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4 novembre 2004 — Parmi les réactions diverses à la réélection de GW Bush, il y a d’abord celle de la France. Le Daily Telegraph suggère, tout en buvant du petit lait, que Chirac veut enterrer la hache de guerre. Cela paraît indubitable.
« France has hailed the US election as an important moment in world diplomacy calling it an opportunity to revive the transatlantic relationship — no matter who wins.
(…)
» M Barnier told RTL radio: “I can... tip my hat to American democracy. A new stage is starting. It is a very important moment for the world.” He said France will work with the new American administration. “We have many things to do, both on the current crises — in Iraq, the Middle East, Iran, the fate of the African continent — and to renovate the transatlantic relationship,” he said.
» But Mr Barnier repeated calls for a multipolar world in which the United States did not try to dominate world diplomacy alone. “America and Europe need each other,” he said. “We must try to re-establish American confidence in the European project because the Americans cannot imagine building, directing and driving the world alone.” »
D’ailleurs, la méthodologie est dans l’air, et si certains pensent à “l’esprit de Munich” pour l’occasion, on ne peut les en empêcher ni le leur reprocher. Dans son éditorial d’aujourd’hui, le Guardian montre la même tendance. Effectivement, puisque GW est là, comment faire autrement que (tenter de) s’entendre avec lui ? Cela paraît irréfutable.
« Mr Bush faces a clear choice at home. He can treat his mandate as a blank cheque to govern in the interests of the conservative (and for conservative read, in many cases, anti-black) voters who backed him in such numbers - shaping a conservative majority on the Supreme Court, waging war on legal abortion, amending the constitution to prevent gay marriage, unpicking affirmative action, limiting and marginalising dissent still further, flirting with the notion of declaring the USA an explicitly Christian, English-speaking nation, seeking in all things to construct the conservative Republican hegemony for which Karl Rove has long dreamed and schemed. Or he can recognise the greater wisdom and the greater long-term security that mutual respect and bipartisan reconciliation will provide to a United States, and to a wider world, in which the belief in America's manifest destiny is not shared with such fervour as it is among evangelical conservatives - or even shared at all. We have few illusions about the course he will take. Yet both America and the world need a handshake right now, not a clenched fist of defiance. In an interconnected world, such choices matter and shape all our uncertain futures. »
Parlons plus sérieusement. L’effet réel, général, de la réélection de GW exprime plutôt une réelle crainte et une incertitude angoissée dans la plupart des pays du reste du monde, sauf une poignée d’“idiots utiles”. Cela n’a rien d’étonnant et exprime complètement et pleinement la difficulté insurmontable d’envisager un rapprochement avec les Etats-Unis selon des termes de réciprocité acceptables. Même des commentateurs aussi farouchement optimistes sur les perspectives de coopération entre l’Europe et les USA que Timothy Garton-Ash recommandent de tenter de s’entendre avec les Américains, mais, vraiment, sans la moindre illusion.
La logique de cette réélection est-elle, au niveau européen, un renforcement de l’Europe ? Certains l’envisagent déjà, comme, par exemple, Jackie Ashley dans le Guardian. Mais il y a plus intéressant à cet égard, parce que beaucoup plus concret : la réaction de la Norvège, où le Premier ministre a déclaré mercredi 3 novembre que le deuxième mandat de GW pourrait conduire très rapidement la Norvège à essayer une fois de plus d’entrer dans l’UE. Kjell Magne Bondevik a déclaré : « If the distance expands between the two sides of the Atlantic I think that many people in Europe, including myself, will see a need for a closer foreign policy and security cooperation between European countries. This debate (about Norway joining the EU) could be introduced if the US continues to pursue a policy in which little importance is given to its alliance with Europe. » L’intérêt de cette déclaration est, d’abord, que Mendevik était jusqu’ici dans le camp du “non” à l’Europe, ensuite que l’argument, comme on le voit, porte essentiellement sur la politique de sécurité et des relations extérieures. Cela en dit beaucoup sur l’effet véritable de la réélection de GW, qui porte effectivement sur les matières fondamentales de sécurité.
De toutes les façons, aucun choix véritable ne nous est offert. Les différentes déclarations sur une coopération renouvelée avec les USA répondent à la logique politique, même si c’est une logique peu glorieuse, mais il faut avoir à l’esprit qu’il n’y a aucun espoir qu’on puisse parvenir au moindre résultat, hors celui déterminé par la stricte considération des seuls intérêts américains. Dès lors, nous n’aurons pas de coopération, selon le sens du mot tel que nous l’acceptons (et pas eux), parce que les Américains ne conçoivent pas une coopération selon l’idée que nous nous en faisons (association à 50-50, partage des risques et des avantages, soutien du partenaire même dans des cas où l’on n’est pas soi-même engagé, etc). John Charmley, dans son livre Churchill’s Grand alliance, donne une bonne analyse de la conception américaine d’une alliance et de la coopération, par rapport à la conception britannique (et européenne, c’est-à-dire la conception classique), expliquant par là combien les special relationships sont, depuis soixante ans, un étonnant jeu de dupes où les Britanniques sont toujours les victimes, et des victimes obstinées semble-t-il :
« La conception américaine d’une alliance s’avérerait, comme le cinquième marquis de Salisbury le mit en évidence, “très différente” des notions britanniques. Les Britanniques faisaient l’hypothèse qu’une “coopération rapprochée entre le pays concerné et nous” dans n’importe quelle alliance était, “en soi, un intérêt britannique important” et, dès lors, menait à des réactions concertées même dans les cas, comme la Corée, où les intérêts britanniques n’étaient pas concernées. La notion américaine d’alliance “semblait différer complètement” : “Ils ne disent pas que la connexion britannique est d’une importance essentielle et appuient leur politique sur ce constat. Ils examinent chaque problème, déterminent les intérêts américains de la façon la plus étroite et agissent en fonction de cela.” Désormais, alors que la menace grandissante des Soviétiques allait accélérer au Congrès le vote en 1946 du prêt britannique, puis le Plan Marshall et la formation de l’OTAN, il n’y aurait plus de front commun qui ne feraient pas partie des “intérêts américains spécifiques”. Ce constat s’appliquait particulièrement au Moyen-Orient. »