Éloge de la dérision contre le Système

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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Éloge de la dérision contre le Système

29 juillet 2019 – Il est vrai que l’écologie, “le climat”, toutes ces sortes de choses, ont une côte grandiose en ce moment. Les machines à pub, les “éléments de langage”, les grandes âmes progressistes, les milliardaires censeurs et postmodernes, les gardiens du temple du politiquement correct, tous s’ébattent dans l’extase écologique. “Il faut sauver le monde !” leur dit l’entraînante Greta Thunberg, à la dégaine incroyablement proffe d’un institut luthéro-catholique pour jeunes filles de la haute société ; “Nous sauverons le monde !” répondent-ils en chœur et d’une seule voix.

Face à ce nouveau “6-Juin-44 postmoderne”, – “sauver le monde”, What else !– nombre de guerriers antiSystème réagissent comme le spasme de Pavlov, par un déchaînement anti-complotiste puisque la crise climatique interprétée en mode-Système est nécessairement le dernier complot à la mode. L’affrontement inévitable, et manufacturé pour ne pas être évité, est sanglant et sans espoir de résolution. Il est fait plutôt pour boucler chacun à double tour dans ses convictions, – et dans ce cas, pour conforter les zombieSystème dans leurs positions. C’est une bataille de communications à verrous fermés. Le seul qui s’en sort indemne est le Système, et jusqu’au paradoxe : dans leur opposition farouche au politiquement correct (Système) qui décrète la crise du climat, les antiSystème en viennent à assurer qu’il n’y a pas de crise du climat, et par conséquent qu’en l’occurrence le Système est blanc comme neige, – signe décisif de l’absence de réchauffement climatique.

C’est un labyrinthe terminé par une impasse.

Pour mon compte, il y a longtemps que je connais ma position et ne manque pas de l’exposer (voir encore le 2 juillet 2019), qui implique le refus d’entrer dans cet affrontement grâce au refuge de l’inconnaissance, et au-delà le passage de la crise du climat, – chose hors-débat et complètement accessoire sinon trompeuse dans ces conditions, – pour en venir à l’essentielle crise de l’environnement qui est la crise du monde, et la mise en accusation pour condamnation sans appel du Système, – point final. Il faut prendre son parti de ces impossibilités d’une dialectique invertie et à double sens, qui vous font défendre indirectement ce que vous détestez et voulez détruire... Par conséquent, pour ces débats trompeurs, ces agitations du bocal des politiquement corrects, très actifs dernièrement dans le beau pays de France avec la jeune et nordique imprécatrice Gretha Thunberg, il n’est qu’une seule possibilité : la dérision, c’est-à-dire le sarcasme, c’est-à-dire l’ironie mordante

Pour cette raison, j’ai songé pour cette page et sur ce thème, à reproduire quelques passages du dialogue entre Élisabeth Lévy et Marcel Gauchet dans un numéro de l’émission de la première, l’Esprit de l’Escalier, où il est débattu du sujet signalé plus haut (crise du climat, Thunberg l’imprécatrice, etc.). Ici et là on distinguel’évidence du fondement de la question avec la précision de l’immensité de ce qui est “la crise du monde” (Lévy terminant une question par « En revanche, sur le sujet de l’écologie, il me semble que l’idée qu’il faudrait “sauver la planète” est tout à fait massive ! Est-ce qu’ils ont raison de sonner l’alarme ? », et obtenant cette réponse de Gaucher : « En termes objectifs, oui, il y a vraiment lieu de sonner l’alarme ! ») ; mais l’essentiel pour mon propos est dans les remarques et jugements sur les diverses agitations des zombieSystème qui dénoncent dans des sarabandes infantiles et effrénées le danger qui menace le monde (du fait du Système) sans jamais demander raison ni contraindre en aucune façon et en quoi que ce soit le responsable-coupable (le Système)... C’est bien heureusement “la dérision, c’est-à-dire le sarcasme, c’est-à-dire l’ironie mordante” qui dominent.

Je ne vois là rien de plus juste sur le fond et de mieux ajusté sur la forme. Notre riposte nécessairement tactique à leur poussée entropique au niveau de la communication, pour commenter leurs agitations de communication, c’est de tout faire pour exposer leur ridicule comme l’on dit “le Roi est nu” ; un jour viendra, tu verras lecteur, où le ridicule tuera à nouveau, et pour cette raison il faut en rire avec mépris en exposant leur turpitude. Dans ces temps difficiles de cette étrange époque, cela parle à l’âme et réchauffe le cœur.

