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1271Le chroniqueur régulier de l’agence Novosti, Hugo Natowicz, donne une analyse intéressante de la position de la Russie dans la crise d’effondrement actuelle. Le titre de sa chronique, Avant la tempête, indique bien que Natowicz est d’avis que les remous que nous avons traversés jusqu’ici ne sont qu’une prémisse, effectivement, d’un effondrement général du Système. Il faut noter combien ce constat est présenté assez naturellement, chez un auteur qui n’est pas vraiment à classer dans les “catastrophistes”. Cela montre combien ce sentiment de l’inéluctabilité de l’effondrement est une idée qui se répand très rapidement dans les esprits et les jugements des commentateurs. (Cette évidence est d’ailleurs exprimée par Natowicz, dans des termes assez anodins, montrant par là que nous ne sommes pas en présence d’une volonté de “sensationnel catastrophiste” ; il a d’ailleurs la prudence de s’appuyer sur “des économistes” pour annoncer la proximité du “krach historique” : «…l'équilibre actuel des pays occidentaux, caractérisé par une économie réelle déconnectée d'un système financier devenu fou, ne peut durer ad vitam aeternam. Une partie importante de la prospérité actuelle est fondée sur un leurre: le crédit, unissant un club de pays s'empruntant les uns aux autres. La crise aidant, il se pourrait fort bien qu'un ou plusieurs maillons lâchent.»)
L’intérêt de cette chronique (du 21 octobre 2011, sur Novosti) est de singulariser la Russie dans cette perspective d’effondrement du Système comme un des pays les mieux placés pour l'affronter. Le paradoxe n’est évidemment qu’apparent : l’avantage de la Russie repose sur tout ce qui est considéré en général, chez elle, comme des désavantages, comme des retards de progrès, comme des incapacités de s’inscrire de façon satisfaisante et conforme dans le modèle occidental. Natowicz entame la dernière partie de son analyse par le constat que la Russie est «resté en marge de la mondialisation» (de la globalisation), et cela clairement considéré comme un atout important de ce pays.
«Suite au défaut de paiement de 1998, qui provoquait une ruée vers les banques et la ruine de nombreux épargnants, la Russie a dû remonter la pente en s'astreignant à la plus grande austérité. Riche de ses matières premières, le pays bénéficie d'un vaste excédent commercial. Refusant de vivre au-dessus de ses moyens et de recourir à l'endettement à outrance, la Russie affiche certes un “retard” sur l'Occident en termes de progrès et de bien-être social. La contrepartie, c'est qu'elle a largement échappé au piège d'une financiarisation à outrance de son économie. Cause ou conséquence? L'attachement des Russes aux bienfaits de la société moderne reste moins important qu'à l'ouest de l'Europe.
»Je citerai à nouveau le cinéaste russe Andreï Konchalovski, qui évoque mieux que quiconque le “retard salvateur” qu'affiche la Russie au sein du monde moderne: “Huxley a dit que l’Ouest allait vers la crise en Rolls Royce, et les Russes en tramway. Et comme nous sommes en tramway, il nous reste quelques valeurs du XIXe siècle : l’amour pour le théâtre, pour les livres, on lit, on se dispute, on discute du sens de la vie. Il y a belle lurette qu’on ne parle plus de ces choses en Europe! Au temps de Herzen ou de Dostoïevski on n’en parlait déjà plus! On ne parle que d’argent. Mais en Russie il reste un besoin pour les choses spirituelles, qui ne pénètre pas partout de façon homogène dans la société, mais reste très fort. Et c’est précisément parce que nous sommes en retard que nous sommes forts”.
»Si les risques sont grands pour l'économie occidentale sur le court terme, c'est aussi l'ensemble du système politique et moral que celle-ci soutenait qui pourrait s'effondrer. Les forces de l'histoire menacent, comme elles l'ont fait avec l'empire romain et d'autres, une architecture qui il y a peu semblait indestructible. La crise pourrait alors pousser l'homme à regarder en face sa condition, et à adopter un nouveau paradigme de pensée.
»Dans cette vaste réorganisation, la Russie, “forte” de son retard, pourrait constituer un important réservoir d'inspiration pour l'avenir.»
C’est une idée fortement inspirée du principe d’inversion, principe négatif, sinon maléfique dans son fondement, mais qui devient vertueux et positif dès lors que l’entièreté du Système en est arrivé au stade final de son état de surpuissance et d’autodestruction, et donc d’inversion pour l’inspiration et l’influence ; l’inversion initialement constatée devient donc “inversion de l’inversion”, c’est-à-dire une tendance absolument vertueuse et positive. Le retard de la Russie, sa méfiance du Progrès, sa défiance des conceptions modernistes (plus encore qu’occidentales, quoique se plaquant directement sur la dynamique américaniste-occidentaliste), son mysticisme et sa tendance à la spiritualité, son rythme plus lent et son attachement aux valeurs de la Tradition, tout cela constitue un formidable “arsenal” de vertus effectivement aptes à donner à la Russie un sens et une position de grande importance dans “la tempête” qui s’annonce et qui lève. Cela rejoint effectivement la perception historique et métahistorique qu’on a de ce pays, et rend d’autant plus insupportable et scandaleux que la France, ce pays naturellement si proche de la Russie de ces divers points de vue, soit encalminée dans la situation d’une substance destructrice et d’un simulacre d’essence moderniste que le Système a achevé de lui imposer avec la présidence Sarkozy.
Ce texte nous renforce dans notre conviction que l’arrangement Poutine-Medvedev, qui garantit quasi automatiquement l’élection de Poutine l’année prochaine, est une opération montée pour donner à la Russie une direction forte et expérimentée “avant la tempête” (ou dans ses prémisses). Que la chose ait été aussitôt dénoncée, dans le bloc BAO et dans son opinion-Système et sa presse-Système, comme une magouille anti-démocratique, renforce cette même conviction. D’un point de plus général, l'arrangement Poutine-Medvedev confirmerait que ces dirigeants sont convaincus de l’imminence de la tempête et de l’effondrement du Système.
Mis en ligne le 26 octobre 2011 à 05H59
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