En 2008, deux Clinton en une

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En 2008, deux Clinton en une


20 juin 2007 — Les derniers prolongements statistiques de la campagne électorale présidentielle US, déjà lancée pour la succession de GW Bush, indiquent qu’Hillary Clinton consolide un avantage sérieux sur ses rivaux du parti démocrate, notamment le sénateur Obama. En même temps arrivent des précisions sur ce que serait sa présidence en cas de désignation démocrate et de victoire, avec un livre de Carl Bernstein (journaliste du Washington Post, l’un des deux hommes du Watergate avec Bob Woodward).

(De ce point de vue et compte tenu des circonstances, le livre apparaît également comme une initiative destinée à renforcer la candidature d’Hillary. Cette candidature a connu un passage à vide depuis décembre, depuis que Obama s’est imposé comme un candidat valable à la désignation démocrate. Hillary avait besoin d’aide. Bernstein lui en fournit.)

Le Daily Telegraph offre une analyse du bouquin de Bernstein, dans un sens très intéressant. Il met en évidence les précisions de Bernstein sur le rôle fondamental que jouera Bill Clinton, non seulement dans la campagne de sa femme mais aussi durant sa présidence si Hillary est élue. Le titre nous éclaire : “Deux pour le prix d’une” (ce qui nous a obligés à trouver une autre formulation pour notre propre titre…)

Voyons cela, à partir d’une interview de Bernstein au Telegraph, pour la sortie de son livre A Woman in Charge :

«Carl Bernstein, one of the reporters who broke the Watergate scandal which brought down Richard Nixon, told The Daily Telegraph that the couple would operate a joint presidency in which Bill would advise on policy and tactics as well as act as trouble shooter.

»“There is no question in my mind it would be a co-presidency because he has better judgment than she does on most political matters. He would be a constant presence,” said Mr Bernstein.

»On the campaign trail to win the Democrat Party's nomination Mrs Clinton has said that she would use her husband as a global ambassador for America. But his real role would go much further, Mr Bernstein believes.

»His book, A Woman in Charge, involved 200 interviews with Clinton advisors, colleagues and friends, many speaking for the first time.

»It underlines how the Clintons began Bill's presidency in 1993 as a joint operation which only foundered when Hillary's plans to overhaul health care collapsed.

»“The first partnership in the White House failed, but this time it would have a better chance of working, because they have both learned. She would not make the same mistakes as on health care because she would compromise,” said Mr Bernstein.»

Quant à l’entente du couple malgré les remous passés, aucune inquiétude à avoir. Bernstein nous en fait un portrait proche d’être idyllique : «“You can see this sort of thing is in their mind already,” said Mr Bernstein, who has no doubt Mr Clinton would move back into the White House. For all the pain caused by his infidelity, the marriage remains strong. “It's a love affair and my guess is that would be enhanced by her being president. They were in love when the first met, and people who know them well believe they are in love to this day. You or I might think ‘what about all this dysfunction?’ — to use the psychobabble of the day — but they have decided to weather it out,” he said.»

Tout cela est peut-être peint d’un rose un peu criard, cela se comprend entre amis. Nul doute que le fond reste vrai. Il y a entente dans le couple, quelque place que prenne l’amour là-dedans, même si c’est un strapontin de fortune. C’est un “deal” typiquement américaniste. Les Clinton veulent reprendre la Maison-Blanche, et si ce n’est un amour commun c’est au moins une ambition commune. Rien de plus solide à Washington D.C. pour faire marcher un couple. Hillary-Bill est d’une trempe politique plus sûre que Ségolène-Hollande.

Bill, ou l’exacerbation des passions

Cette intrusion majeure de Bill Clinton dans la campagne de 2008 est un élément politique qui inspirerait éventuellement les calculettes des experts (pour mesurer l’accroissement des chances d’une victoire démocrate/Hillary Clinton). Mais c’est d’abord une nouvelle psychologique d’une grande importance. Il faut l’apprécier dans un contexte général de très grande tension qui existe aujourd’hui aux USA. On lit par ailleurs quelques détails et précisions sur l’analyse de Justin Raimundo observant que plus rien n’est possible aujourd’hui aux USA pour l’expression de certaines revendications majeures sans l’hypothèse d’actes de révolte populaire ou de situations équivalentes. Il s’agit aujourd’hui d’une analyse courante, qui fixe effectivement le climat psychologique auquel nous nous référons.

