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1104Lorsqu’on l’interrogeait sur l’identité de Godot, qu’on attend tout au long de sa pièce En attendant Godot, et qui n’arrive jamais, et qu’on ne connaîtra jamais jusqu’à ignorer s’il existe d’ailleurs – donc, à la question “mais qui est donc Godot?” Samuel Beckett se récriait: «Je n'en sais rien! Si je le savais je l'aurais dit!». Ainsi introduirions-nous notre suggestion de débaptiser le JSF/F-35, de son nom assez conventionnel type-jeu vidéo de Lightning II, en Godot… Le JSF/F-35 Godot, non?
Certes – cela, pour taquiner un peu. Il faut dire qu’il nous fait languir, le bougre. Bill Sweetman, qui semble prendre un malin plaisir à suivre les déclarations officielles sur l’arrivée des avions opérationnels transformés en protos ou l’inverse, et la réalité de ces arrivées, et de secouer le tout pour mesurer l’étrange chaos qui en sort – Sweetman, donc, récidive. Ainsi décrit-il le processus étrange qui continue à affecter le programme de Lockheed Martin qui ne cesse d’annoncer, entre autres, les débuts des essais en mode ADAC/V (atterrissage et décollage vertical) de l’avion dit F-35 BF-1 après son arrivée au centre d’essais en vol de Patuxent River. L’année dernière, ces essais devaient commencer, après déjà un considérable retard “au début de 2009”. En janvier 2009, l'arrivée à Patuxent River fut annoncée pour juin 2009, avec la précision que le prototype BF-2 serait également de la partie; en février 2009, on annonça que cette arrivée était plutôt prévue pour “la deuxième partie de l’année”; au début septembre, on précisa que cette arrivée était annoncée pour “le début octobre”, suivie d’une annonce plus précise que ce serait “dans les quatre à six semaines”… Sweetman constate que ce dernier délai, le cinquième successif retard annoncé en huit mois est atteint et dépassé et qu’on ne voit toujours par venir Godot à Patuxent River.
Ce qu’il décrit de la sorte sur son blog du 16 octobre 2009, sur AviationWeek.com: «…and it is October 16, which means it's no longer “early October”... Which is when F-35 BF-1 was supposed to have arrived at Pax River to start its STOVL tests, which little more than a year ago were supposed to have started much earlier this year, were reset to June in January and to "fall" in February. The “early October” prediction is only five weeks old. Next week, the “four to six weeks” by which both BF-1 and BF-2 were expected at Pax is set to expire.»
Sweetman s’explique de cette comptabilité que certains jugeraient tatillonne par le fait que le programme d’essais en vol du JSF, qui a accumulé un retard phénoménal dans sa campagne dans l’année fiscale FY2009 se terminant le 1er octobre, est placé devant un calendrier intensif pour l’année fiscale FY2010 qui a commencé ce même 1er octobre, pour essayer de rattraper un peu du retard de FY2009. Lockheed Martin a donné toutes les assurances que les récents considérables retards sont déjà du passé, que de nouvelle méthodes de gestion du programme vont montrer que, dès le 1er octobre, tout a changé. Et Sweetman constate que ce 16 octobre, rien n’a changé, et l’on attend toujours le démarrage sérieux du programme d’essais du F-35 Godot.
«This is not trivial, because at the same time the JSF program office set itself a tough to-do list for the end of CY 2009, including the first vertical landing and the flight of five more prototypes. And that is the first quarter of a fiscal year that - by the end of September 2010 - is supposed to see 12 development jets in the air flying 12 sorties a month each.»
@PAYANT Depuis les récentes manifestations de Robert Gates, soutenant spectaculairement le programme mais avertissant aussitôt que ce programme devait devenir sérieux et se lancer dans sa campagne intensive d’essais en vol, il n’y a plus eu de nouvelles spectaculaires concernant le JSF, qui a disparu des communiqués officiels à sensation. Sweetman, qui a décidé de ne plus s’en laisser compter, suit ses “progrès” au jour le jour, et n’en constate aucun. Il termine son billet par une évocation sur le rôle de la désinformation au travers d’une référence à un livre sur la vie de Staline montrant comment Staline avait repoussé une information vraie (celle d’un officier de la Luftwaffe travaillant pour l’URSS) sur l’annonce de l’attaque de l’URSS par l’Allemagne le 22 juin 1941 sous prétexte de désinformation. Cela, évidemment, évoque le climat de désinformation général qui caractérise le programme JSF Godot, et une désinformation qui ressemble presque à de la panique parce qu’elle se caractérise par une succession presque hebdomadaire désormais de fausses nouvelles concernant le début des essais en vol ADAC/V du prototype BF-1, qui n’est d’ailleurs qu’une illustration de la situation générale de la communication au sein de ce programme. L'impression qu'on en retire n'est pas vraiment favorable... Le catastrophique retard de FY2009 semble en voie de se prolonger pour FY2010, confirmant que Lockheed Martin est incapable de reprendre le contrôle de cet énorme programme.
Bien sûr, il est question de désinformation. Mais elle n’est qu’improvisée, faite au jour le jour (ou, disons, semaine après semaine). Elle se développe à mesure que les promesses des services techniques qui répondent à ce climat général de communication qu’on a déjà décrit, qui est simplement qu’aucun service n’échappe à la nécessité, pour son domaine, d’annoncer des prévisions optimistes qu’aucun service n’est capable de tenir, ces diverses désinformations correspondant aux exigences internes de “bonnes nouvelles” aboutissent à un flot permanent d’informations fausses qui se traduit par ces annonces officielles qui sont aussitôt démenties par les faits. Ce n’est plus de la désinformation, c’est une mécanique d’une communication complètement prisonnières de sources qui se couvrent les uns et les autres en annonçant des prévisions fausses, dont la responsabilité est renvoyée d’un service à l’autre, et ainsi de suite.
Le programme JSF Godot continue sa descente aux enfers, avec le retard de ses essais en vol, pour des raisons à la fois évidentes (les avions ne sont pas prêts pour leurs essais à leur sortie d’usine malgré les annonces officielles) et plus mystérieuses (des difficultés inattendues surgissent et s’accumulent dans la préparation aux essais qui est en cours). Nous approchons de plus en plus des points de confrontation car le retard accumulé des essais va se traduire bientôt, officiellement, en un retard général du programme, des livraisons, des mises en service, etc., dans un programme déjà considérablement en retard. L’enquête de l’équipe JET, dont on attend le rapport (fin octobre? Courant novembre?), et à propos de laquelle certains ont voulu nous rassurer, sera-t-elle le détonateur de l’explosion? Ou bien le rapport habituel du GAO, au printemps? La QDR en cours pour mettre en place les orientations stratégiques des 4 prochaines années de programmation du Pentagone, prévu pour le début 2010, commencera-t-elle à prendre en compte la catastrophe qu’est désormais le JSF? En d’autres termes, quand donc cette redoutable cacophonie communicationnelle se transformera-t-elle en une bombe politique qui, explosant, posera non seulement le problème du JSF Godot dans ses véritables termes, mais tout l’avenir de la modernisation des forces aériennes de combat des USA? (Sans compter les “alliés“, dont les Britanniques, plongés dans l’angoisse d’une programmation militaire menacée d’un cataclysme à cause de la situation budgétaire du gouvernement.) Godot est une bombe à retardement comme jamais le Pentagone n’en a connue de précédente, d’une telle intensité. Il nous reste à attendre le véritable scandale politico-militaire du JSF-Godot, qui va ouvrir la phase de la crise existentielle du programme.
Mis en ligne le 20 octobre 2009 à 05H49