaient pas en état de préparatif suffisant pour une action.) Il s’agit, autre nouvelle en suivant l’ordre chronologique, de l’annonce que des officiels israéliens et iraniens se sont parlés assez aimablement, lors d’un séminaire à Bruxelles le 5 novembre, de sujets dont la finalité devrait être la possibilité de la création d’une zone dénucléarisée au Moyen-Orient. Ces entretiens pourraient alimenter largement, dans un sens nouveau, la conférence officielle spécifique sur le sujet, le mois prochain ou dans les mois qui viennent.

• La première nouvelle a été connue ce week-end. Antiwar.com en faisait un résumé le 5 novembre 2012A new report from Israel’s Channel 2 reveals that two of the top security leaders in 2010, Mossad’s Meir Dagan and the military chief of staff Gabi Ashkenazi openly spurned orders from Prime Minister Netanyahu to increase preparations for an imminent attack on Iran.») Dans le Guardian du 5 novembre 2012, Julian Borger fait un commentaire, non pas tant sur la nouvelle elle-même que sur les circonstances où celle-ci est rendue publique, – circonstances qui sont celles d’une campagne électorale pour des élections générales qui auront lieu en Israël le 22 janvier 2013.

«The events recounted in the Israeli television documentary took place two years ago but that is fresh enough for them, in normal circumstances, to be blacked out by the military censor. Yet this programme – involving a disconnect, to say the least, between the heads of the Mossad and the Israeli Defence Force (IDF) on one hand, and the prime minister and defence minister on the other, on a matter of vital national security – is being broadcast with the protagonists expressing their views on air two months before elections. It is possible it has been allowed to run by the military to convey to voters, who are generally highly respectful of men and women in uniform, that the current political leadership is reckless…»

• Une conférence a eu lieu lundi 5 novembre à Bruxelles, sous les auspices de l’ONU et dans le cadre de la question de la dénucléarisation. Diverses délégations de l’UE, des USA, etc., et aussi d’Israël et de l’Iran, étaient présentes. Les délégations israélienne et iranienne étaient menées respectivement par les ambassadeurs Jeremy Issacharoff (ambassadeur israélien pour les affaires stratégiques au ministère des affaires étrangères) et Ali Asghar Soltanieh (ancien ambassadeur iranien à l’AIEA). Ces officiels étaient présents en tant que personnes privées pour la réunion, présentée comme un séminaire académique, mais présentés ès-qualité, dans toutes leurs fonctions, – signifiant par là une présence officieuse d’officiels agissant dans le cadre de leurs fonctions, donc probablement avec un mandat officiel. A nouveau un commentaire du même Julian Borger, dans le Guardian du 6 novembre 2012. (Cette conférence bruxelloise est au moins la seconde du genre. Dans son texte, Borger renvoie à son commentaire du 11 juillet 2011 sur cette première conférence, où il décrit le climat entre Israéliens et Iraniens comme exécrable, ce texte suivi d’une actualisation, quelques jours plus tard, venue de sources à l’UE nuançant cette impression de tension et de blocage entre les mêmes Israéliens et Iraniens.)

«In contrast to the ever-worsening sabre-rattling over the Iranian nuclear programme, the mood at the meeting, convened by the EU Non-Proliferation Consortium, was described by one participant as “respectful and positive”. Mark Fitzpatrick, a non-proliferation expert from the International Institute for Strategic Studies and former state department official, said “there were no fireworks and no denunciations” at the conference. […]

»Israel's official position is neither to confirm nor deny its widely reported nuclear arsenal, and it would consider signing the nuclear Non-Proliferation Treaty, thereby renouncing its right to have such weapons, only if its existence and its right to exist had been guaranteed by its neighbours and the region was at peace. Nevertheless, European mediators hope the UN conference will initially represent a way of coaxing Israel into more transparency in return for continued Arab and Iranian abstinence from nuclear weapons under the increasingly strained treaty.»

