Egypte : l’incendie continue

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Des déclarations du Premier ministre égyptien Essam Sharaf, à la télévision turque et dans la logique de la visite du Premier ministre turc Erdogan en Egypte, ont constitué un événement important, et explosif, notamment pour Israël. Sharaf met en cause l’intégrité du traité de Paix de Camp David, entre l’Egypte et Israël.

Le Daily Telegraph du 15 septembre 2011 présente cet événement. C’est Adrian Blomfield, écrivant de Tel Aviv, qui le signe. Sa position géographique de correspondant en Israël lui permet d’alimenter son commentaire de réactions israéliennes significatives.

«Dramatically heightening tensions during an increasingly volatile time in Israel's relations with the Arab world, [Egyptien Prime Minister] Essam Sharaf's suggestions that the 32-year treaty could be revised prompted disbelief in the Jewish state. “The Camp David agreement is not a sacred thing and is always open to discussion with what would benefit the region and the case of fair peace,” Mr Sharaf told Turkish television. “We could make a change if needed.”

»Coming just days after an angry mob stormed the Israeli embassy in Cairo, Israeli officials said they were staggered more by the timing of Mr Sharaf's comments than their actual content. “Less than a week ago, we had the problem with the embassy,” an Israeli official said. “I don't think a responsible prime minister should say things like that.”

Plus loin, Blomfield développe l’explication de l’attitude de Sharaf, et les appréciations israéliennes qui l’accompagnent, confirmant absolument toutes les positions qu’on a pu annoncer à cet égard, et l’évolution des relations égypto-israéliennes qui vont avec, qu’on a pu envisager dans ce contexte. Tous les acteurs sont conformes à leurs rôles respectifs, si l’on veut, qui est de bien tenir ce rôle par rapport à une dynamique supérieure qui les emporte.

«Until yesterday, Egypt's transitional military leadership had responded in kind, insisting that it wanted to uphold the Camp David accords, whose historic agreement in 1978 is widely seen as ending the cycle of Israeli-Arab wars that erupted in the preceding 30 years.

»But, in the wake of the popular revolution that overthrew Hosni Mubarak, the former president, in February, Egypt's present crop of transitional leaders have been forced to take into account the view of ordinary Egyptians, many of whom remain deeply suspicious of Israel. Mr Mubarak, by contrast, assiduously upheld the treaty with Israel, even assisting in imposing an Israeli blockade on the Gaza Strip, which has a border with Egypt. […]

»In the aftermath of the revolution, a number of civilian politicians likely to contest presidential elections in Egypt at the end of the year have said they want to revise “humiliating” aspects of the treaty with Israel. In particular, they want the right to take fuller economic and military control of the Sinai region, which Israel occupied after the Six Day War of 1967 but handed back after the peace treaty of 1979, signed a year after the meeting at Camp David brokered by then US president Jimmy Carter.

»Israeli officials in private say such demands are not unreasonable, and could even be beneficial given the growing lawlessness of the Sinai region. But the phrasing of Mr Sharaf's comments, particularly that the treaty is not “scared”, is seen as incendiary. “Others who have said this kind of thing have been presidential candidates but this is the prime minister – that is what is disturbing,” the Israeli official said. “He should be more careful.”

Pour que nous n’en ignorions rien (nous n’en ignorions rien), Blomfield termine son texte par la remarque qu’“en faisant de telles déclarations à la télévision turque, Monsieur Sharaf semble vouloir tenter de renforcer son potentiel populiste”, – on ajouterait, bien entendu, “auprès des populations égyptiennes”… Puisque, effectivement, comme l’a noté également Blomfield, le principal acteur dans cette “révolution” inachevée et toujours menacée de kidnapping en Egypte, dans cette marche contrariée vers la démocratie type-“Printemps arabe”, c’est le peuple égyptien, ou plus précisément “la rue”, qui dicte sa loi ; démocratie, tout de même, et drôlement puissante si l’on en juge par ces prolongements, – même s’il s’agit de populisme, qui est un peu paradoxalement une idée relaps pour les démocrates.