C’est déjà la crainte d’un tel climat qui, il y a neuf mois, avait entretenu l’hypothèse de l’abandon de sa candidature par Hillary Clinton. Depuis, la sénatrice de l’Etat de New York semble avoir résolument écarté cette possibilité. La compétition politicienne et les pressions courantes du système sont une explication satisfaisante à cet égard. Dans ce même texte du 4 septembre 2006, nous insistions sur l’importance du soutien de son mari dans la détermination d’Hillary Clinton, et dans son éventuelle décision d’écarter la tentation de l’abstention. Ce soutien est évidemment confirmé au centuple par le livre de Bernstein.

Cela nous invite à placer cette implication de Bill Clinton et l’étonnante reconstitution du couple Clinton qu’elle implique dans cette perspective d’une campagne électorale dans un climat de très haute tension. Cette tension est bien entendu évidente comme climat général et elle pourrait se trouver redoublée par l’un ou l’autre développement de politique extérieure, comme par exemple, — mais exemple souvent cité aujourd’hui, — une opération militaire contre l’Iran.

Hillary Clinton est détestée par une partie importante de l’électorat US (celui de droite, bien sûr), et littéralement diabolisée par le noyau dur de cet électorat (les chrétiens fondamentalistes). Que dire de la rancœur de cet électorat contre le couple Clinton, où la rancœur contre Clinton-président et les années 1993-2000 s’ajouterait à la détestation contre les personnes? (Il faut rappeler que l’affaire Lewinski et les enquêtes sans fin contre Clinton durant sa présidence furent souvent manipulées ou amplifiées par l’action de ces groupes de la droite dure et religieuse US ; le procureur spécial Kenneth Starr qui mena certaines de ces enquêtes était lui-même un chrétien fondamentaliste.)

La réalisation progressive qu’une candidature Hillary Clinton sera en réalité une candidature Hillary-Bill et un retour du couple des années 1993-2000 va constituer un motif d’exacerbation des rancoeurs et des tensions dans les cercles les plus extrémistes et les plus décidés. L’aspect personnel de l’animosité contre les Clinton devrait prendre, durant la campagne des présidentielles, un tour passionnel sans aucun doute sans le moindre précédent dans l’histoire des USA. Cette passion se développera dans un climat politique dont on connaît déjà le degré de tension, avec la rancœur anti-Bush du côté de la gauche libérale dissidente aussi bien que de la droite conservatrice dissidente, l’hostilité de la population contre l’establishment, le sentiment général antiguerre alors que la guerre se poursuit et même s’accentue (cette remarque de Raimundo mesure le problème : «That's why a radically unpopular war not only continues but is now being escalated in a “surge” of air strikes and major movements on the ground. We had an election in which the “antiwar” party won — and that's when the war got hotter, more violent, and started to spread»).

Le “retour” de Clinton (Bill) aux côtés de Clinton (Hillary) constitue un élément politique majeur dont on mesurera l’intensité à partir du début des “primaires”, en janvier 2008. Si Hillary fait de bons résultats, si Bill est à ses côtés, la machine de guerre médiatique anti-Clinton de la droite activiste et fondamentaliste va se mettre en branle. La riposte des anti-Bush et des “anti-guerres” sera à mesure. La bataille sera lancée, dans un climat où tous les débordements sont possibles, y compris au niveau d’actes de violence isolés ou organisés. Le comportement d’une administration GW Bush elle-même aux abois est difficile à appréhender mais elle peut également verser dans l’extrémisme (ce penchant ne lui est pas étranger).

On observera que nous ne prêtons guère attention à la logique du sens politique des choses. Nous estimons que les positions politiques sont, dans le cas de la passion de la campagne qui s’annonce, convenues, artificielles, ou bien obsessionnelles et ainsi de suite, — et, dans tous les cas, nullement soumises automatiquement aux règles rationnelles d’engagement. Ainsi, nous pouvons très bien envisager de violentes attaques anti-Clinton de la droite radicale alors que Hillary a proclamé et proclame très souvent des options bellicistes presque indécentes à force d’extrémisme. On peut imaginer des anti-guerres venant aux côtés de Hillary alors qu’elle est comme on la décrit, absolument pro-guerre dans certains cas. Et ainsi de suite… Ce qui importe dans la situation que nous décrivons, c’est la passion pure, là où l’analyse, y compris l’analyse des positions extrêmes (et passionnées!), n’a plus sa place.