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3651En 2013, un livre fut vivement acclamée (il est repris en édition ‘poche’ depuis 2019), bien qu’il se soit agi d’une étude austère et très académique sur une comparaison entre le déclin de la République romaine et le destin (déclinant) de l’Union Européenne. Dans ce cas, l’académisme et l’austérité du propos sont plutôt, et d’une manière inhabituelle somme toute, les outils d’une complète originalité par rapport aux courants de pensée dominants, – dans la communication, dans tous les cas. Bref, le titre du livre disait tout, et d’une façon brève et incisive : ‘Le Déclin’, du professeur, – belge, de la communauté germanophone, – David Engels, qui enseigne aujourd’hui en détachement principalement en Pologne, dans un environnement conservateur traditionnaliste comme l’est aujourd’hui ce pays.
Depuis Engels a également plusieurs fois appliqué le précédent impérial romain aux USA, qui vivent d’ailleurs avec la hantise du déclin et de l’effondrement parallèlement à l’évolution de leur puissance, comme l’on vit avec un effet-miroir inverti. La puissance de l’américanisme, qui est le nom donné à l’opérationnalité des USA, est balancé par une terreur constante de l’Ennemi, de sa propre destruction, etc.
L’analogie entre les USA et Rome a été souvent reprise, souvent sans autre précision (république de Rome ? Empire et déclin ? Etc.), parfois avec une habileté hypocrite justifiant la servilité (« Nous sommes l’Athènes de la Rome que sont les USA », disait le premier ministre britannique Harold MacMillan, spécialiste de la servilité vis-à-vis des USA, à propos du Royaume-Uni et des USA). Dans les travaux d’Engels, comme en général d’ailleurs, l’analogie Rome-USA nous paraît métahistoriquement plus puissante que l’analogie entre Rome et l’UE (l’Europe). Ce n’est du tout le contenu de cette analogie, et par conséquent la comparaison des deux empires, qui est ici évoqué par nous mais ce qui caractérise la dimension métahistorique de cette analogie.
Ainsi ne s’agit-il pas tant de deux ‘empires’, – historiquement et stricto sensu, ce qui nous entraînerait si loin en fait de définition, notamment de ce qu’est un ‘empire’, – mais bien de deux entités extraordinaires qui exercèrent/exercent un empire sur le monde, comme l’on dit d’une personne qui tient une autre “sous son empire”... Par conséquent, l’on comprendra évidemment que nous jugions cet empire comme s’exprimant essentiellement en termes d’influences, c’est-à-dire bien entendu un ‘empire psychologique’ se transmutant en un phénomène métahistorique, bon ou mauvais c’est selon..
Lord Byron écrivait, nous dit-on : « Tant que le Colisée se dressera, Rome sera debout ; quand le Colisée s’effondrera, Rome s’effondrera ; quand Rome s’effondrera, le monde s’effondrera... » Écrirait-il cela aujourd’hui, disons du Capitole qui abrite le Congrès et accueille les coups d’Etat d’opérette et de carnaval ? Métaphoriquement pourquoi pas, d’autant plus qu’il s’agit d’un poète, et que le poète a son mot à dire ô combien dans cette évaluation métahistorique. L’analogie rencontre dans tous les cas notre profession de foi plusieurs fois répétée que la chute des USA, quand elle se produira (le “si” étant réglé pour notre compte), changera le monde tel que nous le connaissons, nous privant absolument de la capacité de prévoir l’évolution des situations économique, stratégique, etc., après cet effondrement, – exactement, à notre sens, comme ce fut le cas avec la chute de Rome, mais dans des conditions chronologiques et psychologiques très différentes. Ce changement interviendra essentiellement au niveau de la psychologie comme outil de la perception du monde.
