Égypte, plus tout à fait notre amie…

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Égypte, plus tout à fait notre amie…

Les troubles se poursuivent en Égypte, concentrés autour de l’ambassade US au Caire, portant sur le fameux et mystérieux film antimusulman d’origine diverse et incertaine, et occasionnant des prises de position dont on doit dire qu’elles offrent une ambiguïté intéressante. Nous parlons, successivement, de BHO et de Morsi, dont certaines déclarations les concernant, de l’un vers l’autre et du second vers le premier, ont le plus grand intérêt à être déchiffrées et mises au net.

PressTV.Com rapporte ce propos du président Obama, le 13 septembre 2012, observant que l’Égypte n’est “ni une alliée, ni un ennemie”, ou bien pourrait-on dire “ni tout à fait déjà une ennemie, ni vraiment encore un alliée”, ou bien pourrait-on dire encore “plus tout à fait une alliée, pas encore tout à fait une ennemie”, et ainsi de suite… Bien entendu, tout cela venant après les manifestations violentes, notamment des Frères Musulmans, contre l’ambassade US au Caire, et sans doute avant d’autres manifestations du même genre.

«American President Barack Obama has described Egypt as not a US ally nor an enemy following the outbreak of major anti-American protest in Cairo over a US-made anti-Islam film. “I don’t think that we would consider them an ally, but we don’t consider them an enemy,” Obama said on Wednesday. […]

»“I think that we are going to have to see how they respond to this incident,” Obama said. “Certainly in this situation, what we're going to expect is that they are responsive to our insistence that our embassy is protected, our personnel is protected.” “And if they take actions that indicate they're not taking those responsibilities, as all other countries do where we have embassies, I think that's going to be a real big problem,” added the US president without further elaboration.»

• Ce matin, Morsi se trouvait à Bruxelles. Au cours de contacts avec la presse, il a fait quelques remarques sur ce qu’il pensait des évènements actuels. Morsi a répondu, également avec des nuances révélatrices, comme dans le cas d’Obama : condamnation sans réserve des actes (ou assimilables) antimusulmans, et précisément le film venu mystérieusement des USA sur le Prophète, ou prétendument sur le Prophète, et pseudo-Prophète vertement traité ; et, d’un autre côté, Morsi, un avis selon lequel il faut s’abstenir de s’en prendre “à nos invités et à nos hôtes” dans notre pays, et notamment leurs ambassades n’est-ce pas… (Toujours dans PressTV.Com, qui n’en manque pas une à cet égard, intéressé évidemment à la détérioration des relations entre les USA et l’Égypte, – ce 13 septembre 2012.)

«Egyptian President Mohammed Morsi has condemned "attacks" on Prophet Mohammed in an anti-Islam film produced by an Israeli-American man in the US. “We Egyptians reject any kind of assault or insult against our prophet. I condemn and oppose all who... insult our prophet,” Morsi, on an official visit to Brussels, said in remarks broadcast by Egyptian state television on Thursday. […]

“[But] it is our duty to protect our guests and visitors from abroad... I call on everyone to take that into consideration, not to violate Egyptian law... not to assault embassies,” he added.»

On pourrait dire que les deux hommes ont psychologiquement une certaine proximité, dans l’art de la finasserie, de la nuance de poids, du “lire entre les lignes” et toute cette sorte de choses. On pourrait dire également que les deux hommes ont une proximité dans les positions conjoncturelles et opérationnelles : tous les deux pressés par les évènements (Obama pressé par la campagne électorale de montrer une certaine fermeté contre les attaques d’ambassade, Morsi pressé par la rue, y compris la rue acquise aux Frères musulmans lorsqu’ils attaquent l’ambassade US) ; tous les deux désireux de ne pas rompre, mais pas jusqu’à céder sur l’essentiel, et, au pire, ne pas être en position d’être celui qui rompt… Voilà pour le mimétisme à distance entre Obama et Morsi.