Voilà donc mon emprunt au Causeur, également domaine d’Élisabeth Lévy, qui publie un verbatim de quelques extraits de cette partie de l’émission qu’on trouve désormais sur la “webtélé des mécontemporains”, le site REACnROLL. Tout cela vous donnera le goût de la chose, et aussi l’impression de légèreté et de liberté que donne cette façon de mordre ironiquement, de sarcasmer et de tourner en dérision comme l’on fait tourner une toupie. 

PhG

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Gauchet et Lévy piégés...

Face au changement climatique, notre directrice et le rédacteur en chef de la revue Le débat sont piégés dans une souricière dont même Greta Thunberg n’a pas la clef. Les deux intellectuels observent également que l’instruction civique a été remplacée par l’instruction écologique.

Élisabeth Lévy a vu dans le phénomène Greta Thunberg un malheureux symptôme de ce que le regretté Philippe Muray appelait l’infantilisation des sociétés modernes. Sur la webtélé des mécontemporains, elle recevait le philosophe et historien Marcel Gauchet pour recueillir (notamment) son avis sur le phénomène suédois.

Voici un extrait de leur conversation, retranscrit par Causeur

Élisabeth Lévy : La venue de Greta Thunberg a l’Assemblée a tout de même suscité quelques protestations venues de mauvais coucheurs de droite. Elles ont été assez audibles. On a parlé de gourou apocalyptique et de “prix Nobel de la peur” ! Pour d’autres, évidemment, c’est un lanceur d’alerte qu’il fallait écouter. Quel est votre sentiment sur cette jeune fille ?
Marcel Gauchet : Rien de tout cela ! Ce qui me semble très significatif, c’est que l’on a affaire à une campagne d’opinion. Bien construite autour de l’image d’une personne invulnérable. Greta Thunberg est à la fois autiste, juvénile et femme. Toutes les cases étant cochées, on ne peut rien dire sur son compte sans passer pour un atroce anti-humain ! […] (poursuivant sur un mode ironique) Je pense que notre prochain Président de la République pourrait ne pas avoir l’âge de l’éligibilité, mais forcer la barrière quand même. Probablement avons-nous [en politique avec Greta Thunberg] un poisson-pilote du futur !
Élisabeth Lévy (tentant de mener son entretien avec sérieux) : Que vous inspire cette fascination pour le climat, et, notamment, cette fascination pour la parole des enfants, qui représentent effectivement le futur de l’humanité ? L’Assemblée a réprimé dans le même temps la fessée, et peut-être en réalité toute contrainte éducative en quelque sorte… On encourage les jeunes à pourrir la vie de leurs parents sur les questions écologiques, qu’est-ce que cela nous dit de nous ?
Marcel Gauchet : Pas grand-chose. Excusez-moi, mais je n’ai pas encore vu de recueil de pensées d’ados du coin faisant autorité dans les programmes scolaires, par exemple ! Je ne crois donc pas que cela dise quelque chose, sinon une chose simple : la cause écologique est la question la plus compliquée qui soit. L’avantage de la parole des enfants, c’est qu’ils la présentent sur un mode simple et imparable. Du point de vue de la communication, c’est gagné : vous pouvez faire rentrer dans la tête des gens des réponses simplistes à propos du problème le plus compliqué qui soit…
Élisabeth Lévy : Tout de même ! Vous me dites que le cas de Greta Thunberg est exceptionnel. Mais sur cette question de l’écologie, il y a des millions de petits Greta Thunberg…
[…]
Marcel Gauchet : L’école a joué un rôle extrêmement important. Depuis une trentaine d’années, l’instruction civique a été remplacée par l’instruction écologique. L’écologie est devenue la forme acceptable de l’obligation envers la collectivité. Voilà le grand problème de la pédagogie actuelle, en matière sociale et civique. Parler de la patrie, des impôts ou des institutions est assez ingrat dans le contexte où nous nous trouvons. Alors qu’avec le tri sélectif, vous avez un objet incontestable et familier, faisant appel à des ressorts émotionnels faciles à comprendre. Cela passe très bien [beaucoup mieux que l’éducation civique à l’ancienne NDLR] ! Nous payons aujourd’hui le résultat d’un endoctrinement solidement conduit par les institutions scolaires depuis maintenant une génération.
