Elargissement du domaine du “rien”

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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Elargissement du domaine du “rien”

30 juillet 2018 – D’une part la canicule me tue, d’autre part le comportement du président français, et dans la foulée, de ceux qui le soutiennent, m’a laissé d’abord avec la plume un peu sèche d’ébahissement, comme si elle aussi subissait la canicule. On ne cesse, ici et là, et partout ailleurs enfin, de gémir à propos du comportement de Trump, et avec pas mal de bonnes raisons. Mais celui de Macron depuis qu’a débuté cette drôle d’affaire, disons le “Benallagate” pour faire court mais très-très chic et presque américain après tout, me semble absolument du type extra-terrestre.

Ils sont étranges, les dirigeants actuels, de l’actualité hyper-récente, comme si le Système n’arrivait plus à vomir que des modèles complètement détraqués, quoique de différentes façons d’ailleurs, par rapport aux normes exigés et au standard qui convient. “De mon temps”, comme disent les vieux comme moi, on avait des normes et un standard ; c’était souvent moyen-sans-plus, médiocre-discret, corrompu-poli, c’était parfois grandiose. Aujourd’hui, c’est AlienE.T. et toutes ces sortes de chose ; du Spielberg, vous savez, le type qui fabrique des choses qui sont, ou devraient être par nature extraordinaires, avec une patte sans aucun doute habile sinon talentueuse mais d’un incroyable, d’un inimaginable conformisme.

Je n’arrive donc pas, depuis son élection, à me faire “mon idée” de Macron, je veux dire du personnage, du caractère, etc. Il me paraît à la fois extrêmement lisse et extrêmement fuyant ; à la fois extrêmement enfermé dans un personnage extrêmement formel, et à la fois presque informe, comme ennemi juré de toutes formes et impossible à mettre en forme ; à la fois passe-partout là où il est censé se trouver et rester, et assez unique en son genre là où il se trouve en train de se déplacer avant qu’on ait pu le voir. Remarquez bien que j’ignore, disons d’une façon rationnelle, ce qui est la cause de ce sentiment, de cette impuissance à juger et trancher clairement ; au niveau de sa politique et étant admis qu’il fait partie du team-globaliste des dirigeants européens, nécessairement dirigeants-Système, on peut dire qu’il y a à boire et à manger dans sa politique, mais sans excès épouvantable ; en d’autres mots, je ne trouve rien de parfaitement catastrophique à lui reprocher, il ne fait que poursuivre, pour la France, la catastrophe qui se déroule de président en président comme si c’était devenu la marque de fabrique de la fonction. J’aurais même eu, à un instant ou l’autre, quelque appréciation favorable : en cherchant bien, on aurait pu trouver, à côté des racailleries habituelles de cette bande du team-globaliste, quelques tendances heureuses, – par exemple, son inclination à tenter de rabibocher la France avec la Russie.

Et puis, – patatras, comme disait Ran-Tan-Plan…

Pour toutes ces raisons, donc, je dois constater, maintenant qu’une période assez longue s’est déroulée pour commencer à en juger, que son attitude durant ce que nous convenons donc de nommer le “Benallagate” m’a considérablement surpris… Observez bien que ce constat est un peu inutile sinon déplacé puisqu’allant si complètement de soi : ne connaissant rien précisément et ne sachant rien d’assuré de lui comme je l’ai dit, n’importe quel comportement dans une affaire si inattendue par l’ampleur qu’elle a prise ne pouvait provoquer que la surprise ; je veux dire finalement que l’affaire elle-même est une surprise qui doit impérativement en dire long sur lui parce qu’on est obligé si l’on est président d’avoir une attitude à cet égard, même si c’est une non-attitude ; donc Macron est une surprise parce qu’il s’avère qu’il existe désormais pour moi. Il a réussi, si l’on peut dire, si l’on veut bien tenter de comprendre ce que je veux dire, à “surprendre ma surprise”

Il est désormais difficile de juger autrement qu’à partir de ses diverses interventions, faites dans des cadres assez inappropriées par rapport à l’ampleur prise par l’affaire ; et alors ce président-là se découvre comme absolument étranger au cadre où on le voit placé, et ridiculisant dans l’action ce qu’il y avait de profondément prétentieux, d’infantile, de naïf et de grossier à la fois, dans son ambition d’être un “président jupitérien”, selon la notion de verticalité. En rappelant l’essence-simulacre de ses citations-“Benallagate”, allant de l’argument « Qu’ils viennent me chercher ! » à l’argument « tempête dans un verre d’eau » en passant par « affaire d’été, pas affaire d’État », on est conduit à se rappeler, sans songer à le lui faire remarquer parce que c’est inutile pour de telles choses qui s’imposent d’elles-mêmes, que “la verticalité” a deux sens, – vers le haut et vers le bas… 

Ainsi donc, la France est sans président. Après deux exemplaires qui ont constitué autant de prototypes différents d’expérimentation de la néantisation de cette fonction, on est arrivé à l’exemplaire de production, néantisation achevée, qui peut justement arguer qu’il installe “un monde nouveau”. En fait, comme suggéré précédemment mais en développant l’idée, Macron est de ce “monde nouveau” qui a vu s’installer Trump aux USA. Dans un style complètement différent, les deux hommes sont là pour détruire, simplement avec une ampleur et des objectifs différents : Trump s’est lancé dans la destruction du Système sans en rien savoir ; Macron, lui, s’est assigné, sans le savoir également, à la rude tâche de la destruction par néantissement (toujours ce mot terrible) (*) des symboles et des principes de souveraineté et de légitimité que représente le président par le seul moyen du simulacre de l’exercice de cette fonction. Au moins pour cette raison, le “Benallagate” de Macron vaut, et de loin, et de bien plus profondément, le Watergate de Nixon.

Je ne veux pas dire que ce type soit un mauvais type (on peut se permettre de telles familiarités). Encore une fois et selon notre logique, et parce qu’il me semble bien qu’il sera bien assez maladroit pour faire durer sinon relancer son “Benallagate”, je crois qu’il peut parvenir à provoquer indirectement énormément de dégâts au système-simulacre français actuellement en place, bien plus que Sarko+Hollande multipliés par deux. Vous voyez bien que je peux toujours terminer sur une note pimpante et sympathique…

Enfin, pour clore ce chaleureux portrait tout en nuances, sorte de Carré blanc sur fond blanc de la politique, je propose aux vaillants et courageux guerriers du groupe En Marche, Hue ! de l’Assemblée Nationale, deux citations de Jean Cau (**) sur de Gaulle qui pourraient leur servir pour leur héraut sans qu’il leur soit nécessaire d'en comprendre le sens, – disons qu'il s'agit juste d'“éléments de langage“ : « Il flottait sur la France, à coups de miracles, comme l’Autre marchait sur les eaux » (au début du portrait), et « … si de Gaulle n’avait jamais existé ? Cette hypothèse, à condition d’être émise par un fou, en aucune façon ne serait folle » (à la fin des fins).

 

Notes

(*) Du terrible verbe “néantir”, “concevoir comme non-être”. A la différence d’“anéantir”, pour “réduire à rien”, c’est-à-dire “réduire à un non-être”, ce qui suppose qu’il y eut “être” avant que la chose ne devienne “non-être” ; “néantir” suppose que l’on “réduit” un rien à rien. C’est-à-dire que, pour les présidents du “néantissement de la fonction” à partir de Sarko, tout se passe comme si la fonction n’avait jamais existé comme “être”.

(**) Croquis de mémoire, Jean Cau, La Table Ronde.