Pour le reste, il y a des réalités objectives, qui dépassent les uns et les autres, et, dans ce cadre, c’est Obama qui a les mots les plus durs, exprimant à la fois la position la plus pressante mais aussi la plus contrainte. Face à l’Égypte, Obama représente toute la puissance outragée de l’Amérique, tout l’hubris frustré de l’“hyperpuissance” de moins en moins “hyper-”, en même temps qu’une certaine indifférence hautaine et, surtout, une formidable incompréhension potentielle des positions des non-américanistes, fût-ce parmi les plus importants des alliés des USA. (On pourrait dire qu’à cet égard, Obama, à force de rester installé sur son trône, ne cesse de se gâter, de s’américaniser de plus en plus, de partager tous les travers des gens de l’establishment. Que les antiracistes se rassurent : l’Africain-Américain, dont certains allaient en 2008 jusqu’à en faire l’homme qui porteraient la mémoire de l’esclavage aux USA, ne pèse pas une seconde devant les exigences mobilisatrices du Système ; il cède, balayé comme un fétu de paille… Finalement, ses paroles, surtout celle-ci : «I don’t think that we would consider them an ally…», finiront par sortir de l’affrontement des nuances pour marquer un tournant dans l’attitude des USA, pardon du Système (sans aucun doute, sur ce point), vis-à-vis de l’Égypte, Morsi ou pas Morsi. Il s’agit, d’une certaine façon, de l’enterrement de l’Égypte de Moubarak, la seule digne de confiance, contrairement à ce que nous assure les décrypteurs de plans extraordinaires de récupération, parce que l’Égypte de Moubarak était totalement corrompue par le Système… Il faut savoir qu’avec les USA, le “ni, ni” ne tient pas, que c’est tout l’un ou tout l’autre ; le “ni un allié, ni un ennemi” ne peut être que transitoire, et, à un moment, très vite, il faudra choisir son camp. Considérée l’orientation des tendances, la réponse est au bout de la langue.

…D’autant, que, de l’autre côté, derrière les nuances, également, se profile l’homme d’une communauté, celle de “la nation arabe”, dont la religion est, dans sa dimension nécessairement politique pour les musulmans, le ciment. L’affaire du film mystérieux, provocateur et tutti quanti, comme toutes les provocations culturelles qui ont précédé, ressuscitent un peu plus l’affrontement entre l’Ouest (le bloc BAO) et les pays-tiers (ceux qu’on trouvait pour la plupart rassemblés à Téhéran, dans le mouvement des NAM), exactement dans les positions politiques antagonistes de la deuxième partie des années 1950, – lorsque, à côté des non-alignés nés à Bandoeng en 1955, l’URSS, entre la mort de Staline et l’ère brejnévienne, avait tenu, avec la Chine, le rôle que tiennent la Russie et la Chine aujourd’hui. Mais aujourd’hui, l’enjeu est d’une toute autre dimension, avec les gadgets idéologiques dispersés et la réalité du Système exposée dans toute sa monstrueuse nudité.

D’où notre appréciation intuitive et sur le terme, hors des péripéties, que l’on approche, entre Washington et Le Caire, d’un “moment de vérité”, dont l’attente est née en juin 2009, avec le discours du Caire de Barack Obama : BHO va-t-il tenir ce qu’il promettait ou se révéler comme un homme-Système comme les autres, derrière le masque peinturluré aux couleurs du multiculturalisme type-Park Avenue (et Saint Germain-des-Près) ? On se doute que, dans notre chef, poser la question c’est y répondre… Les calculs économiques et les manigances soi-disant géopolitiques et manipulatrices devront s’incliner devant cette rupture fondamentale qui se dessinent, qui va briser une entente d’au moins quarante ans, et peut-être plus, entre les USA et l’Égypte... Tout ça pour ça ? (Un mauvais film-bidon, bidouillé on ne sait comment, et quelques jours d’attaque contre une ambassade.) Certes, mais ces évènements fortuits et dérisoires servent aujourd’hui à susciter les actes politiques que les sapiens impuissants à développer une véritable politique, n’arrivent plus à décider, et qui se font par conséquent hors de leur volonté, en exploitant leurs activités les plus basses et, effectivement, les plus dérisoires. Les choses grandes de cette époque se font par porte petiote et par les trous de souris postmoderne des activités de la communication. La substance des choses n’est pas où l’on croit qu’elle est, et le théâtre des dirigeants, fût-ce un BHO, n’est plus que de l’accidentel, du “boulevard” et rien d’autre.

…Il n’empêche, bien entendu, qu’en disant que L’Égypte n’est plus, vraiment, tout à fait, “une alliée” des USA, BHO est passé pour un instant du “boulevard” au tragique pour dire le vrai, et c’est l’essentiel. Comme l'on dit, à cet instant, l’homme de la Maison-Blanche et de l’establishment a été éclairé par des forces supérieures qui lui ont montré, pour information, la voie des évènements à venir.


Mis en ligne le 13 septembre 2012 à 14H53