En attendant l’Arabie (suite), – et la “Révolution Hunayn”?

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Les événements de Libye, par l’ampleur qu’ils ont pris, ont eu comme effet d'occulter en bonne part les autres événements d’une chaîne crisique, qui ne peut être pourtant, et impérativement, fixée à un seul pays. C’était en partie le sens de notre F&C du 4 mars 2011. L’article de Robert Fisk, ce 5 mars 2011, dans The Independent permet de retrouver cette évidence avec le cas déjà évoqué de l'Arabie Saoudite.

Fisk est un spécialiste reconnu des problèmes de déstabilisation au Moyen-Orient, surtout un reporteur témoignant d’événements violents sans craindre le risque de telles démarches, mais aussi, dans certains cas, journaliste avisé et disposant de sources exceptionnelles qui lui donnent accès à des informations elles-mêmes sensationnelles par leur caractère exclusif. C’est le cas avec cet article, où Fisk signale une mobilisation intensive des forces de sécurité saoudiennes face à la perspective d’un “jour de colère”, le 11 mars prochain. (Le sérieux de la chose, quand on connaît le professionnalisme de Fisk, est démontré d'une façon indirecte par ce fait qu'il a quitté la Libye pour l'Arabie, en prévision du 11 mars, alors que la crise libyenne continue à faire rage ; signe qu'il est convaincu de l'importance de cet événement.) Les informations lui viennent manifestement des organisateurs du mouvement, qui a pris aussi le nom de “Révolution de Hunayn”, en référence à une des deux batailles décisives des musulmans mentionnées dans le Coran.

«An indication of the seriousness of the revolt against the Saudi royal family comes in its chosen title: Hunayn. This is a valley near Mecca, the scene of one of the last major battles of the Prophet Mohamed against a confederation of Bedouins in AD630. The Prophet won a tight victory after his men were fearful of their opponents. The reference in the Koran, 9: 25-26, as translated by Tarif el-Khalidi, contains a lesson for the Saudi princes: “God gave you victory on many battlefields. Recall the day of Hunayn when you fancied your great numbers…”»

Fisk donne diverses indications sur ce qu’il considère comme une menace très sérieuse contre le pouvoir saoudien, tant du point de vue de la mobilisation saoudienne que du point de vue des organisateurs du mouvement. Cette notion de “menace” est largement prise en compte, jusqu’à l’obsession, par le pouvoir saoudien, selon les détails que donne Fisk, notamment pour ce cas précis par l’ampleur des forces mises en place pour “le jour de colère” (certaines de ces forces étant déployées dans les provinces à prédominance chiite, puisqu’effectivement, comme à Bahrein, il s’agit d’un mouvement de revendication de la communauté chiite contre un pouvoir sunnite que cette communauté juge oppressif, avec bien des arguments).

«Saudi Arabia was yesterday drafting up to 10,000 security personnel into its north-eastern Shia Muslim provinces, clogging the highways into Dammam and other cities with busloads of troops in fear of next week’s “day of rage” by what is now called the “Hunayn Revolution”.

»Saudi Arabia's worst nightmare – the arrival of the new Arab awakening of rebellion and insurrection in the kingdom – is now casting its long shadow over the House of Saud. Provoked by the Shia majority uprising in the neighbouring Sunni-dominated island of Bahrain, where protesters are calling for the overthrow of the ruling al-Khalifa family, King Abdullah of Saudi Arabia is widely reported to have told the Bahraini authorities that if they do not crush their Shia revolt, his own forces will.

»The opposition is expecting at least 20,000 Saudis to gather in Riyadh and in the Shia Muslim provinces of the north-east of the country in six days, to demand an end to corruption and, if necessary, the overthrow of the House of Saud. Saudi security forces have deployed troops and armed police across the Qatif area – where most of Saudi Arabia's Shia Muslims live – and yesterday would-be protesters circulated photographs of armoured vehicles and buses of the state-security police on a highway near the port city of Dammam.

»Although desperate to avoid any outside news of the extent of the protests spreading, Saudi security officials have known for more than a month that the revolt of Shia Muslims in the tiny island of Bahrain was expected to spread to Saudi Arabia. Within the Saudi kingdom, thousands of emails and Facebook messages have encouraged Saudi Sunni Muslims to join the planned demonstrations across the “conservative” and highly corrupt kingdom. They suggest – and this idea is clearly co-ordinated – that during confrontations with armed police or the army next Friday, Saudi women should be placed among the front ranks of the protesters to dissuade the Saudi security forces from opening fire.

»If the Saudi royal family decides to use maximum violence against demonstrators, US President Barack Obama will be confronted by one of the most sensitive Middle East decisions of his administration…»

Cette situation présentée par Fisk n’a rien pour étonner. Le régime saoudien, qui a toujours évité avec efficacité d’être trop handicapé par le courage qui fait parfois perdre de vue ses intérêts immédiats, a par conséquence inverse toujours été marqué par une peur intense de l’attitude vis-à-vis de lui des populations (notamment les nombreux chiites) de son pays ; il a toujours réagi à mesure, c’est-à-dire avec violence, à ces attitudes lorsqu’elles étaient perçues comme menaçantes. C’est le cas aujourd’hui, dans le cadre de l'enchaînement crisique, comme on le voit indirectement avec le soutien massif des Saoudiens au pouvoir de Bahrein, avec leur encouragement à la fermeté donné à ce pouvoir, dans l’évidente situation où le lien est établi entre les révoltes à Bahrein et les possibles révoltes en Arabie. Il est inutile d’ajouter (Fisk le fait abondamment, et la chose est évidente) que des troubles en Arabie constitueraient un événement formidable dans cet événement lui-même formidable qu’est la chaîne crisique qui se dévide depuis trois mois, notamment dans cette région du monde ; il reléguerait la crise libyenne parmi les événements secondaires puisqu’on atteindrait, avec l’Arabie, selon le sentiment des USA et de leurs acolytes, le cœur stratégique de la chaîne crisique et l’un des deux ou trois points d’appui stratégiques fondamentaux de l’influence et de la puissance extérieure américaniste-occidentaliste (du bloc BAO).

Cette brusque attention portée sur l’Arabie confirme, comme nous l’avons signalé plus haut et si besoin en est, l’universalité du mouvement de cette chaîne crisique, qui ne peut être ramenée à l’un ou l’autre cas particulier (c’est le cas de la crise libyenne aujourd’hui) comme la communication du Système s’emploie à le faire. (Tactique habituelle du saucissonnage et du réductionnisme, qui a l’avantage de faire passer les causes perceptibles de l’événement de l’universalité du mouvement aux spécificités des cas particuliers, avec l’arsenal sémantique habituel qui est le faux-nez favori du Système, – “démocratie”, “droits de l’homme”, “dictateur”.) L’autre particularité d’une éventuelle crise saoudienne est que ses attendus seront bien différents des précédentes, – sauf Bahrein certes, mais à propos de quoi l’on n’a pas trop insisté… Il s’agit ici de l’antagonisme chiite-sunnite, ce qui montre la diversité des particularismes nationaux et invitent à trouver la véritable cause de cette chaîne crisique dans ce qu’elle est vraiment : un mouvement universel, attaquant toutes les diverses structures en place du Système, notamment de ses divers satellites extérieurs, sans qu’il faille s’attarder aux particularismes de ces satellites qui sont des causes conjoncturelles, – à moins, certes, qu’on ait surtout comme préoccupation de nier à tout prix le caractère universel de l’événement, et d’ainsi écarter la réalité de la mise en cause du Système.


Mis en ligne le 5 mars 2011 à 06H10