Cela est d’autant plus acceptable à notre estime que la véritable puissance des USA est la communication, c’est-à-dire la fabrication de symboles, de métaphores, d’images, etc., – dont le sommet fut la manufacture de l’image de l’‘American Dream’, totalement faussaire puisque métaphore idéalisée d’une vérité-de-situation complètement matérialiste [même acceptée en 1932 par la sociologie US, selon des termes de way of life effectivement matérialistes], pourtant porteuse d’une capacité d’influence sans égale, sorte d’archétype de quelque chose que l’on pourrait nommer du monstrueux pseudo-néologisme de “américanisme-hollywoodisme”. L’effondrement de l’Amérique serait (sera) le choc le plus violent que l’on puisse concevoir pour une civilisation de plus en plus appuyée sur la communication. Il y a d’ailleurs dans cette remarque deux faits troublants par rapport à l’analogie romaine :
• la puissance US dépend d’un domaine désormais essentiellement technique pour sa puissance et sa rapidité, et totalement inexistant en volume et vitesse, du fait de l’absence de la technique, du temps de l’Empire de Rome. Il se passa plusieurs mois avant que Saint-Augustin, alors évêque d’Hippone (le Bône de l’Algérie française), n’apprenne le sac de Rome de 410 par les Goths d’Alaric, considéré comme une des dates symboliques possibles de la fin d’un empire qui prit des aspects très divers, faisant penser dans certains cas et à juste titre à la survivance, sinon à la transmission. Dans ce cas, l’absence de communication (technique) est un des éléments qui permirent au ‘modèle romain’ de s’établir dans la durée et d’imposer sa vertu civilisatrice ;
• ce domaine de la communication passé au moule progressiste de la modernité assure effectivement une puissance incomparable mais il est aussi, en complète inversion, un outil de destruction massive et instantanée de cette puissance, au point qu’on peut s’interroger sur l’appréciation suicidaire qu’on peut attribuer à cette forme et à cette sorte de puissance. (D’où Lincoln, 1839 : « Si la destruction devait un jour nous atteindre, nous devrions en être nous-mêmes les premiers et les ultimes artisans. En tant que nation d’hommes libres, nous devons éternellement survivre, ou mourir en nous suicidant. »)
Il est manifeste pour notre compte que les USA sont quantitativement plus ‘puissants’ dans l’exercice de leur empire que Rome, et qualitativement infiniment plus bas, au point que l’on doive se demander s’il n’y a pas là une inversion métahistorique. Les USA seraient alors le double destructeur d’une civilisation toute entière née de l’influence de Rome ou du ‘modèle romain’ qui est resté jusqu’à nous un guide et une référence unique, avec Rome accouchant de son rejeton civilisationnel en expirant, comme l’on voit souvent dans le règne animal, et ce rejeton se révélant un Frankenstein, et les USA liquidant rejeton-Frankenstein en se suicidant, c’est-à-dire se liquidant eux-mêmes. Cela implique évidemment, ce qui est absolument notre conception, que les USA sont complètement la modernité, – naissance et mort à la fois de cet espace métahistorique faussaire, – et que la modernité (effectivement rejeton devenu Frankenstein) est effectivement l’instrument de mort par le suicide de notre civilisation.
Pour ces diverses raisons, de plus, l’analogie métahistorique ne devrait pas contenir l’épisode réellement impérial de Rome, qui est en fait le lent déclin de l’empire devenant bas-Empire. Ce déclin romain est, selon nous, une fructification de la civilisation qui va suivre (nous-mêmes); au contraire, le suicide américain, à prévoir comme aussi tranchant et net qu’un égorgement sans doute par un acte de désintégration selon des lignes déjà existantes (sécession), est issu de la perception littéralement que les USA ne se supportent plus d’être (être ensemble, être puissants, être influents, etc.), ressentant ainsi inconsciemment leur position complètement illégitime, d’un point de vue métahistorique, par rapport au ‘modèle romain’, et le poids écrasant de la crétinerie pathologique de la modernité dont ils sont les exclusifs porteurs. Pour le reste, on comprend combien il paraît alors d’évidence que les USA se confondent totalement avec la modernité et exercent leur influence en son nom.
La notion de cycle est évidemment archi-présente dans cette conception. Elle l’est aussi chez Engels, qui est un spécialiste des grands philosophes de l’Histoire, Spengler et Toynbee notamment. L’article de Engels intègre tout cela, il st évidemment remarquable, dans son découpage historique, son érudition, sa compréhension des grands mouvements historiques, sa mise en évidence du parallélisme... Il se termine par la question de savoir s’il y aura un « César européen » qui viendra interrompre le désordre public et mettre en place les conditions d’un nouvel ordre temporaire. Nous ne nous prononçons pas avec scepticisme, sur la venue d’un « César européen », mais il n’est certainement pas d’un ‘César américain’ dans notre agenda. L’Amérique a suffisamment prouvé son intime association avec l’aspect le plus abrupt de la crétinerie moderniste, pour nous faire comprendre que son destin de suicidée en tant que ‘concept impérial’ est le meilleur choix à faire.
