Eloge de Poutine et de la Russie

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La chose est assez rare, à la fois pour être soulignée et pour être méditée. Il s’agit d’un éloge vibrant quoique formulé avec la réserve qui convient de Vladimir Poutine, dans les colonnes du Times. Le commentaire (du 4 octobre) est de Anatole Kaletsky, et ceci explique déjà en partie cela. Dit en deux mots, ou un peu plus: “exact, Poutine n’est pas un démocrate, et alors?”

Selon Kaletsky, l’intention de Poutine de devenir Premier ministre du futur président marque une incontestable évolution autocratique. Mais il juge que, dans l’état actuel du pays, cette évolution n’est nullement dommageable et, notamment, n’a aucune chance de conduire à un retour à un régime proche du communisme: «In fact, the Putin dictatorship has a serious chance of creating a successful capitalist economy in Russia in much the same way that the Deng Xiaoping dictatorship turned China into an economic superpower.»

Kaletsky est extrêmement laudatif sur la situation et les perspectives économiques du pays. Cette évolution devrait conduire la Russie, d’une façon progressive, vers un état de capitalisme efficace.

«…Russia’s economic outlook is surprisingly good. Its economy has grown so strongly throughout this decade that it has built up a large reserve cushion, as well as developing a self-sustaining momentum that is independent of the global energy boom.

»Its GDP is forecast to grow by 6.5 per cent this year and a similar performance is confidently expected for 2008, which will be the tenth successive year of growth of 6 per cent. Given that Russia’s population is declining by 0.5 per cent annually, per capita living standards and productivity are now rising almost as fast as in China, while starting from a base that is three times higher than China’s in dollar terms. The combination of rapid economic growth and a rapidly rising rouble has boosted Russia’s GDP to $1.2 trillion, making it the world’s ninth-largest economy and the biggest developing economy after China.

»More surprising even than Russia’s rapid growth rate has been the prudence of its economic management under Mr Putin. Essentially all public debt has been repaid and Russia’s $400 billion foreign currency reserves are the third-largest in the world, after China and Japan.

»The trade surplus, at 5 per cent of GDP, is bigger relative to the economy than Japan’s and the Government has a huge budget surplus, with half the revenues from energy exports sequestered in a $150 billion foreign currency stabilisation fund, where it is kept away from government ministries and politicians.»

Kaletsky ne passe pas sous silence les traits défavorables de la situation russe aujourd’hui. Il observe qu’ils sont surtout sociaux, notamment une situation démographique épouvantable. Il pense que l’amélioration de la situation économique devrait contribuer à résoudre ces problèmes si la direction russe s’attelle à cette tâche, comme elle a commencé à le faire d’ailleurs. Kaletsky juge donc qu’il y a des perspectives très encourageantes pour la Russie. Il les compare à des expériences historiques connues, ayant affecté la Russie dans le passé.

«In a historical context, the gradual stabilisation of Russian politics and economics is starting to look like an accelerated version of the transition of the 12th century in Western Europe – when the anarchic tribalism and organised robbery of the Dark Ages gradually gave way to the feudal system and the rule of law.

»Russia was Europe’s fastest-growing economy from 1900 to 1914. Politically, this was not a happy period; but had it not been for the incompetence and miscalculations of the Romanovs, Russia might well have avoided the Bolshevik revolution and managed to reform itself from an agrarian feudal economy into a modern capitalist state. Russia now has a second chance to complete this transition – and Vladimir Putin, for all his faults, seems determined not to blow it.»

Ces constats ne surprendront pas vraiment. Il est intéressant qu’ils viennent d’un commentateur du Times, dont on connaît par ailleurs la liberté d’esprit. Il faut aussi noter que Kaletsky est un économiste traditionnel, c’est-à-dire un libéral, adepte du régime capitaliste. Son appréciation est donc à la fois d’autant plus significative et d’autant plus limitée. (D’autant plus significative, c’est évident; d’autant plus limitée, parce que Kaletsky ne tient pas compte du rôle du sentiment national et de la souveraineté retrouvée dans le redressement russe, ni des interrogations qu’on peut soulever sur l’avenir du capitalisme, donc qui concernent également les perspectives russes telles qu’il les trace — mais cette dernière considération valant pour nous encore plus que pour les Russes.)

Il s’agit d'admettre que la plupart de nos jugements sur la Russie sont absolument déformés par une auto-censure féroce, qui a dans nombre de cas des traits proches de la superstition. Notre jugement se fait sous l’empire intellectuellement terroriste du catéchisme démocratique. Rien ne peut être posé de favorable sans que cela soit précédé, “estampillé” pour autorisation de conformité dirait-on d’une étiquette de conformisme démocratique, malgré toutes les évidences d’échec à cet égard, — malgré, pour le cas russe, l’expérience épouvantable d’Eltsine (responsable pour une bonne part de cette démographie catastrophique) suscitée par nos propres intérêts à court terme. La Russie porte dans nos jugement, — c’est la superstition dont nous parlons, — le poids de sa période de communisme telle que nous nous la représentons. Nous avons oublié combien nous l’avons favorisée pour des raisons plus ou moins honorables, cette période, durant toute sa durée d'une façon ou d'une autre. Nous avons oublié combien nous avons “diabolisé” le communisme et combien son histoire, lorsqu'elle est faite par nous, est faite surtout pour la promotion de notre propre système et pour rassurer nos pauvres âmes inquiètes à propos de notre propre vertu. Nous avons oublié que les Russes, que nous mettons ainsi en accusation, ont été les premières et bien nombreuses victimes du communisme, alors que ce même communisme était un mouvement enfanté par nos propres convulsions occidentales, dont la première cible (en 1917 encore) était l’Allemagne plutôt que la Russie.


Mis en ligne le 5 octobre 2007 à 05H31