D’autre part, ce n’est pas un hasard si la déclaration de Sharaf est faite à la télévision turque. C’est un peu plus discret que la télévision égyptienne mais surtout, surtout, c’est la reconnaissance implicite du rôle de la rock star Erdogan, et de son “Arab Spring tour”, dans l’évolution intérieure égyptienne. Les plus fins commentateurs ne se trompent pas, ou n’hésitent plus à cet égard, quant à l’importance du rôle du Premier ministre turc et du formidable coup politique que constitue son “Arab Spring tour”. Par exemple, Pépé Escobar, sur Atimes.com, le 15 septembre 2011 :

«Erdogan's tour is a realpolitik master class. He's positioning Turkey as the forefront supporter of the Palestinian cause. He's also positioning Turkey at the core of the Arab Spring - as a supporter and as an inspirational model, even though there have been no full-fledged revolutions so far. He's emphasizing solid Turkish-Arab unity – for instance planning a strategic cooperation council between Egypt and Turkey.»

Par conséquent, il y avait certes “la rue” en Egypte, et nous voilà confirmés dans l’observation déjà faite qu’il faut y ajouter Erdogan, également pour l’Egypte. Toute la mécanique que nous avons déjà exposée, cet enchaînement inéluctable des situations et des comportements, vont effectivement dans le sens d’une évolution de l’Egypte vers une politique anti-israélienne qui alignera nécessairement ce puissant pays musulman sur la nouvelle politique d’Erdogan. Mais l’on sait que ce “puissant pays musulman” (l’Egypte) est aujourd’hui caractérisée par le faiblesse, et qu’Israël, en la circonstance, l’est également (voyez “Faiblesse pour faiblesse”). Israël nous a obligeamment confirmé cela, par les voix des “officiels” cités par Blomfield, qui sont amenés à dire, ce qui est le comble de leur faiblesse actuelle : “Mais oui, après tout, Sharaf n’a pas vraiment tort, il faut sans doute amender le traité de Camp David, mais chut, surtout il ne faut pas trop le dire, ni le dire trop haut, ni le dire sur une chaîne de télévision de cette fucking Turquie…” Mais non, justement, pas “chut” du tout, car l’essentiel de la démarche de Sharaf, ce n’est pas tant d’amender le traité de Camp David, que de faire savoir à “la rue” égyptienne et à la Turquie d’Erdogan que “la rue” égyptienne adore, que lui, Sharaf, est complètement partisan d’amender le traité de Camp David. “Faiblesse pour faiblesse”, certes, et en mode turbo, car les protagonistes cités ici sont tenus par la barbichette par leur propre faiblesse, et ne cessent d’en rajouter, comme s’ils voulaient l’exposer d’une façon encore plus voyante, – mais, d’autre part et ceci expliquant cela, tous prisonniers de cette force qui les domine, – que peuvent-ils faire d’autre ?

Il reste donc que cela est dit, et que cela a été dit par un Premier ministre égyptien en exercice, ce qui est jugé particulièrement “irresponsable” par l’“officiel” israélien (et il a raison, l’officiel israélien, quoique vous devez noter en quels termes conciliants et prudents il s’exprime, – on marche sur des œufs, de tous les côtés). Il reste (suite) que l’on a confirmation que le scalp du traité de paix de Camp David, ou au moins une bonne partie de ce scalp, est à l’ordre du jour de la campagne électorale permanente où est plongée l’Egypte ; et tout cela n’ira qu’en empirant, si les militaires, craignant effectivement les consultations électorales mais ne pouvant décemment les supprimer, les reculent encore comme ils l’ont déjà fait, allongeant et rendant encore plus audacieuse cette “campagne électorale permanente”. Tout travaille dans le même sens. Sharaf a ouvert une boîte de Pandore qui était déjà très largement déverrouillée. On va s’y précipiter et il y a aura foule, bientôt… Le brave Bibi, Premier ministre israélien, va devoir donc apprendre à “gérer”, comme l’on dit, à apprendre les arcanes de l’apeasment et de la diplomatie de concession ; comme on le connaît, ce n’est pas dans la poche.


Mis en ligne le 16 septembre 2011 à 08H08

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