Élisabeth Lévy : Dans la jeunesse, on peut trouver une diversité politique (pas énorme, mais tout de même). En revanche, sur le sujet de l’écologie, il me semble que l’idée qu’il faudrait“sauver la planète” est tout à fait massive ! Est-ce qu’ils ont raison de sonner l’alarme ?
Marcel Gauchet : En termes objectifs, oui, il y a vraiment lieu de sonner l’alarme ! Mais sonner l’alarme sans se donner les moyens pratiques de quoi que ce soit hors de proclamations sur la radicalité du changement nécessaire, et alors qu’on est bien entendu pas décidé à l’appliquer pour son propre compte, ça ne coûte pas cher.
Élisabeth Lévy : Dans votre article sur les gilets jaunes d’ailleurs, vous parliez déjà de “piège écologique”je crois…
[…]
Marcel Gauchet : Les gouvernants peuvent assez peu faire s’ils veulent rester dans leur position d’élus. C’est bien là le sujet. La cause écologique va être la machine à broyer tous les gouvernements démocratiques dans la période qui vient. Je peux l’augurer sans risquer de me tromper. L’écart sur ce terrain va être béant à tout moment entre la solennité des annonces et la minceur des mesures effectivement prises. D’ores et déjà, par exemple, on voit bien que le cri d’alarme lancé à l’intérieur du monde politique [est contredit] par l’objectif de croissance, auquel bien entendu on ne touche pas. Ah bon ? Avec la croissance économique, avec la croissance de la population et des énergies nécessaires, comment fait-on ? Il y a là un hiatus terrible. Le personnel politique se met dans une ratière. Ratière dont il ne peut sortir qu’en charpie.
Élisabeth Lévy (saisissant l’occasion de refourguer son dernier numéro de Causeur) : Oui ! Et autre exemple : les gouvernants demandent toujours plus de touristes. Essayons d’atteindre les 100 millions de touristes en France ! Et après les 100 millions, on visera les 150, n’est-ce pas ?
Marcel Gauchet (acquiesçant) : Et on va privatiser “Aéroports de Paris” pour avoir plus d’avions. Et plus de kérosène à dépenser, etc. Quel que soit le sujet [politique] que l’on prenne, on est dans une équation fatale. Il y a une telle distance entre les mesures praticables et la réalité des problèmes à l’échelle “massive”. Sans parler d’un petit détail… Imaginons que les Européens deviennent demain écologiquement vertueux. Ce qu’ils ne sont pas prêts de faire, mais imaginons simplement qu’ils y arrivent. Leur conduite ne changerait rien à l’état de la planète. Comment fait-on pour convaincre le reste de la planète d’entrer dans la logique occidentale ? On arrivera à une démagogie inévitable ici : “Vous nous imposez des sacrifices à nous, alors que les autres populations s’en contrefichent ! Et en plus, qu’est-ce qu’il se passe ? Rien”. C’est une situation politique terrible à gérer.
Élisabeth Lévy : Ce que vous êtes en train de me dire est très inquiétant. Il y a le problème réel que nous voyons tous [le changement climatique], et dans le fond, en régime démocratique, on ne pourra jamais le régler… Il faudrait en quelque sorte une dictature mondiale pour prendre les mesures réellement nécessaires, si je vous comprends bien ?
Marcel Gauchet : J’en ai peur. Nous sommes je le crains dans une sorte de défilé assez redoutable. Et c’est là que l’on comprend que l’on préfère mettre en avant de sympathiques porte-paroles qui ne tirent pas à conséquence que de s’attaquer pour de bon aux questions, à commencer par la question de la population de la planète…
[…]
Élisabeth Lévy : Un dernier mot sur Greta Thunberg. Philippe Muray, que vous connaissiez bien, parlait souvent de l’infantilisation des sociétés et de l’espèce humaine. Tout de même, n’est-elle pas un symptôme de ce phénomène ? Quand on voit des adultes écouter avec un tel ravissement une gamine de 16 ans…
Marcel Gauchet : C’est plus compliqué, en fait. Les vrais adultes sont les enfants ! 
(Les deux ricanant.)