(L’article de David Engels paraît donc le 25 janvier 2021 sur le site de Valeurs Actuelles.)
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Déjà au début de la présidence de Trump, j'avais comparé son mandat aux dernières années de la République romaine, quand des tribuns de la plèbe tels que Catilina ou Clodius s'étaient rebellés contre l'oligarchie sénatoriale romaine (et ses liens étroits avec l'élite financière), dans un mélange de démagogie, de réformisme et de véritable préoccupation sociale - et échouèrent lamentablement. La fin de la présidence de Trump confirme cette hypothèse. La terreur des émeutes de Black Lives Matter, la chaotique prise d'assaut du Capitole, le 6 janvier 2021, et le contrôle total que son adversaire vient d'obtenir sur toutes les institutions de la République rappellent de manière dramatique ces affrontements sanglants entre Clodius, l'enfant terrible du patriciat romain, et son adversaire Milon, dont la terreur fut systématiquement promue par l'oligarchie sénatoriale afin d'éliminer Clodius et ses partisans.
Certes, le populiste Clodius, contrairement à Trump, était loin de poursuivre un programme culturel conservateur et l' optimas Milon n'aurait probablement jamais tourné en dérision sa propre histoire culturelle comme le fait la cancel culture. Mais les parallèles morphologiques entre hier et aujourd'hui restent stupéfiants : l'érosion des antagonismes idéologiques entre les partis traditionnels par la formation de cartels ; l'exclusion systématique et donc la radicalisation politique de toute opposition interne ; l'incapacité d'un système caractérisé par une polarisation sociale inouïe à se réformer par lui-même ; et enfin l'instrumentalisation politique de la rue - et ce précisément non seulement par les populistes, mais aussi par les partis établis, qu'il s'agisse des voyous de Milon ou de l'antifa.
Mais ce qui est encore plus éclairant, c'est la conséquence politique ultime de la brève aventure populiste romaine, à savoir la volonté croissante d'une élite politique menacée de réaliser exactement ce dont elle accuse ses adversaires : l'instrumentalisation de l'état d'urgence. Ainsi, l'assassinat de Clodius, en 52 avant Jésus-Christ, fut suivi par la nomination de Pompée comme consul unique, fait inédit dans l'histoire de Rome, car négligeant un élément central de la séparation des pouvoirs et anticipant l'Empire. Pompée, bien qu'il ait secrètement alimenté le conflit entre Clodius et Milon, se présente comme un “médiateur” impartial entre populares et optimates ; mais sous prétexte de combattre les “fauteurs de troubles” par des forces de police spéciales et des tribunaux extraordinaires, il se débarrasse rapidement de ses propres adversaires. Et il faut s'attendre à ce que Joe Biden, lui aussi, sache tirer bon parti de ces sinistres listes des “trumpistes” compilées par ses supporters, tout comme il est à supposer qu'en Europe également, nous assisterons bientôt à une répression politique croissante du populisme conservateur.
Cependant, quiconque croit que la victoire imminente de l'establishment politique sera définitive se trompe : les “déplorables” américains ainsi que les “gilets jaunes” français ou les “Wutbürger” allemands continueront à représenter un puissant capital politique précisément en raison de leur flou idéologique ; capital qui sera facilement accessible à tous ceux qui auront compris que la lutte politique de l'avenir ne sera plus décidée par des élections et des institutions, mais, tout comme dans la Rome républicaine tardive, par le charisme, le contrôle de l'opinion publique, le pouvoir financier et la pression de la rue. Dans la Rome antique, le bref calme imposé par Pompée fut rapidement suivi par la révolte de César, qui, en 49, entraîna le début de plus de vingt ans de guerre civile ouverte ou larvée, jusqu'à ce que les antagonistes fatigués se soumettent finalement au compromis impérial d'Auguste. D'où viendra le César européen ?
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