Bien entendu, plusieurs problèmes spécifiques sont réunis dans ces diverses interventions, notamment le problème très spécifique et absolument fondamental de la dénucléarisation à la lumière de la seconde nouvelle concernant la conférence bruxelloise. Sur cette deuxième intervention, il s’agit de la possibilité de l’établissement d’une zone dénucléarisée au Moyen-Orient, dont une conférence de l’ONU à Helsinki devrait traiter en décembre 2012. Borger rapporte qu’on ne parle plus de “la conférence de (décembre) 2012” mais de la “conférence d’Helsinki”, ce qui indique qu’elle pourrait être repoussée. A la lumière des autres évènements, on peut spéculer qu’elle serait repoussée pour des raisons internes, notamment concernant la position du pouvoir politique, plus spécifiquement en Israël avec les élections du 22 janvier 2013. L’essentiel ici est le bon climat entre Israéliens et Iraniens, qui contraste de façon radicale avec les positions officielles, et notamment l’intransigeance belliciste de Netanyahou.

Ce dernier élément nous ramène à la première nouvelle et implique la question du pouvoir en Israël, et la question du pouvoir civil face à une communauté de sécurité nationale de plus en plus opposée au maximalisme politique de sécurité de leurs directions politiques. (Voir le 11 novembre 2011.) Cette tendance, que nous jugeons être générale et spécifique au Système et à sa crise terminale, est d’abord illustrée avec force par une fronde persistance et affichée de nombreux dirigeants de la sécurité nationale à la retraite ou même en fonction, en Israël, et parmi eux Meir Dagan au premier plan. Effectivement, la nouvelle rapportée par le documentaire TV est extraordinaire, d’abord par la publicité qui lui a été faite et selon les habitudes du genre, ensuite par les circonstances elles-mêmes qui impliquent un refus d’obéissance au pouvoir civil, – et ce dernier point, surtout, non suivi d’effets spécifiques. Dagan a quitté son service normalement, en septembre 2010. Certes, il n’a pas être reconduit dans ses fonctions, comme cela aurait pu être le cas, et l’on comprend pourquoi. Mais en aucun cas son départ normal à la retraite n’a été perçu comme une sanction d’un acte spécifique qui aurait dû être sanctionné directement et spécifiquement si l’on veut que le pouvoir civil garde son statut et des prérogatives, – c’est-à-dire sa légitimité. C’est ce dernier point qu’il faut mettre en évidence, en observant que la conférence de Bruxelles, – dont on ne sait pour l’instant quelles seront les suites, – vient dans un tel contraste, dans le chef des participants israéliens, avec les positions officielles de Netanyahou (et ses convictions avérées, qui vont avec), qu’on ne peut pas ne pas la prendre comme un autre signe de cet affaiblissement du pouvoir civil au profit des tendances plus “réalistes” de la direction israélienne, donc un autre signe de sa délégitimation.

Il est certain que le pouvoir en Israël n’est plus centralisé aujourd’hui, de facto, dans sa cohésion politique fondamentale. Contrairement à ce qu’écrit Borger, signalant que des oppositions entre chefs militaires (et de la sécurité nationale) et chefs politiques sont nombreux en Israël et donc que l’incident de 2010 n’est pas exceptionnel, nous estimons qu’il est effectivement exceptionnel dans les circonstances qu’il semble décrire. Il y a une grande différence entre une divergence d’analyse, une divergence de perception, d’opinion, etc., et ce qui ne peut être assimilé qu’à un refuse d’obéissance dans une matière gravissime. Nous passons du niveau des nuances habituelles dans les directions nationales, au niveau effectivement de la mise en cause du pouvoir suprême. C’est, à notre sens, de ce point de vue qu’on doit considérer la conférence de Bruxelles et la bonne humeur des Israéliens (avec les iraniens). Il s’agit bien d’un autre signe de la réduction dramatique d’influence de Netanyahou et de sa ligne ultra-dure. Il s’agit bien d’un autre signe de la délégitimation du pouvoir en Israël, – ce pouvoir civil général dans le Système, qui a complètement versé dans l’extrémisme systématique, en Israël certes mais dans la plupart des autres pays du bloc BAO également. Ces deux affaires (Dagan en 2010, la conférence de Bruxelles) doivent être liées pour nous avertir de la poursuite d’une évolution radicale du rapport des forces dans les pouvoirs du bloc BAO, avec une accélération de la dissolution de la substance du pouvoir légitime de ces systèmes démocratiques en continuelle contradiction avec leurs “valeurs” affichées.


Mis en ligne le 7 novembre 2012 à 06H22